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Décidément la parole publique tend à se déconsidérer rapidement. Nous nous en inquiétons car quand les citoyens perdent confiance dans la politique et qu’ils ont le sentiment d’avoir été trompés, la démocratie est en péril et les pires aventures deviennent possibles. Ainsi, le président de la République s’est fait élire en promettant de renégocier le traité européen, donc de le modifier. Tous les députés de gauche et écologistes se sont présentés devant les électeurs en portant cette ambition. Seuls sont restés fidèles à cet engagement ceux qui ont refusé un texte en tous points identique à l’original écrit par M. Sarkozy et Mme Merkel. Au lieu d’accepter leur demande d’un débat public sur une question controversée, le ministre des Affaires européennes, dans le débat parlementaire, sous l’œil goguenard des droites, a produit cette incroyable perle : « Nous n’aurions pas écrit ce traité, nous ne l’aurions pas signé, aujourd’hui s’il faut le ratifier, nous devons le lire autrement ». Il y aurait donc deux lectures possibles, l’une avant les élections, l’autre après ! Cette forme de cynisme écarte davantage nos concitoyens de la chose publique. C’est d’autant plus grave que l’application du traité, hier par ses rédacteurs ou aujourd’hui par ceux qui l’assument, institue la même austérité à perpétuité et donne à une autorité extérieure le même pouvoir d’orienter et de contrôler le budget de la Nation, tout en interdisant toute réforme économique et sociale qui n’aurait pas reçu l’aval de la Commission de Bruxelles.
Quatre-vingt dix neuf parlementaires, dont la totalité de celles et ceux du Front de Gauche, des socialistes et des écologistes ont refusé de voter ce texte, respectant ainsi la parole donnée aux citoyens. Comme ce fut le cas pour les autres traités européens, l’histoire leur donnera raison.
Le président de la République fustigeait, à juste titre, la loi de la finance lorsqu’il était candidat. Voilà qu’aujourd’hui le gouvernement cède en quelques heures à un groupe de financiers refusant une imposition normale des plus-values qu’ils réalisent en cédant leur entreprise avant dix ans d’existence. Pire, voici qu’on parle d’un projet dit « d’un choc de compétitivité » consistant à procéder à une ponction de trente à quarante milliards d’euros sur les salaires, les droits à la protection sociale et à la retraite, au profit des dividendes et des revenus financiers, ceux là mêmes que François Hollande montrait du doigt au Bourget. Et que dire des tergiversations sur l’engagement de permettre enfin aux étrangers présents depuis cinq ans de voter aux élections locales.
Et voici qu’un mauvais exemple est venu d’Oslo. Quelle valeur accorder à la décision du prestigieux comité des Nobel de la paix d’attribuer cette distinction à l’Union européenne, champ de bataille d’une guerre économique et sociale sans merci ? Certes l’Europe est née des terribles décombres de la seconde guerre mondiale et elle vit depuis dans un espace de paix, au sens classique de la guerre et de la paix. Nous ne négligeons pas cette dimension.
Mais qui pourrait croire que les beaux projets de Victor Hugo ou de Garibaldi seraient en genèse. Décerner le Nobel au motif que « l’Union européenne et ses ancêtres contribuent depuis plus de dix décennies à promouvoir la paix, la réconciliation, la démocratie et les droits de l’homme en Europe » est plus que déplacé. La réalité que vivent les européens salariés, jeunes, privés d’emploi, pauvres, retraités est toute autre. Le droit à un travail et à une vie digne sont les premiers des droits humains. Cette Europe là que nous voulons changer n’est pas fondée sur la solidarité car les lois fondamentales qui la régissent sont basées sur « la concurrence libre et non faussée », c’est-à-dire la guerre de tous contre tous. Et la construction austéritaire de l’Europe pousse aujourd’hui à de nouvelles tensions, à des divisions ou à des tentations de sécession des régions au sein même d’une même nation. Ces mêmes traités arriment cette Europe à l’OTAN. Elle est celle de Frontex et de la guerre aux immigrés en souffrance, alors qu’elle devrait plutôt impulser un grand programme de coopération avec les pays du Sud et avec l’Afrique.
Quelle est d’ailleurs la liberté du travailleur privé d’emploi, du pauvre ou de celui qui au nom d’une « compétition organisée » est contraint d’accepter une baisse de salaire ou de subir la délocalisation ? L’attribution d’un tel prix, qui aurait pu donner de la fierté aux peuples européens dans le cadre d’une Europe sociale, solidaire, écologique, œuvrant pour la coopération et la paix, est plutôt aujourd’hui un affront à la majorité de celles et ceux qui souffrent, alors que les banquiers et les financiers se gavent. Là encore, les promesses et la parole sont dévalorisées.
Tout ceci se déroule dans un climat où les droites et le MEDEF font feu de tout bois pour reprendre les thèses de l’extrême-droite, partout en Europe, qui elle-même surfe sur la crise, la mal vie, les terribles souffrances sociales pour détourner des vraies causes des difficultés : la loi de l’argent qui pille et divise les peuples.
Quelle valeur donner à la parole, maintes fois répétée, de « réorientation de l’Union européenne » alors que le prochain Conseil européen s’apprête à se lancer dans une super-intégration, supra-fédérale autoritaire pour renforcer encore l’austérité ? Ceci au moment même où une multitude d’économistes, d’opinions très diverses, des institutions internationales, dont le Fonds monétaire international ou l’Organisation mondiale du travail, contestent le choix de l’austérité.
Et voici que cette Europe, dans une annexe d’une directive sur « la passation des marchés publics », veut imposer l’application « aux services de sécurité sociale obligatoire », des règles propres aux marchés publics. Ce qui revient à décréter qu’est envisagé de permettre aux compagnies d’assurances privées de s’accaparer la sécurité sociale.
De tous les pays de l’Union européenne, les populations commencent à se mobiliser plus largement contre «un remède» si rigoureux qu’il va laisser le malade sans vie. Chez nous, la force de la Fête de l’Humanité, celle de la marche du 30 septembre, la journée d’action initiée par la CGT le 9 octobre, celle des retraités deux jours plus tard, le rassemblement devant la banque Goldman Sachs ou la multitude de mobilisations déterminées pour l’emploi, dessinent un paysage nouveau, susceptible de faire front à la présidente du Medef, qui se trouve encouragée à demander toujours plus au fur et à mesure que le gouvernement lui fait des concessions. Raison de plus pour qu’un contrepoids populaire dresse un front social et politique anti-austérité, pour la justice et l’efficacité économique. Ce front peut prendre une dimension européenne. C’est certainement la tâche de l’heure pour les forces progressistes. C’est le moyen de faire respecter la parole publique du gouvernement.
18/10/2012
0 commentaires
Bravo pour cet édito. Merci.
je ne peux que partager sur FB cet article qui correspond si bien à mes réflexions actuelles
Oui, cet édito est excellent, il est urgent que les peuples Européens prennent conscience que cette fuite en avant devant la dictature des marchés financiers, nous conduit à la catastrophe affaiblit la crédibilité des politiques et conforte le pire, à savoir l’extrême droite, si le gouvernement de hollande perpétue ces errements, il creuse sa propre tombe