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De villes en villages, la France s’est replongée quatre années durant dans l’un de ses plus grands traumatismes. Une myriade d’initiatives a permis de porter un regard neuf et apaisé sur la tragédie inaugurale d’un siècle de fer et de feu. De nombreuses familles ont exhumé leurs archives, et avec elles une mémoire enfouie sous d’épaisses couches de non-dits ou de souvenirs cauchemardesques.
Se souvenir de la Grande guerre, c’est avant tout rester fidèle au deuil porté dès les lendemains de l’armistice par les millions de combattants et de familles confrontés à l’absurdité du carnage. En ce sens, l’absence de défilé militaire le jour anniversaire où les armes se turent respecte la mémoire de ceux qui perpétuèrent immédiatement le souvenir du champ d’horreur.
Se souvenir, c’est également célébrer la paix, vite transformée sous la pression revancharde en un « entr’acte dérisoire entre deux massacres de peuples », comme le pressentait Romain Rolland. Cette paix évanouie la veille de la déclaration de guerre avec l’assassinat de Jean Jaurès par la propagande belliciste et chauvine incarnée. Cette paix que le mouvement ouvrier européen aura tentée, bien seul, de préserver avant les premiers coups de canon.
L’ordre du monde qui accoucha du massacre reposait sur la compétition entre puissances impériales et coloniales, sur le venin nationaliste distillé et un capitalisme assis sur l’exploitation débridée de millions d’ouvriers. Après l’armistice, cet ordre apparut pour ce qu’il était : un immense désordre qui laissait la pulsion de mort envahir les nations. Dès lors, dans de nombreux pays, dans la Russie tsariste qui paya un si lourd tribu, en Allemagne dans la rade de Kiel puis à Berlin se levèrent soldats, ouvriers et paysans pour la paix, le pain et la liberté. Des partis communistes essaimèrent partout sur les décombres, la trahison des élites et des états-majors. L’intuition que le monde devait changer de base devenait nécessitée.
Mais la commémoration est toujours un acte au présent. Elle dit plus d’aujourd’hui que d’un passé qui, et c’est heureux, est investi par une nouvelle génération de nombreux et talentueux historiens. Elle ouvre des questions nouvelles sur le sens des événements et leur portée. Notre pays a fait de grands pas ces dernières années pour observer avec plus de sérénité ce passé douloureux en reconnaissant officiellement les fusillés pour l’exemple et les mutins, ces vigies courageuses de la dignité humaine. En va-t-il autant fait pour conjurer les risques de nouveaux affrontements meurtriers ? Rien n’est moins sûr.
Le président a choisi de donner à la commémoration de l’armistice une coloration très politique, cheminant sur la ligne de front d’un territoire meurtri, sacrifié sur l’autel d’une violente guerre économique par les gouvernements successifs, comme le rappelle fort à propos le nouveau prix Goncourt Nicolas Mathieu, après que sa classe ouvrière ait tant fait et sacrifié pour le pays. Il ne s’est en rien engagé pour que les jeunes du Nord et de L’Est de la France accèdent enfin à un travail garanti mêlé sans cesse aux formations de notre temps. Pourtant il y a tant à faire pour investir dans des activités permettant de s’engager réellement dans un ré industrialisation permettant la transition environnementale, numérique, agricole ou pour faire face aux défis de la santé, de l’éducation et de la formation. Il a bien dû entendre les cris de colère de cette France travailleuse qui souffre aujourd’hui noyée dans la fiscalité indirecte pour compenser les cadeaux sociaux et fiscaux aux plus fortunés. Le message et les actes d’espoir, de rassemblement de nos concitoyens attendus se sont transformés en étrange éloge de Philippe Pétain, pourtant frappé depuis longtemps d’indignité nationale et définitivement déchu de ses titres militaires. Son infamie collaborationniste s’est muée dans la bouche du Président en de simples «choix funestes ». Propos de division, au moment où M. Macron prétend prendre le drapeau de la lutte contre le nationalisme et la xénophobie ici et en Europe… Quelle hypocrisie !
Commémorer, c’est ne jamais oublier qu’aux côtés des paysans bretons, des ouvriers de Sedan, des jeunes de partout se trouvaient dans la boue des tranchés nos frères sénégalais, Algériens, marocains, les grands parents de ceux-là même qu’on rejette toujours quand le pouvoir et l’Union européenne ne les rejettent pas à la mer.
Commémorer, enfin, c’est ne pas oublier. Ne pas oublier ce que l’Europe a pu produire au cours de cette première moitié du vingtième siècle. Aujourd’hui, le continent est en proie à de nouveaux spasmes nationalistes qui prospèrent sur la compétition forcenée érigée en dogme par d’absurdes traités européens voulant régir les vies des citoyens, de leurs collectivités et de leurs Etats. Les budgets d’armement flambent sur l’ensemble de la planète et la France désormais arrimée à l’Otan, y contribue grandement en armant parmi les pires dictatures du monde, tout en tournant le dos à l’aspiration majoritairement exprimée aux Nations Unies, de concourir à la dénucléarisation des arsenaux militaires. Et le Président avance dans le cadre des commémorations l’idée d’une « armée européenne » appelée à s’insérer dans de funestes rivalités de blocs pour soutenir une guerre économique mortifère pour les êtres humains comme pour l’humanité.
Le vingtième siècle a été inauguré par la grande boucherie qu’il était possible de pressentir voire de conjurer. Jaurès, le fondateur de notre journal, à vouloir y contribuer y a laissé la vie.
Aujourd’hui, chacun pressent les dangers d’une combinaison entre une mondialisation financière sans rivage et un national-capitalisme renaissant, accélérant les désastres sociaux, environnementaux, les reculs démocratiques et attisant des tensions internationales potentiellement dévastatrices. Trouver et unir les forces qui ne s’y résolvent pas est sans doute le meilleur moyen de célébrer le centième anniversaire de cet armistice. Pourquoi n’ouvrirait-il pas débats et actions pour révolutionner la construction européenne, en ouvrant la perspective d’une nouvelle Union des peuples et des nations associés, solidaires, libres pour l’intérêt général humain et environnemental ?
3 commentaires
Une Union des Peuples à construire ne peut être qu’une Union des pays adhérents républiques authentiques originales universalistes du vingt et unième siècle, chaque pays écrit sa constitution universaliste du vingt et unième siècle et à partir d’elles est écrite la constitution de la république de l’Union Européenne, c’est simple comme bonjour, j’en réitère l’idée depuis plusieurs année, ça devrait être fait, ce n’est toujours pas fait. La république universaliste, rien que la république universaliste, toute la république universaliste, et donc son communisme républicain universaliste qui se fait bien attendre en France et en Europe quoique il semble que grâce à monsieur Tsipras la Grèce est la grande pionnière, le journal l’Humanité devrait donner plus d’informations sur le progrès politique grec tout de suite au-delà de son redressement financier, pas à cause de monsieur Tsipras, mais parce qu’il n’avait pas, élu, un programme politique digne de ce nom élaboré pour oeuvrer, il semble que la Grèce se rattrape.
Tous les Peuples peuvent en élaborant et en proposant exiger la fin de la course aux armements pour résoudre la pauvreté ainsi que les problèmes écologiques.
Maintenant que le mot PAIX a été prononcé des millions de fois en ce 11 novembre que va-t-on faire? Sur le capitalisme d’Etat en 14/18 bien peu d’analyses!. Tribut prend un t
Merci de cette clarification soulignant, une fois de plus, l’incompréhensible course au profits mondialisés sur le dos des peuples ignorants et exploités. L’éducation doit devenir la priorité des priorités émancipatrices. L’investissement dans ces richesses immatérielles portera les précieux fruits de la paix. Car un homme éclairé n’a pas besoin d’armes, une femme non plus.
ce rêve d’une paix fraternelle nous vient de très loin et il ira très loin, nous en sommes les maillons, les incarnations terrestres.