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Par Patrick Le Hyaric
La France sort de trois jours de deuil officiel. Pour les familles qui ont perdu un proche, pour toutes celles et ceux qui ne reverront plus un ou une ami(e), le deuil se poursuivra longtemps encore. Qu’ils trouvent ici l’expression de notre solidarité et de notre compassion les plus totales. Toutes et tous, nous resterons marqués par ces horribles crimes. Nos pensées les plus fraternelles s’adressent également aux nombreux blessés, meurtris dans leur chair et qui demeureront à jamais marqués par le souvenir de cette nuit d’horreur. Nous associons à nos pensées ceux que le même bras criminel a frappés à Beyrouth et dans l’avion russe au-dessus du Sinaï.
La vague de solidarité qui s’est levée comme une lame de fond dans le monde entier, de New-York à Gaza, de Rio à Pékin, de Beyrouth à Berlin, résonne encore, près d’une semaine après le sanglant carnage.
La gangrène fanatique a frappé l’innocence d’une jeunesse tolérante, festive, ouverte, hostile au racisme et ouverte à la diversité. Dans le viseur des assassins, le droit aux loisirs, à vivre épanoui au concert pour entendre de la musique, au restaurant pour déguster un plat, au bar pour boire un verre, au stade pour assister à un match de foot. C’est ce droit que ces sinistres individus ont voulu annihiler, celui gagné par les mobilisations de générations entières, celui de vivre des « jours heureux ».
Pour ces fanatiques, le droit aux loisirs est une perversion de l’âme, les plaisirs innocents sont coupables, le rire punissable, le sport idolâtre et la musique démoniaque. Ils haïssent la vie dans ce qu’elle a de plus joyeux et d’émancipateur. Ils méprisent l’humanité.
Aujourd’hui et avant toute chose, la sécurité doit être assurée pour tous nos concitoyens et pour permettre l’exercice de la démocratie. La précipitation est ici mauvaise conseillère. Que l’état d’urgence ait été proclamé en pareilles circonstances est bien compréhensible. Qu’il soit prorogé de trois mois est sujet à discussion. Nous appelons à une vigilance extrême sur les textes de lois qui sont présentés au Parlement. Ce n’est pas en rognant les libertés ciblées par les assassins que nous vaincrons la terreur obscurantiste. Mélanger la déchéance de nationalité à une révision constitutionnelle ou à une réforme de la procédure pénale sans plus de précisions n’augure rien de bon. Une ligne directrice doit être dégagée au plus vite pour garantir le fragile équilibre entre l’indispensable protection de notre territoire et de nos concitoyens et l’exercice et la garantie de toutes les libertés.
Ceux qui contribuent d’une façon ou d’une autre à créer un imaginaire sécuritaire, instillant l’’idée que la nationalité des parents, la religion ou les migrants seraient l’antichambre du terrorisme jouent le jeu dangereux de la division. De même que l’intérêt général n’est pas somme des intérêts particuliers.
L’unité nationale ne saurait consister à additionner des mesures piquées dans le catalogue de chacune des formations politiques, de l’extrême droite à la gauche.
La sécurité des français et du territoire national passera avant tout par un renforcement considérable, en moyens humains et financiers des services de polices, de gendarmerie, de défense et de renseignement. Combien le Président de la République aurait été bien inspiré de nous écouter plus avant quand nous réclamions des moyens pour ces services publics. Le pacte social et éducatif doit lui aussi l’emporter sur le pacte de stabilité ou plutôt d’austérité ! Il en faudrait également des moyens financiers pour l’éducation, la petite enfance, la culture, pour le développement des services publics de santé, de protection civile, des services publics territoriaux qui ont été ce soir là l’expression de la solidarité nationale. Ils sont les premiers boucliers face à l’horreur barbare. Renforcer les services publics en ces horribles circonstances, c’est renforcer la colonne vertébrale de la République et ressouder notre société autour d’institutions communes.
Répondre à Daech pour assurer la sécurité du territoire national et de nos concitoyens ne doit pas revenir à emprunter les chemins déjà tracés par les Etats-Unis sous l’ère Bush de la guerre à outrance. Les droites et, plus inquiétants, certains cercles gouvernementaux s’y précipitent, au point que ressurgit l’hypothèse d’un « Patriot Act » à la française où la création de centre de rétention sur le modèle de celui de Guantanamo. Il n’y a qu’à observer les résultats de la guerre au terrorisme menée par les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001 pour se convaincre de l’impasse des choix guerriers et de restriction de l’Etat de droit.
Ce n’est pas la guerre qu’il faut gagner, mais la paix qu’il faut conquérir. Les différentes interventions occidentales dans les pays arabes depuis quinze ans ont provoqué la situation actuelle dont chacun reconnait le caractère chaotique. Sortir du chaos ne saurait relever de la pensée magique ou des bons sentiments, mais d’une stratégie diplomatique, militaire et politique nouvelle, associant les puissances régionales dans une coalition d’un nouveau type, prenant appui sur les forces d’autodéfense kurdes et sur ce qu’il reste des forces démocratiques. De ce point de vue, la réorientation annoncée par le Président de la République s’inscrit dans ce que nous ne cessons de réclamer depuis des mois.
Si nous ne pouvons écarter d’un revers de mains les frappes ciblées sur les bases d’entrainement de Daech en Syrie, toute initiative militaire ne saurait trouver sa fin dans des objectifs militaires. Ceux-ci doivent aussi être politiques. Il serait illusoire de penser que le terrorisme puisse être combattu uniquement par les seules armes. Les causes qui ont permis la structuration de l’Etat islamique autour de son idéologie fanatique doivent être analysées pour en détricoter un à un les fondements, dont les frustrations, les mépris, les attitudes néocoloniales des puissances occidentales et surtout les interventions militaires contre l’Irak, puis la Libye qui ont fait des milliers de victimes, détruit les pays, déstabilisé le Moyen-Orient ou encore le soutien aux dirigeants israéliens contre les droits des Palestiniens.
Rien ne sera résolu au Proche, au Moyen-Orient ou au Sahel sans perspectives politiques, sans reconnaissance des droits du peuple kurde, sans reconnaissance des confessions qui structurent le paysage régional, de la majorité sunnite à l’importante minorité chiite, sans hausser considérablement le ton face aux monarchies du golfe et face à la Turquie, sans couper les circuits de financement qui alimentent le terrorisme. La France doit s’engager résolument dans la reconnaissance des droits du peuple palestinien, blessure ouverte sur laquelle prospère le ressentiment à l’égard de « l’occident ».
Le changement de stratégie diplomatique et militaire annoncé par le Président est donc une nouvelle encourageante. L’ONU, il n’est que temps, est enfin sollicitée pour qu’une résolution permette l’émergence d’une nouvelle et vaste coalition. La Russie, enfin, est associée pour vaincre Daech.
L’Union européenne devrait être plus actrice d’un tel mouvement et prendre l’initiative de préparer un grand plan de coopération d’un type nouveau pour reconstruire, avec tous les peuples, les organisations concernées, le Proche et le Moyen-Orient.
La période est pleine de dangers, d’incertitudes. Sang-froid et lucidité s’imposent dès aujourd’hui pour vaincre le terrorisme fondamentaliste, conquérir la paix là-bas, et ne rien céder de nos valeurs républicaines ici.
5 commentaires
Cet horrible massacre est aussi le déclencheur d’amalgames anti islam plus pernicieux qu’en janvier, d’une xénophobie exacerbée par la récente arrivée de nombreux réfugiés.
Je serais arabe musulman, aurai-je tant de patience à l’égard de la discrimination, de la demande sempiternelle d’auto-justification, de l’islamophobie et du contrôle au faciès ? Ou serai-je, comme ces « jhadistes », tenté de me venger en exécutant quelques dizaines de bobos si fiers de leur civilisation fatiguée qu’ils en sont apparemment indifférents aux misères du monde, depuis la Palestine jusqu’aux banlieues stigmatisées ? De quelle manière verrais-je la démocratisation à l’occidentale de pays ex-laïques, ou l’exploitation aggravée des richesses mondiales par l’arrogant capital ?
Que penserai-je de ce soutien donné par la France aux rebelles en Libye, en Syrie, qui soudain se mue en indifférence voire en bombardements ? Je ne sais pas.
En tous cas, F. Hollande nous lance dans une guerre à la Bush, y compris les réductions de libertés. En cela, il est même récidiviste ! L’ébauche de coordination avec les russes (pendant les sanctions !?) rassure à peine, quand les impératifs austéritaires s’évanouissent sous prétexte de guerroyer. Socialiste, tout ça ?
pour info, le communiqué d’Attac me semble utile :
Attac, 14 novembre
https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/apres-les-massacres-de-paris-epouvante-revolte-action
(…) « La France est en guerre », nous dit-on. Mais ce n’est pas notre guerre : après les désastres américains en Irak et en Afghanistan, les actuelles interventions françaises en Irak, en Libye, en Syrie, au Mali, au Tchad, au Niger, en Centrafrique, contribuent à déstabiliser ces régions et à déclencher les départs de migrants qui se heurtent à la forteresse Europe et dont les corps s’échouent sur nos plages. Inégalités et prédations déchirent les sociétés, les dressent les unes contre les autres.
Al Qaida ou Daesh tirent toute leur force inhumaine de ces injustices. Cette guerre ne mène à aucune paix car il n’y a pas de paix sans justice. Pour en finir avec cette guerre, nos sociétés devront se désintoxiquer de l’ivresse de la puissance, des armes, du pétrole, des métaux rares, de l’uranium…
Au-delà du terreau social et économique qui nourrit tous les désespoirs et tous les actes insensés, reste la « banalité du mal », c’est-à-dire le fait que l’humanité n’est jamais à l’abri du retour ou de l’instauration de la barbarie quand certains décident de s’affranchir du respect de l’être humain en tant qu’être humain.
Pour ce qui est à notre portée, plus que jamais, il nous faut lutter contre l’impérialisme fût-il « humanitaire », contre le productivisme destructeur, pour des sociétés sobres, libres et égales.
Nous refusons par avance toute restriction au droit de manifester et de lutter contre ce monde pourrissant, pour les alternatives que portent ensemble les peuples du Sud et du Nord. Du 29 novembre au 12 décembre, à l’occasion de la COP 21 et par nos mobilisations citoyennes, nous montrerons qu’un autre monde est possible, urgent et nécessaire.
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Si la France doit être en guerre, que ce soit pour combattre l’injustice, les inégalités. La violence est souvent le reflet de la désespérance extrême dans laquelle se retrouvent certaines personnes. Les armes que nous devons déployer sont celles de la pédagogie, de l’éducation. Nous avons, dans notre belle civilisation qui vante d’être démocrate, humaine, laissé trop de monde sur le bas côté de la route. Pierre RABI nous invitait à être des petits colibris qui aident, avec les moyens qui sont les leurs, à éteindre l’incendie. Alors pourquoi pas ? Pourquoi ne pas soutenir Latifa Ibn Ziaten (mère de ce militaire assassiné par M. Merah) dans son combat pour sortir une certaine jeunesse de son ignorance, de sa révolte . Elle intervient dans les banlieues, les écoles. Son association a besoin de soutien http://www.association-imad.fr. Pourquoi aussi ne pas constituer une grande chaîne humaine, vendredi 27, à l’heure où des gens (de toutes conditions et de confessions diverses) se faisaient massacrer.
J’aimerais bien connaître les extraordinaires raisons qui ont poussé les députés GDR à voter pour cet état d’urgence. Etait-ce si important, cette union sacrée ? Les 6 trublions (3 PS, 3 écolos) vont-ils finir en enfer, écartelés ?
Nos libertés contre la terreur, j’t’en fiche, on a les deux dans la gueule pour le même prix.
Encore une fois, on évoque un Patriot Act à la française. Encore une fois, des tas de chefs d’état étrangers vont arriver tranquillou dans un Paris en VigiPirate Renforcé + +.
Sérieux, même une abstention, ça le faisait pas ?