« Ne crache pas dans la main qui te nourrit »

le 22 novembre 2022

Dangereux dérèglements médiatiques ! Les déréglementations et privatisations acharnées de l’audiovisuel ont fait passer la télévision française de Pierre Desgraupes, Bernard Pivot, José Arthur Stéllio Lorenzi, Raoul Sangla, Maurice Faillevic, Claude Villiers, à un petit imposteur nommé Cyril Hanouna. De la création culturelle, de l’exigence informative, du débat argumenté, nous sommes passés aux bas-fonds des pitreries d’un cracheur d’insultes et de crasses bêtises, d’un bouffon des princes et des puissants, l’un des pilotes d’une voiture-bélier chargée des idéologies explosives des droites extrêmes. La combinaison des émissions qu’il anime sur la chaîne de son maître, M. Bolloré, dans lesquelles coulent à flots simplisme et démagogie, avec les réseaux mal nommés « sociaux », alimentent jour après jour la machine à laminer les débats politiques, scientifiques, culturels ou de société, à alimenter la défiance envers toute institution, à répandre de fausses ou approximatives informations, à nourrir émotions, angoisses et peurs. Bref, le spectacle et le tacle sont mis au service de la dépolitisation et de la soumission afin de brouiller la vue de l’immense majorité de celles et ceux qui ont intérêt à un profond et radical changement progressiste.

Il est bien évident que les incarnations du grand capital ne possèdent pas les médias dans l’objectif abolir leur propre système. Ajoutons que les études montrent que ce nouveau complexe médiatique renforce la polarisation des opinions, conforte la segmentation des publics tout en abaissant le niveau de connaissance politique et la participation électorale. La conversation avec un responsable politique sur un plateau est un travail journalistique, pas de saltimbanque. Les conditions du débat et ses règles doivent être connues de tous les participants. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) doit garantir l’exercice de la communication, rappeler à l’éditeur la convention dans laquelle sont inscrites des obligations telles que sa responsabilité dans le contenu de ses émissions. Cette autorité a mis C8 en demeure pour « manquement à l’obligation de traiter avec mesure une affaire judiciaire en cours et méconnaissance de l’obligation de respecter l’expression des différents points de vue à l’antenne sur un sujet prêtant à controverse » après l’assassinat de Lola mi-octobre à Paris. La chaîne aura reçu deux mises en demeure en une semaine après l’émission à laquelle participait le député Boyard. La contradiction, le débat, la dialectique, la pensée complexe, souvent la pensée tout court, la pédagogie du droit est remplacée par les clashs et le buzz alimentant le populisme mortifère. Dans un tel contexte, les médias traditionnels vacillent, entraînant avec eux dans un torrent d’effluves une part de démocratie au nom de l’audience vendue à des annonceurs, du bon mot qui se retrouvera en boucle sur les réseaux sociaux. C’est le contraire de la politique et du raisonnement. D’ailleurs, dans ces émissions, on veut de moins en moins de journalistes ou d’éditorialistes au profit de « polémistes ». Mais le comportement de l’animateur de la chaîne privée de M. Bolloré n’est pas seulement celui d’un vulgaire aboyeur-insulteur. Il est bien plus : celui d’un pion de la guerre idéologique et sociale que livre le capital, contre les travailleurs. En effet les insultes ont été proférées contre le député Boyard parce qu’il a osé tenter d’expliquer comment M. Bolloré, en surexploitant des terres et des hommes en Afrique, accélérait les migrations. Il n’y eu pas une version le contredisant, seulement des injures et des cris ! Pas touche au maître répéta, le sieur Hanouna avec un argument trop peu relevé et qui pourtant dit tout du système de soumission qu’induit le capitalisme. « On ne crache pas dans la main qui te nourrit », ânonna-t-il à plusieurs reprises. Au-delà de la prévarication, de tels propos contiennent une forte charge idéologique. Ils actent l’étouffement de l’indépendance des journalistes ou des chroniqueurs qui ne porteraient pas la voix du maître. Dans sa chaîne de télévision, même un député de la République se voit interdit de dire que le dit-maître est poursuivi par des villageois camerounais l’accusant du pillage de terres pour y développer des palmiers à huile au détriment des cultures vivrières, poussant celles et ceux qui en sont victimes dans le peu confortable bain de l’émigration. Dans ces conditions, « la main qui te nourrit » n’est autre que celle qui ne doit sa fortune qu’à l’exploitation des hommes et de la nature. Et, il faudrait le cacher ! Sans doute de nombreux téléspectateurs peuvent penser que cette interjection du bouffon du maitre est frappée du coin du bon sens. De même, celles et ceux qui répètent « ne te plains pas de ton patron, il te donne du travail ». En vérité il ne donne rien du tout ! C’est le travailleur qui vend sa force de travail à partir de laquelle l’entreprise dégage de la plus-value. Cette fameuse prétendue « main qui te nourrit » n’est donc que la fortune amassée sur le travail des êtres humains et l’exploitation de la nature pour accumuler du capital, acheter des chaînes de télévision et les journalistes. Dès lors qu’il y a une prétendue « main qui te nourrit » le journaliste, le travailleur le chroniqueur est aussi propriété du propriétaire de la chaîne.  Le clown de service répète sans cesse que cette chaîne c’est la liberté. En vérité derrière cette liberté débridée se cache une vaste entreprise d’asservissement. Celui qui, pour animer cette émission, gagne 40 000 € par mois tout en se permettant de faire la leçon à un syndicaliste de l’entreprise Total qui en gagne 3.000, développe par ces quelques mots le programme politique des puissants. S’il ne faut rien dire contre « la main qui te nourrit », alors le travailleur exploité doit se taire, ne pas se syndiquer, ne pas revendiquer ou faire grève, accepter la destruction du Code du travail ou la fin du système d’allocations chômage. Ce n’est pas « touche pas à mon poste », mais « touche pas au grand capital ». Il est temps de légiférer contre la concentration des médias et pour un renouveau du pluralisme. À défaut, la démocratie va continuer de s’assécher et ouvrir le chemin du pire. 

Patrick Le Hyaric,

le 22/11/2022


4 commentaires


Annie Coadou 23 novembre 2022 à 8 h 56 min

Tout ce que je pense et je voudrais partager avec le plus grand nombre…. Vu mon âge j’utilise Facebook…..c’est déjà ça…. J’espère que nous trouverons cette tribune sur les réseaux sociaux des jeunes……
Belle démonstration. Bravo

josette roudaire 23 novembre 2022 à 11 h 32 min

merci je prefere lire ca qu entendre FabienRoussel et sa valeur travail ..bravo pour ce texte parfait . bonne journee.

Massol 23 novembre 2022 à 14 h 26 min

Oui, bravo pour cette analyse qui frappe fort au coin du bon sens et de la pertinence. Oui, il est grand temps de légiférer sur la concentration des médias. Et tout à fait d’accord “la main qui te nourrit” ne le fait pas sans contrepartie sociale ni économique.Ils dévastent tout.

Moreau 24 novembre 2022 à 8 h 31 min

Toutes ces lignes parlent aux Hommes. La vie large exige la vie humaine et objective.

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