Julien Lauprêtre : l’humanité faite Homme

le 26 avril 2019

Julien Lauprêtre : l’humanité faite Homme.
La nouvelle est tombée comme la foudre. Julien Lauprêtre s’en est allé après une vie d’une incroyable densité consacrée, dédiée, destinée à la défense des plus humbles. Nous savions son corps affaibli par l’âge mais restions fascinés par sa vivacité d’esprit, son sens indéfectible de l’engagement que le poids des années, loin d’émousser, avait au contraire fortifié. Cette inlassable énergie à combattre l’injustice valait pour nous éternité. Comment la mort pouvait-elle venir à bout d’un aussi robuste morceau d’humanité ?
Julien était la bonté faite homme, la droiture incarnée, le dévouement personnifié. Né dans une famille ouvrière et communiste engagée dans le combat politique et syndical, il fit très jeune l’apprentissage de l’engagement. L’occupation nazie et la collaboration vichyste furent pour ce jeune homme de 16 ans, l’occasion de mettre en pratique son obstination à combattre et à lutter, inculquée par les luttes ouvrières. Quelle audace fallait-il pour monter à la fleur de l’âge un réseau de Résistance ! Julien en savait le prix, lui qui fut arrêté en 1943 par la sinistre Brigade spéciale qui s’était faite pour spécialité de traquer les résistants communistes. « Moi je suis foutu, je vais être fusillé, mais toi il faut que tu fasses quelque chose d’utile et que tu rendes la société moins injuste… », lui confia Missak Manouchian, poète arménien fondateur des Francs Tireurs et Partisans de la Main d’Œuvre Ouvrière Immigrée, emprisonné à ses côtés. Ces mots passés en témoin marquèrent au fer rouge son existence, contribuant à définir 70 années de militantisme et de combats contre les injustices.
Julien s’engagea à la Libération dans son Parti, tout en reprenant son activité d’ouvrier miroitier, « tailleur de glace », comme l’on disait alors. En 1951, le député communiste Raymond Guyot lui propose d’intégrer son secrétariat avant que le Secours Populaire Français ne sollicite ses compétences. Après avoir été secrétaire administratif de cette organisation née sur les cendres de l’occupation et de la barbarie nazie, Julien en prit rapidement la tête. Aussitôt il entreprit d’en faire la puissante association qu’elle est devenue au fil des ans, donnant toute son ampleur à sa devise « Tout ce qui est humain est nôtre ».
Elu en Comité central du parti communiste au 1966, il y défendit une idée originale et moderne des organisations dites de « masse » en insistant sur leur nécessaire indépendance et leur spécificité, tout en nourrissant par « un communisme en actes » la perspective révolutionnaire. Julien avait une haute idée de sa mission que rien ne saurait flétrir. Son parti lui laissa, avec Georges Marchais et son ami Paul Laurent, toute latitude pour la réaliser. Il s’agissait avant toute autre considération de porter assistance et secours à toutes les âmes humaines qui en manifestent le besoin. Mais ce combat a toujours été insociable de celui pour la liberté, la démocratie, de la culture : « Peut-on espérer que les hommes prennent leur destin en main s’ils n’ont pas un maximum de liberté ? » se plaisait-il à dire.
Il installa rapidement le Secours populaire dans les combats internationalistes, portant assistance aux familles des combattants et réfugiés d’Espagne, du Portugal, de Grèce ou du Chili, participant activement aux campagnes internationales contre les dictatures néofascistes, jusqu’à s’investir personnellement pour la libération des prisonniers politiques condamnés à une mort certaine. Cet engagement se doubla d’une intense compagne pour concrétiser ce droit aux vacances gagné de haute lutte par le Front populaire, d’une autre pour récolter et distribuer les surplus alimentaires, une suivante pour que des « Pères Noëls Verts » puissent égayer les Noëls des plus pauvres. Des milliers d’enfants d’ouvrier et des familles populaires s’en souviennent encore, émus et reconnaissants. Cette orientation fut une éclatante réussite au bénéfice de millions de personnes comme du mouvement social et transformateur, et permit au SPF de gagner une aura internationale.
Le succès du SPF tient alors à la formidable capacité d’innovation impulsée par Julien : déléguer l’initiative au niveau local, être à l’affût des besoins humains, inventer de nouvelles formes de solidarité, créer des liens et des passerelles entre toutes les associations de solidarité, construire avec les ceux qui croient au ciel comme avec ceux qui n’y croient pas, enfoncer à coups d’arguments les portes médiatiques et institutionnelles fermées, rendre incontournable l’effort de solidarité jusque au sein de l’Union européenne et « mondialiser la solidarité » selon son expression. Cette épuisante détermination rendait à chaque fois Julien plus ardent, plus heureux, plus combatif. Quel exemple !
Ces dernières décennies, Julien aura eu à cœur de fonder les « villages des copains du monde » qui réunissent des milliers d’enfants du monde entier dans des dizaines de villages en France et en Europe pour mettre les cultures en partage et élaborer un « programme de solidarité » dont chaque enfant deviendrait l’ambassadeur.
Pour « mondialiser la solidarité » Julien parcourut, parfois à l’insu de son entourage, le monde entier pour de ses yeux voir la misère comme la solidarité générée par les guerres, les famines et les catastrophes, de la Palestine à Haïti, de la Chine au Sri Lanka, du Maroc au Japon, …
Il fut également un dirigeant assidu et exigeant du Parti Communiste jusqu’à son retrait du Comité national en l’an 2000, travaillant notamment à l’élaboration des politiques de solidarité.
J’ai eu l’honneur de travailler avec lui au Parlement européen lors la dernière mandature pour maintenir contre l’avis de la Commission européenne le Programme Européen d’Aide alimentaire aux plus démunis. Les initiatives prises en commun ont permis de gagner une précieuse victoire au bénéfice des 170 millions d’européens condamnés à la pauvreté.
C’est enfin un ami précieux que je perds aujourd’hui. Julien ne loupait aucune fête de l’Humanité, participant activement à ses moments forts, nourrissant la fête, avec l’organisation qu’il présidait, d’une présence active. Nos échanges étaient toujours passionnants. Julien avait un esprit libre débarrassé des postures qui lui permettait d’avancer comme de nourrir le combat progressiste.
A son initiative, le Secours populaire a noué de forts partenariats avec L’Humanité pour animer les campagnes de dons et porter haut les idées de solidarité. Ces partenariats se sont, par la suite, élargis à de nombreux médias, contribuant de manière décisive au rayonnement du SPF.
Nous mettons en partage notre tristesse avec le million d’adhérents de son organisation, ses 80 000 bénévoles, les dizaines de millions de personnes qui à travers le monde on croisé l’action et la générosité du Secours populaire. Formons le vœu que cette perte immense se transforme en héritage fructueux ! A sa famille et à ses proches nous adressons nos pensées les plus chaleureuses et fraternelles.
« Je me considère un peu comme une feuille qui tombe de l’arbre pour faire du terreau. Et la qualité du terreau dépendra de celle des feuilles » écrivait Jacques Decour avant de succomber aux balles allemandes. Nul doute que Julien nourrira dans les temps qui viennent le terreau qui fertilisera des lendemains solidaires.


1 commentaire


Moreau 26 avril 2019 à 23 h 08 min

Un vrai serviteur de tous les Hommes, un vrai acteur associatif, un vrai coopérant. Un bienfaiteur qui a su mettre en oeuvre association et coopération. Son aventure associative d’inspiration communiste universaliste somme toute, est plus qu’une organisation de masse.

Laisser un commentaire

Commentaire

Nom *

Les champs marqués * sont obligatoires

Email *

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

Restez en contact

Inscrivez-vous à la newsletter