Le coup de force territorial

le 29 octobre 2009

EDITORIAL DE L’HUMANITE DIMANCHE

Loin d’être un simple projet technique ou une question n’intéressant que les élus, la loi gouvernementale, actuellement en discussion au Parlement, concerne au premier chef la vie quotidienne des familles populaires.

Ce texte se situe dans le droit fil du remodelage sarkozyste de la France au seul service des puissances d’argent. Les collectivités territoriales, communes, départements et régions sont d’abord des services publics. Proches des citoyens, elles sont gérées par des élus choisis par les citoyens. Le pouvoir veut aujourd’hui éloigner d’eux les centres de décisions en faisant des actuelles communes des quartiers de grandes métropoles, qui deviendront à terme « les nouvelles communes ».

Les départements eux-mêmes sont appelés à disparaître au profit des régions, dont les fonctions seront peu à peu changées, par le truchement d’un regroupement de plusieurs d’entre elles et leur asphyxie financière. Ainsi éloignés, les élus sont moins sous la pression et les demandes populaires. Au total, le nombre d’élus serait divisé par deux. Pire encore. Ceux-ci seront élus par un scrutin uninominal à un seul tour.

La gravité de ce qui risque de se passer avec l’application de ce projet est lourdement sous-estimée par les forces progressistes et par tous les démocrates.

Il s’agit d’un violent coup de force contre la démocratie de proximité et contre la vie démocratique tout court. Il s’agit aussi d’une recentralisation du pouvoir entre les mains d’un Etat au service des puissances industrielles et financières, à qui on offrira, comme le dit la droite, « des territoires de compétitivité », c’est-à-dire des lieux mis en concurrence à l’échelle européenne et mondiale, où ils pourront encore améliorer leurs taux de profit, sur le dos des conditions de rémunération, de travail et de formation de leurs salariés.

Mais, au-delà, ce qui est visé, c’est un type de construction européenne supranationale et fédérale avec de grandes régions européennes, en concurrence entre elles pour le service de l’argent et pas pour celui des êtres humains qui appelle, lui, de puissants, modernes et démocratiques services publics locaux, départementaux et régionaux.

A l’application du programme : réduction générale des dépenses publiques (RGDP), découlant de l’application du « pacte de stabilité européen », s’ajoutera la suppression de la taxe professionnelle qui, de fait, amoindrira les ressources des collectivités locales, donc leur possibilité de développer, voire de maintenir les services aux populations, tout en leur imposant d’augmenter encore la très injuste taxe d’habitation.

Dans ces conditions, ces services seront transférés, sous la contrainte financière, au secteur privé. C’est d’ailleurs ce qui explique que les services sociaux d’intérêt généraux qui, en apparence, ont été retirés de la directive européenne, dite Bolkestein, sont soumis aux lois de la concurrence européenne, en lien avec le funeste « projet d’accord général sur le commerce des services », discuté à l’Organisation Mondiale du Commerce.

Ajoutons qu’aujourd’hui les collectivités territoriales assument 73% de l’investissement public dans le pays. Les forces du capital ne supportent plus cette situation, de la même manière qu’elles ne supportent plus que la sécurité sociale échappe aux assurances privées.

La cohérence est aussi claire que lourde de dangers : offrir de nouvelles opportunités au capital privé de rehausser son taux de profit. Pour cela, il faut limiter le nombre d’élus de proximité, pour réduire du même coup la possibilité aux populations d’intervenir. Mais par-dessus tout, il faut éliminer les élus issus des partis faisant des collectivités des points d’appui contre les choix de l’argent, au premier chef, ceux issus de la force communiste. Ainsi, les partis réactionnaires et, malheureusement, ceux qui, prétendument, se réclament d’un radicalisme de gauche, si peu radical qu’ils refusent la possibilité d’aller gérer les collectivités pour se mettre au service des habitants, se retrouvent, en dernière analyse, sur un même cap désastreux pour les populations, les territoires, l’environnement, le service public. C’est l’un des enjeux décisif des prochaines élections régionales.

Ajoutons que le récent découpage des circonscriptions et ce nouveau mécanisme d’élection des conseillers territoriaux au scrutin uninominal à un tour, constituent  un bouclier électoral permettant à la droite de détenir tous les pouvoirs et pour longtemps. Et c’est le moyen d’effacer définitivement du paysage les forces transformatrices, comme le Parti communiste.

Combiné à la présidensialisation à outrance du pouvoir, à la tentation de maîtrise des médias, de la justice et des grands corps d’Etat, cette loi parfait un coup de force politique de grande ampleur. Du mondial au local,  la voie serait libre pour une marchandisation à outrance des crèches, des centres de santé, des transports, des écoles et d’autres établissements publics.

Ceci éclaire sous un jour tout à fait nouveau les enjeux des prochaines élections régionales. La droite veut reconquérir des régions pour disposer de plus d’atouts encore pour mettre en œuvre ses néfastes projets et conserver le pouvoir pendant des décennies.

Face à cela, nos concitoyens attendent que les régions et les départements soient de véritables contre-pouvoirs, des points d’appui à leur service grâce à une gestion démocratique, sociale et écologique et des outils de défense des services publics pour le logement, les transports, la culture, le développement solidaire et durable pour l’industrie, l’agriculture, la coopération, des initiatives nouvelles pour aider la jeunesse dans sa formation et sa recherche d’un travail.

C’est bien de la vie quotidienne dont il s’agit.

Nous sommes loin, très loin de la Constitution de l’an I, en 1793 qui prévoyait qu’aucune décision nationale ne pouvait être prise sans l’accord des communes. C’est l’inverse que prépare le pouvoir.

Face à de tels enjeux, un débat public est indispensable. Celui-ci doit être conclu par un référendum sur l’organisation des institutions et des territoires.


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GILLERON Bernard 31 octobre 2009 à 17 h 03 min

Article très pertinent sur le fond, mais avec quelques divergences avec les anlyses que j’ai moi-même réalisées, sur la base du “Rapport Balladur”.
Il serait troplong de reprendre un à un les points qui font débat, j’espère avoir l’occasion de les passer en revue amicalement et dans un esprit constructif avec toi.
Une base sur laquelle je suis entièrement d’accord:
“Il s’agit aussi d’une recentralisation du pouvoir entre les mains d’un Etat au service des puissances industrielles et financières, à qui on offrira, comme le dit la droite, « des territoires de compétitivité », c’est-à-dire des lieux mis en concurrence à l’échelle européenne et mondiale, où ils pourront encore améliorer leurs taux de profit, sur le dos des conditions de rémunération, de travail et de formation de leurs salariés.”
et:
“La cohérence est aussi claire que lourde de dangers : offrir de nouvelles opportunités au capital privé de rehausser son taux de profit.”
Mais celà ne colle pas avec l’autre affirmation: “Ajoutons qu’aujourd’hui les collectivités territoriales assument 73% de l’investissement public dans le pays. Les forces du capital ne supportent plus cette situation”.
Je prétends au contraire que la préférence secrète de la droite pour l’échelon régional est due au fait que le métier principal de cette collectivités est “laide à l’économie”: en d’autres termes, faire les poches du contribuable régional pour faire aux entreprises divers cadeaux (primes, infrastructures gratuites, etc..) qui leur permettront d’accroitre leur taux de profit, plus que dans le territoire voisin. C’est une pure dévalorisation du capital par le secteur public au profit des dividendes, et ça les actionnaires adorent!
Le Département lui, chargé de diverses missions liées à la “reproduction de la force de travail”, est, tout comme les salaires dans l’entreprise, un coût, une charge pure, qui dilapide la richesse nationale au bénéfice de ces “fainéants de pauvres”, et qu’il faut réduire au maximum pour rester compétitifs. Y compris l’influence et la place des élus départementaux, dont la coupable propension à “charger la barque”, par des dépenses “d’assistanat”, doit être rognée au maximum.
Voici une partie des réflexions que m’inspire ce texte, et c’est pourquoi, je militerait activement(comme socialiste) pour qu’un accord entre les deux tours: PS-PCF-Verts se réalise sur des bases de lucidité sur les enjeux de l’exercice du pouvoir local, et la vigilance que les Régions puis les Départements de gauche devront garder dans leurs rapports avec les Entreprises, et le Pouvoir Central au service du Capital.

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