« La déconstruction de la société démocratique à l’heure de la concentration des médias »

le 30 juin 2023

Conférence Patrick Le Hyaric du 18 juin 2023 organisée par Les Amis de L’Humanité des Alpes du Sud aux Mées.

Chères, chers amis de L’Humanité.

Le titre même de la conférence pour laquelle vous m’invitez « la déconstruction de la société démocratique à l’heure de la concentration des médias » est d’une capitale importance au regard même de nos principes constitutionnels, des ordonnances du gouvernement de la libération en 1944 et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dont l’article 11 édicte, je cite :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Depuis très longtemps, de grands écrivains, des penseurs comme Balzac dans les Illusions perdues, Émile Zola dans l’Argent, Jaurès le fondateur de L’Humanité alors qu’il écrivait dans plusieurs autres journaux ont alerté sur la mainmise de l’argent sur la presse et les médias. Toujours, en liant cet enjeu de l’indépendance et du pluralisme, avec celui de l’exercice des libertés et de la démocratie.

Victor Hugo : souveraineté du peuple, suffrage universel et liberté de la presse

En lien avec le sujet de votre conférence, je ne résiste pas au plaisir de vous relire un extrait d’un discours de Victor Hugo prononcé le 9 juillet 1850 à la tribune de l’Assemblée nationale. Je le cite : « La souveraineté du peuple, le suffrage universel, la liberté de la presse sont trois choses identiques, ou, pour mieux dire, c’est la même chose sous trois noms différents ; à elles trois, elles constituent notre droit public tout entier.

La première en est le principe ; la seconde en est le mode d’action ; la troisième en est l’expression multiple, animée, vivante, mobile comme la nation elle-même… Toute atteinte au suffrage universel, toute atteinte à la liberté de la presse, frappe la souveraineté nationale. La liberté mutilée, c’est la souveraineté paralysée ; la souveraineté du peuple n’est pas, si elle ne peut agir et si elle ne peut parler. Or, entraver le suffrage universel, c’est lui ôter l’action ; entraver la liberté de la presse, c’est lui ôter la parole… La souveraineté du peuple, c’est la nation à l’état abstrait, c’est l’âme du pays ; elle se manifeste de différentes formes ; d’une main, elle écrit, c’est la liberté de la presse ; de l’autre, elle vote, c’est le suffrage universel ». 

Voilà de belles réponses au thème de votre conférence !

Voilà des propos qui résonnent avec notre actualité, quand le référendum sur le traité constitutionnel européen en  2005 a été bafoué, quand les choix de l’Union européenne sont dictés par une banque centrale indépendante et quand des institutions européennes font la loi sur la base des critères de gestion capitaliste, quand le parlement est ligoté , empêché de voter sur un aspect essentiel de la vie des travailleurs que le pouvoir veut faire turbiner deux années de plus, au moment où les mandataires du capital s’arrangent avec des millions d’abstentionnistes dans le cadre d’une crise aigüe de la démocratie et de la politique auquel participent un complexe médiatico-politique de grande puissance et très concentré.

L’information de qualité, qu’elle soit politique, sociale, économique, scientifique ou générale, a une « valeur d’usage » dont la définition est simple : il s’agit d’être utile aux lectrices et aux lecteurs, comme citoyens actifs et responsables en leur donnant tous les éléments leur permettant d’intervenir sur la marche de la société et du monde, à comprendre les événements, à rester maître de son destin, à faire des choix.

Or, on parle désormais, avec cynisme, dans certains cercles des classes dominantes d’un « marché des idées ». Il ne s’agit plus de confrontation d’idées, mais d’une guerre culturelle et idéologique visant à peser dans le débat public, à empêcher le débat contradictoire, à effacer les idées de transformation sociale, démocratique, écologique, à créer des imaginaires aliénants. La « valeur d’usage » de l’information est niée pour être réduite  à une valeur d’échange. En faisant croire à une fausse gratuité, des chaînes privées, mais aussi désormais dans les chaînes publiques et sur les réseaux dont on aimerait toujours qu’ils soient « sociaux » on réduit la valeur générale d’usage pour le lecteur qui ne disposera d’une information en continu, triée pour certains objectifs, passée au tamis des algorithmes, plus superficielle, plus redondante, plus uniformisée.

Nous nous éloignons toujours plus, d’une presse au service du bien commun, comme la définissait Karl Marx, dont le métier principal fut le journalisme. Je le cite : « La presse libre, c’est l’œil partout ouvert de l’esprit du peuple, c’est l’incarnation de la confiance qu’un peuple a en lui-même, le lien parlant qui unit l’individu à l’État et au monde, la culture incarnée qui transfigure les luttes matérielles en luttes spirituelles et en idéalise la rude forme physique. Elle est l’impitoyable confession qu’un peuple se fait à lui-même, et l’on connaît la vertu rédemptrice de l’aveu. Elle est le miroir spirituel ou un peuple se regarde, et la contemplation de soi-même est la première condition de la sagesse ». Ces mots ont été prononcés par l’auteur du manifeste communiste et du capital en 1842 à l’orée du printemps des peuples européens, ces révolutions de 1848 qui firent droit aux idéaux d’une République démocratique et sociale. Marx poursuivait “ l’absence de liberté de la presse rend illusoires toutes les autres libertés”. Il affirmait ainsi, comme Victor Hugo que la liberté fondamentale de la presse conditionne toutes les autres libertés.

Passant aux travaux pratiques, Jean Jaurès dans son éditorial fondateur de L’Humanité le 18 avril 1904 expose un manifeste d’une puissante modernité. Je le cite, « C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde ».

Nous sommes évidemment aujourd’hui loin, très loin de cette conception de la presse et des médias. Chacune, chacun d’entre vous a pu le vivre.

J’ai parlé de la forcenée campagne pour le Oui au traité constitutionnel, la confusion entretenue entre Europe et Union européenne, les campagnes à la fois pour accréditer l’idée que le travail est « un coût » et que les travailleurs doivent accepter le travail tel qu’il est aliénant et non émancipateur, ou encore cette idée en apparence de bons sens selon lequel « le patron » donne du travail » alors que c’est l’ouvrier, qui va vendre sa force de travail au prix non pas des besoins généraux de cet ouvrier, mais au seul prix décidé par le patron et le système capitaliste; les campagnes régulières sur les assistés que seraient les plus démunis pour éviter le débat sur la nature des richesses, leur répartition, ou sur l’évasion fiscale. Est très répandu désormais y compris dans un spectre large à gauche le concept de « l’égalité des chances » pour éteindre les projets de justice et d’égalité pour toutes et tous. Que l’on songe à ce que nous venons de vivre avec le mouvement des retraites toujours traités au prisme de la nécessité économique, à rebours des évolutions qu’appelle le progressisme, sans jamais parler de la vie des hommes et des femmes. Le fait que l’Humanité ait produit un numéro spécial de décryptage sur les conséquences de cette contre-réforme a commencé à bousculer la donne, puis d’autres économistes ont pu s’exprimer dans des médias du service public.

Que l’on s’arrête également sur la manière dont est traitée la guerre en Ukraine, en tentant de faire de chacun d’entre nous un expert en stratégie militaire, accréditant l’idée de la nécessité de « gagner La guerre » pour les Occidentaux. Il a même été théorisé sur certaines chaînes la nécessité d’abattre Poutine sans jamais exposer ce qu’en seraient les conséquences. C’est aussi la réhabilitation de l’OTAN, la nouvelle glorification des États-Unis et le soutien au surarmement et le mépris des pays du sud. Reconnaissons que l’autocrate Poutine leur a servi leur nouvel argumentaire sur un plateau d’argent en déclenchant cette guerre contre le peuple ukrainien.

Et puis il y a les mots égrenés. Les mots « marqueurs » droitisant toujours plus le débat politique : « souveraineté » « autorité » « fermeté » « contrôle »  « bataille civilisationnelle » » immigration du fait accompli » comme vient de le dire l’ancien Premier ministre E Philippe. Les mots répétés pour créer un nouvel imaginaire pour fermer toute perspective : ce qui dominerait à gauche serait tantôt l’ultragauche ou « l’islamo-gauchisme », « l’éco-terrorisme ». Ces mots-concept visent pour les forces du capital à occuper tout l’espace idéologique en déportant celui-ci toujours plus vers les droites extrémisées ouvrant la porte au pire. Il y a encore ces comparaisons pour imposer un point de vue unilatéral. « Vous devez accepter la loi des 64 ans, car tous les pays européens l’ont fait”.

Ajoutons les amalgames comme on vient de le voir à l’occasion de l’horreur qu’a répandue à Annecy un homme pris de folie alors qu’il est réfugié syrien en Europe. On pourrait multiplier les exemples : nous subissons une guerre idéologique de haute intensité.

Il faut toujours être attentif aux mots. Les mots portent des pensées. Négliger les mots, c’est négliger la pensée. Les forces dominantes s’acharnent à déblayer le terrain des idées progressistes, de la création populaire, pour les remplacer par celui du divertissement comme ils disent, de la distraction. Or, la distraction occupe l’esprit, mais ne mène nulle part sauf à accepter une culture de subordination.

Capitalisme et guerre idéologique et culturelle.

La classe capitaliste se donne les moyens de la bataille culturelle, idéologique et politique. Ainsi, 81 % des quotidiens nationaux et 95 % des hebdomadaires d’information générale et politique, 40 % des cinquante premiers sites d’information, quatre radios généralistes, les chaînes de télévision privées sont la propriété de seulement huit hommes d’affaires milliardaires et de deux millionnaires.

La poignée de capitalistes qui s’accapare les médias veut évidemment en faire des outils d’influence auprès des gouvernements, des institutions européennes et dans le concert mondial. Mais cette classe recherche aussi un modèle économique rentable qui conduit à écraser le pluralisme des idées et de la presse.

En effet, sous l’effet des développements numériques et d’une diminution de la lecture papier une mutation considérable des entreprises de presse vers des projets globaux –papier-numérique-télévision-vidéo, auxquelles s’ajoutent des industries culturelles, de loisirs et d’une multitude de services sont en cours de construction. Ces projets visent à concurrencer les géants nord-américains du numérique dans le cadre d’une violente bataille intra-capitaliste incluant de fameux « marchés des idées » réactionnaires s’entend.

Pour cela, les groupes capitalistes français tentent de faire payer leurs investissements en cherchant toujours plus à capter des recettes publicitaires dans le cadre d’un marché mondial où précisément ces géants du numérique à base nord-américaine aspirent les recettes publicitaires en pillant des contenus éditoriaux des journaux, pour obtenir toujours plus de visites sur leurs plateformes. Sur fond de diminution des recettes de ventes et d’abonnements, ceci devient déterminant dans le modèle économique des médias. Et ceci a pour effet également de concentrer les régies publicitaires qui peuvent ainsi proposer aux annonceurs le panel le plus large possible de supports pour capter les budgets. En conséquence, la part de recettes publicitaires nécessaires aux journaux, comme la presse régionale ou la presse nationale indépendante des grands groupes, est réduite à la portion congrue, les asphyxiant encore plus.

En apparence, le spectateur a plus de chaînes de télévision ou de radio à sa disposition, donc plus de possibilités de choisir. Il se trouve, en réalité, pris dans un système où les médias sont soumis en permanence à l’audimat et leur caractère commercial s’accroît. Il faut faire de l’audience. Pour faire de l’audience, il leur faut imposer une culture de la distraction selon leur vision et selon leurs intérêts en uniformisant les contenus pour gagner cette fameuse course à l’audimat, mesurée chaque matin en même temps que les cours de bourse. On retrouve ici le concept de « marché des idées ». Des idées dominantes bien sûr !

Ainsi, les grands médias ont une fonction de reproduction des idéologies et des valeurs dominantes. Par les contenus, les images, les normes, les mots et les valeurs qu’ils véhiculent dans les bulletins d’actualité, dans les fictions comme dans le divertissement.

Par exemple : face à la montée des prix, le service public de télévision ne posera jamais les questions relatives aux salaires ou sur le blocage des prix, mais produira une multitude de reportages sur la manière de faire des économies sur vos achats. En permanence, on suggère ainsi que si vous arrivez le 20 du mis avec seulement 80 € sur votre compte bancaire, c’est que vous ne savez pas gérer votre budget, vous ne savez pas faire vos courses.

Face aux modifications climatiques, il ne posera pas les questions fondamentales : celle d’un modèle de développement nouveau à inventer, pour une transition industrielle et agricole, mais il demandera de ne pas remplir la baignoire et de fermer le chauffage. Au nom du « on peut faire chacun quelque chose » on exonère le capitalisme prédateur des hommes et de la nature. Le ministre de l’Écologie s’est d’ailleurs surpassé : face à la canicule, a-t-il expliquait il faut « baisser vos stores ? Quelle force de la pensée !! Voilà le niveau de la réflexion politique désormais !

 Autre exemple, la majorité des fictions de début de soirée sont consacrées à des sujets liés à des crimes et aux enquêtes sur ces crimes. Ceci crée un bain général, un imaginaire qui conforte l’idée de l’insécurité générale.

Ainsi, les grands médias façonnent à long terme les imaginaires et agissent sur les structures sociales, économiques politiques et culturelles.

Dans ce modèle, la recherche de la “capture de l’attention” permanente devient indispensable au service de la collecte d’annonces publicitaires qui est désormais au cœur de leur stratégie. L’efficacité publicitaire repose en grande partie sur le contexte dans lequel le message est diffusé. Plusieurs études montrent (comme celle menée chaque année par Kantar-TNS-Sofres- TF1) que les spots insérés dans les coupures de programmes de télévision comme les fictions ou le sport sont les plus mémorisés.

Avoir la mainmise sur les contenus, c’est assurer du « temps de cerveau disponible pour Coca-Cola”, comme l’avait expliqué en 2004 le PDG de TF1 Patrick Le Lay. Ces types de programmes sont donc toujours survalorisés au détriment des fonctions de contrôle et de décryptage de l’information, de débats pluralistes. C’est la raison pour laquelle nous assistons à un appauvrissement généralisé des contenus.

Géants du numérique Américain contre l’exception culturelle et la diversité de traitement de l’information.

Ce niveau, inconnu jusque-là, de concentration des médias et des industries culturelles s’inscrit dans la guerre intra-capitaliste que se livre de grands groupes à base nationale avec l’oligopole numérique à base nord-américaine – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft auxquels il faut ajouter Netflix, Disney, YouTube – qui domine à la fois les circuits de distribution et les sources de revenus. Ce faisant, ils affaiblissent la presse écrite en pillant ses contenus et en asséchant ses ressources publicitaires. Malheureusement la directive européenne et sa retranscription dans la loi française sont détournées ouvrant ainsi la possibilité à ces GAFAM comme on dit d’acheter la paix et continuer à ne pas payer leurs impôts.

Au lieu de mener bataille pour le développement d’une industrie numérique européenne, les gouvernements successifs, en bon mandataire des intérêts du capital national, incitent à la construction de « champions nationaux », paravents d’une concentration toujours plus grande des entreprises de presse et de médias ici et ailleurs. J’y reviendrai.

Mais je veux insister sur la puissance de ces géants américains du numérique, plus puissants économiquement et financièrement que certains États. Leur hégémonie dans les industries médiatiques et culturelles constitue une menace pour notre « exception culturelle », une menace pour les libertés et le pluralisme des informations et des opinions. Ils sont à la fois pilleurs de contenus, donc, de fait, des sources de contenus, relais, bibliothèque d’informations, et capteurs de la manne publicitaire. Facebook est la première plateforme mondiale d’accès à l’information. YouTube est la première interface audiovisuelle pour les moins de 30 ans. Amazon la plus grande librairie du monde.

Leur seule logique est évidemment, la recherche du profit en mettant hors-jeu le citoyen informé au profit du consommateur aiguillé par eux ou du « client » redevable. Ajoutons que ces groupes, telles des pieuvres, investissent dans une multitude d’autres secteurs comme le transport, la logistique, le soutien à l’armement ou la santé. Dans ce nouvel espace informationnel se pose une multitude de questions : désinformation, polarisation des opinions, enfermement informationnel avec de puissants algorithmes. Il existe bien, en ce moment dans les institutions européennes deux projets de directives de services médias audiovisuels (Digital Services Act et le Digital Market Act) en discussion pour simplement réguler le secteur. C’est mieux que rien, mais elles ne répondent en rien aux grands enjeux d’une information pluraliste et de la souveraineté culturelle.

Concentration capitaliste contre la démocratie.

L’orientation générale des pouvoirs est comme ils disent de construire des « champions nationaux ».

Chacun voit bien que les logiques de concentration sont globales, industrielles, informationnelles, sportives, culturelles avec les tentatives de copier le modèle Trump ou Berlusconi, allant jusqu’à préparer des candidats de droite extrême ou d’extrême droite aux élections majeures.

Le contrôle par Vivendi, propriété du groupe Bolloré, de Canal +, C8, Cstar, Cnews dans l’audiovisuel, s’étend aux industries culturelles reproductibles, c’est-à-dire aux activités de production et de commercialisation de biens culturels. En plus des chaînes Canal+ dans l’audiovisuel, Vivendi va contrôler Hachette dans l’édition de livres, Prisma média dans la presse, Gameloft dans les jeux vidéo, Dailymotion dans la distribution de vidéo en ligne. Il faut y ajouter depuis la semaine dernière, Europe 1, Le Journal du dimanche, Paris-Match puisque les autorités européennes viennent la semaine dernière de permettre à Bolloré de les enlever à Lagardère. À cela s’ajoute encore, ses parts dans le secteur de la publicité avec Havas, des salles avec l’Olympia et un système de billetterie mondial. Tout ceci constitue une incommensurable emprise sur l’information, son traitement, sa nature même, sur les industries culturelles et la création culturelle. Jusqu’à placer des artistes ou des écrivains en situation de dépendance quand on n’interdit pas de les publier ou de produire leur film. Ces chaînes de télévision sont les promotrices des campagnes racistes, anti-immigrés, homophobes à partir de l’exploitation de chaque fait divers, aussi condamnable et dramatique soit-il. C’est le rôle dévolu aux pseudo-émissions de débat en continu ou à celle de Cyril Hanouna, de Pascal Praud, de Morandini où vous devez faire des réponses de droite à des questions de droite. Ce sont ces chaînes qui ont promu habilement le proto-fasciste M. Zemmour, en même temps que celui-ci bénéficiait du label du Figaro qui a permis de mobiliser une partie de la bourgeoisie.

Prenons le cas de Bernard Arnaud, première fortune de France, parmi les trois plus grandes fortunes mondiales, propriétaire du journal des milieux d’affaires « Les Échos », du Parisien et aujourd’hui en France, de Radio Classique. C’est son groupe qui perçoit le plus d’aides publiques à la presse. Il dispose d’un puissant pouvoir économique et médiatique. Cela lui offre à la fois des moyens de pression sur le pouvoir et des ressources communicationnelles extraordinaires pour promouvoir ses idées contre une fiscalité progressive, pour l’existence des paradis fiscaux, contre la réduction du temps de travail et pour la défense du grand capital industriel et financier. Pour ces gens, l’État et le gouvernement ne doivent servir que de soutien politique et économique dans le cadre de la guerre inter-capitaliste mondialisée. Mais les contradictions s’aiguisent jusque dans les rédactions. Celles des Échos et du Parisien ont critiqué fortement le traitement du mouvement des retraites au sein même de leurs journaux. Aux États-Unis au sein des équipes de Facebook et de Twitter, des voix s’élèvent régulièrement contre la désinformation. On trouvera de mêmes exemples en Russie, en Chine, en Israël.

On peut en dire de même du groupe Dassault dont le ministre des Affaires étrangères était le VRP pour vendre le Rafale, et pour se placer sur le marché des armes à la faveur de la guerre en Ukraine.

Du groupe Bouygues avec TF1, LCI, dans les secteurs du bâtiment et des télécoms et promoteurs directs des ventes d’armes à l’Ukraine et du concept « gagner la guerre » en consacrant au moins la moitié du temps d’antenne journalier à la guerre en Ukraine tout en ne disant mot de la trentaine d’autres guerres qui ensanglantent le monde chaque jour.,

D’Altice avec BFM et RMC au sein de la holding de Xavier Niel qu’on retrouve actionnaire du Monde tout en possédant Numericable, Noos, France TV câble.

Il y a désormais le milliardaire tchèque Daniel Kretinski qui investit tous azimuts dans l’énergie, la grande distribution, et qui figure lui aussi au capital du Monde, de Marianne et de quelques autres titres et qui vient d’avoir, la semaine dernière l’autorisation d’acheter Editis, le  2e groupe de l’édition (Nathan, Pocket, Plon, Bouquins et 100 % du groupe de magazine Gala. Or, il est aussi actionnaire conséquent de la FNAC, premier vendeur de livres en France. Se pose donc une multitude de questions : les livres édités par le groupe Editis seront-ils mieux mis en avant, avec des conditions commerciales avantageuses à la FNAC demain ? Quelles conséquences peuvent avoir la création d’un « duopole » Hachette et Editis sur les écrivains et la création littéraire, sur la distribution de livres d’éditeurs indépendants, sur les libraires ?

Dans votre région, c’est l’un des cinq principaux acteurs du transport maritime dont les profits dépassent allègrement ceux de Total et qui a besoin d’être défendu par l’État dans la compétition avec les Américains qui s’accaparent le journal de la région « La Provence ». Ce que n’acceptent d’ailleurs pas les journalistes puisqu’une quarantaine d’entre eux font valoir ce que l’on appelle « la clause de conscience » leur permettant de quitter l’entreprise.

Dans une telle situation, on le voit, la bataille pour le pluralisme est un combat pour la démocratie, les libertés et l’exercice de la citoyenneté, comme le suggère le titre de votre conférence.

L’enjeu n’est pas seulement de « passer « dans les médias comme on dit –il faut y être, mais ce ne sera jamais suffisant – l’enjeu est de porter la question politique d’une appropriation par les citoyens des médias au nom même de la démocratie et de l’émancipation.   

C’est le philosophe Kant qui considérait que le processus d’émancipation des individus ne peut subsister que dans un régime de libre communication entre les citoyens et leur accès à une information diversifiée et de qualité qui permet l’examen éclairé des arguments et donc le développement du raisonnement politique. La concentration des médias et de la presse exacerbe les inégalités d’accès à un traitement diversifié des événements tout en conduisant à invisibiliser les producteurs de richesse que sont les ouvriers et les travailleurs en général. Elle invisibilise les citoyens d’origine étrangère qui sont aussi avant tout des travailleurs de première ligne au profit d’un imaginaire lié à l’insécurité, voire au terrorisme.

Le capitalisme en fusion a plus que jamais besoin d’un complexe médiatique aliénant qui le mette à l’abri d’une contestation globale. Il est à cette fin parfaitement accompagné de nouvelles forces politiques en apparence « antisystème » pour que l’on ne touche pas au système puisqu’elles n’en questionnent jamais la nature.

Pour une appropriation publique des médias.

Les gouvernements qui se succèdent depuis une trentaine d’années ne font pas qu’accompagner ce mouvement. Ils l’ont initié, le soutiennent, l’impulsent.

Ainsi, nous avons assisté au fil des années au détricotage des ordonnances de 1944, à la déconstruction de la loi Bichet qui consistait à aider à la distribution de la presse grâce à un système coopératif avec une entraide entre les grands journaux et les petits journaux. Le service de la poste sous l’effet des dérégulations ne distribue plus les quotidiens de manière régulière. Cette activité est toujours plus transférée vers des sociétés de portage privé à la recherche de la rentabilité de leur entreprise, les conduisant à ne pas distribuer les journaux tous les jours.

La presse indépendante doit être plus aidée au nom même du pluralisme et ses investissements numériques pris en charge par l’État garant du pluralisme.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel doit être sérieusement transformé et démocratisé pour devenir une véritable instance de contrôle démocratique faisant vivre réellement le pluralisme et veillant au respect de la création française dans les programmes culturels ou de loisirs à la télévision.

Le pôle public de la radio et télévision doit être consolidé et développé, démocratisé en faisant participer les auditeurs et téléspectateurs aux côtés des personnels aux orientations. Il doit être un phare du pluralisme et participer plus encore à la création culturelle. De ce point de vue, son financement doit être rapidement pérennisé sous peine de ne plus disposer de ce contrepoids face aux grands groupes.

Il n’y a pas d’information pluraliste, documentée sans journaliste, sans journaliste-reporter, sans journalistes, enquêteurs. Or, le nombre de cartes de presse diminue sans cesse et le métier de journaliste se précarise de plus en plus. Certains groupes utiliseront même l’intelligence artificielle pour remplacer une partie du travail des journalistes.

Mais, au-delà, et comme le sujet de votre conférence y invite, il est urgent de voter une loi anti-concentration et d’interdire toute prise de contrôle de plus de 20 % du capital sur toute entreprise de médias, et au-delà sur l’ensemble des industries culturelles et numériques. Les rédactions doivent bénéficier d’un statut juridique garantissant leur indépendance, les aides publiques à la presse doivent être réformées afin d’aider les journaux indépendants qui n’ont pas ou très peu de publicité.

Ce sont là des pistes d’actions qui doivent s’inscrire dans le projet politique d’une appropriation sociale et démocratique des médias au nom même de la démocratie possible grâce au développement de débats dans les rédactions, de luttes de journalistes et d’auditeurs et de téléspectateurs, de la créativité de groupes qui inventent des médias alternatifs, aux combats menés pour défendre et développer L’Humanité.

Il conviendra d’être attentif aux projets de directives de la Commission européenne – dont j’ai parlé à l’instant – pour un financement stable du service public, sur la transparence de la propriété des médias, pour la limitation arbitraire des grandes entreprises numériques, pour réglementer la concentration des médias, pour l’indépendance des journalistes et la création d’un comité européen des médias.

C’est à partir de l’ensemble de ces éléments et de ce paysage médiatique qu’il convient d’apprécier l’apport et l’existence de L’Humanité qui est une sentinelle du pluralisme.

L’Humanité, sentinelle du pluralisme.

Totalement indépendante des puissances industrielles et financières, faire vivre le groupe L’Humanité dans un tel contexte est une tâche difficile. Après ce que je viens de dire, on mesure à quel point, faire lire l’Humanité et l’Humanité Magazine ainsi que de se rendre sur la plate-forme numérique est en soi un combat politique d’intérêt général, un combat idéologique et culturel de première importance. L’Humanité a démontré à de nombreuses reprises son rôle fondamental de contrepoids aux idées dominantes pour se mettre au service des mouvements syndicaux, sociaux, citoyens, au service de la solidarité internationale, de l’entente entre forces progressistes dans le monde et pour la paix. Une révélation, un grand dossier dans L’Humanité est en soi le moyen de permettre à chacune et chacun de se faire son opinion, de s’enrichir, de pouvoir agir.

Ce fut le cas lors du débat de la loi dite travail où nous avons été le seul groupe de presse à mettre à disposition des lectrices et des lecteurs l’intégralité du texte agrémenté d’entretiens avec des juristes, des avocats et des chercheurs. 

C’est également le cas depuis le mois de décembre avec les décryptages de la loi des 64 ans comme je l’ai dit tout à l’heure. C’est le cas avec le traitement des mouvements sociaux des conflits sociaux que l’Humanité est souvent la seule à traiter.

C’est encore le cas sur les grands enjeux internationaux où l’Humanité éclaire sur les modifications géopolitiques, le combat contre le surarmement et pour éclairer les ressorts de l’actuelle guerre en Ukraine, soutenir les peuples kurde ou palestinien dans leur lutte pour la liberté.

L’Humanité, c’est également l’ouverture à la vie culturelle à la création culturelle, au débat d’idées et à la vie intellectuelle pour que les lectrices et lecteurs puissent juger elles-mêmes et eux-mêmes des évolutions de la société et du monde pour mieux s’y mouvoir, agir et le transformer.

L’Humanité a l’ambition de se placer au cœur du débat d’idées pour l’éclairer toujours avec l’objectif de placer en son cœur les intérêts collectifs humains l’environnement et les contradictions qui s’expriment dans la production.

L’Humanité c’est un groupe de presse qui :

 Promeus la question sociale pour éviter qu’elle s’efface au profit de la question identitaire

 Combats les succès de la théorie du choc des civilisations et son inévitable conséquence, les guerres de civilisation.

Combats le concept de gouvernance qui s’est imposé au détriment de la démocratie et de la participation populaire et désormais du respect du suffrage universel auquel on pourrait ajouter le respect des élus et du Parlement combat l’idée que les inégalités sont indispensables au développement des sociétés.

L’Humanité est ce journal et ce groupe de presse papier et numérique qui travaille à l’unité des classes populaires, à créer les conditions pour que les travailleurs deviennent souverains sur leur travail et la production.

Sans cesse  l’Humanité veille  à favoriser l’unité populaire pour dégager les voies d’une perspective de transformation sociale, démocratique et écologique. Cela n’a jamais été simple. Dans son premier éditorial Jaurès mettait en garde contre, je cite, “toute tentative sectaire et tout esprit de coterie”, afin de fédérer largement toutes celles et ceux qui travaillent au même objectif le dépassement du capitalisme.

Faire vivre l’Humanité dans les conditions actuelles est une tâche extrêmement difficile. Mais nous devons cultiver cet atout dont nous disposons et que les forces progressistes et révolutionnaires dans le monde entier nous envient. La tâche est d’autant plus difficile qu’il faut créer les conditions pour que notre presse communiste puisse relever le défi du numérique et pour cela bénéficier des moyens d’investir dans de nouveaux matériels, de nouvelles compétences. La question n’est pas seulement de « sauver l’Humanité » comme on le dit parfois. Le grand enjeu est de créer de meilleures conditions pour que L’Humanité soit toujours plus utile, plus efficace dans ces débats et ces combats. Cela nécessite de disposer de moyens pour disposer de plus de journalistes et une équipe renforcée pour le développement numérique pour faire de L’Humanité aussi un média global. Chacun comprend bien que des moyens nouveaux pour plus de journalistes, c’est plus de contenu, plus de dossiers, plus d’enquêtes, plus de reportages. Autrement dit « une valeur d’usage » renforcée, élargie.

Plusieurs fois par jour, dans différents médias, qu’il s’agisse des revues de presse, des enquêtes, jusque parfois dans des séries télévisées, les reprises d’articles de l’Humanité font vivre un peu de pluralisme dans le préoccupant paysage actuel.

Nous formulons l’ambition d’être le creuset de toutes celles et ceux qui souhaitent promouvoir le progrès social, les libertés et la démocratie, préserver l’environnement, agir pour le désarmement et la paix, raffermir la République sur ses bases sociales, lutter pour l’égalité réelle, le développement des services publics, la mise en commun et en partage : tel reste pour paraphraser le premier éditorial de Jaurès « notre but ». Faire vivre la démocratie, le pluralisme et la bataille des idées progressistes et communistes, tout comme modifier le rapport de force idéologique et social, passe par un développement plus grand de l’Humanité.

C’est comme un clou enfoncé dans le mur de la concentration de la presse pour que vive la démocratie.


Laisser un commentaire

Commentaire

Nom *

Les champs marqués * sont obligatoires

Email *

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Restez en contact

Inscrivez-vous à la newsletter