L’Italie, un laboratoire ?

le 24 février 2021

L’éditorial de L’Humanité Dimanche du 25 février 2021 – par Patrick Le Hyaric.

L’Italie vient de basculer vers un scénario inédit : un gouvernement dit « d’union nationale » dirigé par Mario Draghi pour utiliser les 209 milliards d’euros du plan de relance européen. Voici donc, à la manœuvre, l’apôtre des marchés financiers, lequel fit ses classes sous les lambris dorés de la banque états-unienne Goldmann Sachs alors que celle-ci s’illustrait en inondant les marchés de créances toxiques qui allaient déclencher la crise de 2008. Il a également maquillé les comptes d’Etats européens. Et le voilà installé à la tête de la troisième puissance européenne à la demande des industriels et des banquiers avec l’ardent soutien de Mme Merkel et de M. Macron.

A la présidence de la Banque centrale européenne, il épongeait l’écroulement financier qu’il avait contribué à créer pour offrir des débouchés au capital en manque d’investissements lucratifs tout en exigeant des peuples privatisations et sacrifices sociaux, non sans avoir dépecé la Grèce au nom de la « stabilité monétaire ». Nous avons ici le prototype de ceux qui sont présentés comme les représentants d’une « élite apolitique » par ceux qui veulent cacher qu’il s’agit d’un valet du capital.

La grande nouveauté du scénario italien tient à un renversement des données d’un débat initié depuis plus d’une décennie, dans lequel, à la faveur de l’affaiblissement des partis communistes, les structurations politiques ont été déportées des enjeux des antagonismes de classe vers l’invention de catégories nouvelles : d’un côté les « européistes », représentants des « élites », de l’autre des « populistes » de droite ou de gauche censés être les opposants des premiers. Sous couvert de « gouvernement technique », l’alliance scellée sous l’égide de l’ancien président de la BCE réunit le Parti démocrate, la droite de Forza Italia, les populistes du Mouvement cinq étoiles et l’extrême droite de la Ligue du Nord. Autrement dit les représentants « des élites » et « les populistes » de toutes tendances font gouvernement ensemble.

On aura noté les cris unanimes des forces se réclamant du consensus libéral pour célébrer cette « entente » au nom d’un intérêt supérieur que l‘on voudrait faire passer pour l’intérêt général. Mais l’intérêt supérieur, ici, n’est autre que celui du grand capital européen qui compte bien faire du cas italien un cas d’école pour tous les pays européens. Car l’union nationale est la condition pour faire accepter aux peuples des « réformes » imposées par la Commission européenne. Cette « réconciliation nationale » s’opère ainsi sous les auspices du marché capitaliste et d’un nouveau degré de « financiarisation » de l’économie. Mais surtout sur le dos des travailleurs qui sont une fois de plus appelés à servir de monnaie d’échange contre les lignes de crédit de la Banque centrale européenne. Par ricochet, la voie est ainsi ouverte aux néofascistes du parti Fratelli d’Italia pour incarner l’opposition à ce consensus bruxellois droitier, mais sur des bases précisément et ouvertement… fascistes.

Le discours d’investiture de Mario Draghi en dit long sur la nature de ce consensus : une dose de xénophobie pour complaire à la Ligue du nord, une autre d’écologie pour satisfaire le Mouvement cinq étoiles, une autre encore de baisse de la fiscalité sur le capital pour neutraliser la droite berlusconienne, et enfin une ode à l’Union européenne pour s’accorder les faveurs du Parti démocrate. Le tout agrémenté d’un serment de fidélité à l’Alliance atlantique.

Les représentants des classes dominantes considèrent à juste titre qu’elles ne disposent plus de majorité populaire pour progresser vers l’étape nouvelle que réclame le système capitaliste pour son déploiement. Ils travaillent à l’alliance des anciens partis sociaux-démocrates et des forces baptisées populistes de droite ou de gauche pour tenter de s’assurer la majorité sociale et politique qui leur échappe, pour ainsi éviter toute forme de contestation trop radicale. Les mouvements sociaux discontinuent et celui des Gilets jaunes avec le soutien massif qu’ils ont reçu, comme la sourde protestation qui se répand sur les enjeux de santé fait cogiter en haut lieu et bien au-delà de la France. Ceci au prix d’une inquiétante redéfinition du champ politique qui se déporte toujours plus vers la droite et tend à gommer toute expression anticapitaliste. L’ingestion par le pouvoir macroniste et la droite des thèses de l’extrême droite en France, spectaculaire ces derniers jours, laisse augurer une nouvelle recomposition politique si ceux qui ont intérêt à un changement de politique et de société ne se lèvent pas. Entre des pans entiers d’électorat socialiste conquis en 2017 et neutralisés depuis, et M. Darmanin qui braconne sans vergogne sur les terres idéologiques de l’extrême droite, l’arc macroniste n’est en effet pas si éloigné de celui de M. Draghi. Avec, une fois encore, les réformes structurelles contre les retraites, la propriété publique et la Sécurité sociale pour viatique.

On observera dans l’actualité italienne la grande faiblesse de la force communiste. Celle se réclamant du populisme de gauche, qui, en refusant de s’organiser sur une base solide de classe et recourant à des raccourcis souvent outranciers, se trouvent finalement ballotée par le vent politique. Jusqu’à se fondre dans un gouvernement au service des puissances financières.

Ceci nous oblige à réagir. Les forces libérales, instruites par le succès de Trump et des extrêmes droites européennes, sont en train de pactiser avec ces dernières pour défricher le terrain d’une offensive redoublée contre les droits sociaux et démocratiques. Avec pour notable conséquence un glissement considérable du débat public vers l’extrême droite. La séquence xénophobe orchestrée par le pouvoir la semaine dernière — entre le rapprochement Darmanin/Le Pen, la loi séparatisme, la polémique sur Trappes puis sur un prétendu « islamo-gauchisme » l’illustre parfaitement.

Cette opération d’envergure a pour principale fonction de rendre invisible le durcissement de la lutte de classes, les désastres sociaux, la corruption de l’industrie pharmaceutique, la misère galopante et les mauvais coups en préparation contre le monde du travail, la jeunesse et les familles populaires sous prétexte des dettes contractées par l’Etat pour faire face aux conséquences de la pandémie.

Sans l’organisation d’une résistance contre la dé-civilisation capitaliste, sans force ni visée communiste rassembleuse sur un projet de civilisation nouvelle, la stratégie adoptée par les forces capitalistes risque d’entraîner notre continent vers de très sombres lendemains. Travailler à l’union populaire pour des changements de politique et de société relève d’une urgente nécessité.


9 commentaires


Moreau 24 février 2021 à 8 h 21 min

Devenir fabrique de cataclysme en fabriquant et en laissant fabriquer des idéologies à partir d’inepties et de malentendus au regard de la vérité dans la base du nouveau monde génère les grandes inquiétudes qui font parler en 2021.

Les communistes de l’Union Européenne en ne passant pas ou pas assez au communisme universaliste ont refait encore leur déclin et leur faiblesse, ça semble chronique.

Il y avait le chaos, on a en plus le cataclysme en 2021, mais tel chaos et tel cataclysme sont faits pas la classe politique de partout dans le monde, les exceptions à cette vérité générale le confirme. A vouloir profiter des autres et des situations, les individus profiteurs se piègent eux-mêmes. Vivre, ce n’est pas profiter des personnes et des situations aux prix de dures inhumanités. Il fallait, il faut s’en tenir à la culture populaire majeure sans la remplacer par les populismes en complexifiant la communication des citoyennes et des citoyens et des associations horizontales ; voire en attentant à la liberté d’expression et de partage, et de création, voire comme certaines personnes le dénoncent en 2021 en rendant les arts majeurs impossibles.

Et en répétant à l’incongru comme au saugrenu que la culture dans sa totalité tant qu’à dire, est un « levier » ; les populations vivent coupés des progrès politiques essentiels qui sont pensés mais trop peu nombreux à être réalisés. Il y a un retard de grande politique et à ce retard correspond le cataclysme actuel. Je ne pensais qu’il faudrait que je me consacrer à aider à faire la différence entre le levier et le livre, anagramme n’est pas synonyme.

Moreau 24 février 2021 à 8 h 49 min

Place à La France Universaliste ; et au diable tous les populismes !

Cohen Skalli Edgard 25 février 2021 à 10 h 52 min

« Sans force nu visée communiste rassembleuse sur un projet…» dis tu dans ta conclusion toute la question est là ce n’est pas un slogan «  l’humain d’abord » qui fera office de projet il faudra aller bien plus loin et inventer cette nouvelle civilisation on en est très loin et surtout on en prend pas le chemin obséder que l’on est par les élections et les alliances sans contenu

Moreau 26 février 2021 à 8 h 43 min

Les partis politiques sont devenus des camps politiques en plus grand nombre ; les Hommes politique ne mettent plus “les mains dans le cambouis”, ou presque plus, parce que ce n’est pas possible en besognant sans les gens, sans oeuvrer avec les gens. Sans la culture populaire majeure, pas de contenu répondant aux attentes de des populations, c’est vrai partout. L’adversité, a des conséquences mais les plus graves conséquences sont à venir en raison des insuffisances et des lenteurs, et des communications, des transmissions, des partages, des diffusions, devenant impossible, et c’est plus grave encore que l’empêchement de manifester en raison de la pandémie.

Doucet anne-marie 1 mars 2021 à 2 h 00 min

camarades

Merci à l’HUMA , merci à Patrick Le HYARIC , de nous avoir décrit la situation grave
des politiques qui menace notre devenir . C’est un tableau tableau noir ! l’humanité informe , mais les citoyens ne connaissent pas le danger , pas d’information
Pouvons nous oser espérer que les peuples puissent prendre conscience et se révolter
je vais diffuser comme d’ab

Parreau Jeanne 1 mars 2021 à 21 h 32 min

Vous concluez : “Sans l’organisation d’une résistance contre la dé-civilisation capitaliste, sans force ni visée communiste rassembleuse sur un projet de civilisation nouvelle, la stratégie adoptée par les forces capitalistes risque d’entraîner notre continent vers de très sombres lendemains. Travailler à l’union populaire pour des changements de politique et de société relève d’une urgente nécessité.”
J’en retiens : “…sans force ni visée communiste rassembleuse sur un projet de civilisation nouvelle, la stratégie adoptée par les forces capitalistes risque d’entraîner notre continent vers de très sombres lendemains.”
C’est en construisant avec les citoyens ce projet de civilisation nouvelle que pourra se développer l’union populaire, c’est dans l’action nécessaire à cette construction que l’union pourra advenir. A condition que cette construction soit abordée démocratiquement par les communistes et d’autres, avec des citoyens ne relevant pas forcément de partis, mais de toutes sortes de mouvements ou simplement de citoyens rejetant tout ou patie de notre société.

alain harrison 3 mars 2021 à 7 h 01 min

«« C’est en construisant cette union populaire…… »» Tout à fait.

Mais par quel moyen, quelle voie ?

Il faut méditer les paroles de

Pour Jean Jaurès, la révolution socialiste n’est concevable que dans le cadre de la légalité démocratique, c’est-à-dire par une conquête graduelle et légale par le prolétariat des institutions parlementaires et de la puissance de la production.

Comment se fait-il que vous ne voyiez pas que le Venezuela suit justement cette voie, et que ça marche. Il ne manque que d’autres emboîte le pas. Mais d’abord il faut oser le dire, et que cette voie est rassembleuse des peuples.

Au sujet de l’économie, écouter Lordon

«« Quant à la question des éventuels défauts de capitaux, je fais appel à Friot : regardez le colossal investissement qui s’est fait au lendemain de la guerre pour faire surgir de terre l’hôpital public, avec des équipements très lourds. Tout ça s’est fait sans le moindre recours aux crédits bancaires, ou aux marchés de capitaux : simplement par le financement par la cotisation. Et c’est cette expérience historique absolument remarquable que Friot propose de généraliser. Ce serait à la caisse économique qu’il appartient de pourvoir au financement des infrastructures et des investissements.” »»
Abattre le capitalisme, mode d’emploie
Sur lemediatv.fr (vidéo)

Marx a décrit le capitalisme et sa logique (accomplissement sous nos yeux).

C’est pas l’idéologie (elle a son utilité), mais un programme claire et radical (pas une continuité modifiée__ Krishnamurti).

Écouter, l’économie capitaliste est dans tous les pays. Vous comprenez.

La Cotisation a fait ses preuves, malgré le cadre capitaliste, qui en fait l’a instrumentalisé tant que cela servait à endormir le peuple qui sombrait peu à peu dans le consumérisme. Vous sous-estimez la PUB (du conditionnement pavlovien: les récompenses par la consommation pour faire passer l’exploitation du travail (le su et le non su__Korzybski)

Il est grand temps de lire le chapitre 1 du livre de Jean-Marie Abgrall: tous manipulateurs tous manipulés

Pour amener les gens à se réveiller, les invités à construire concrètement la Constituante Citoyenne et le Parti de transition Citoyen, le tandem synergique.

ASSOCIATION POUR UNE CONSTITUANTE
existe depuis 17 ans .

La FI en prône une.

Est-ce que la gauche, sans le savoir est tombée dans la compétitivité ? Et ça ne s’arrête pas là.

Il y a un changement global à faire. OUI NON

Faut-il s’enliser dans les débats interprétatifs idéologiques, ou savez-vous ce qu’il y a à faire.

Diagnostiquer les embûches sans concessions (Oui mais) et continuer dans la critique qui finit par ne plus rien dire. Une critique sans solution (le serpent qui se mord la queue, n’est-ce pas !)

C’est pas la première fois que je le dis.

Vous avez des penseurs formidables (Lordon en est un) et au lieu d’agir, vous faites comme si c’était des romans.

La littérature (……) a remplacé le réel ?

Moreau 2 mars 2021 à 11 h 25 min

Je préférerais une résistance républicaine pour le changement entier nécessaire et indispensable alors que les urgences sont redoutables, clefs d’une civilisation toute en paix gratuite, avec une vision (et non une visée !) communiste, et celle-ci depuis les années 60, est occidentale et orientale dans les coeurs cosmopolites creusés tellement plus adorables que les armes nucléaires et autres, avec la démocratie républicaine entière et réelle respectueuse de l’ordre juste des activités humaines plutôt que tout verticalisme participant à la stratégie du désordre qui fait la domination et la destruction, le chaos et les cataclysmes ; civilisation nouvelle, oui, il serait temps que les camps politiques cessent d’être des camps, et que la classe politique méritant ce nom, servent les Hommes en réalisant la première des priorités, appliquer pour tous la déclaration universelle des Droits de la Personne à jour sans manquer une seule année ; ne plus faire distraction avec des questions qui ne peuvent pas être des sujets politiques, la mise à jour intègre des droits universels de la personne, oui, les blablas sur les religions, non ! Résister, construire, oeuvrer, pour la vie telle qu’elle devrait être, telle qu’elle doit être !
Je suis d’accord avec ce que dit Jeanne Parreau : “C’est en construisant avec les citoyens ce projet de civilisation nouvelle que pourra se développer l’union populaire, c’est dans l’action nécessaire à cette construction que l’union pourra advenir. A condition que cette construction soit abordée démocratiquement par les communistes et d’autres, avec des citoyens ne relevant pas forcément de partis, mais de toutes sortes de mouvements ou simplement de citoyens rejetant tout ou partie de notre société.”

Révolution perpétuelle communiste, il serait temps de la faire, révolution romanesque et révolution d’art ! Révolution d’or !

alain harrison 4 mars 2021 à 1 h 59 min

«« C’est en construisant avec les citoyens ce projet de civilisation nouvelle que pourra se développer l’union populaire, »»

Ben oui hein!

La question est comment se légitimer et rendre les choses légales juste pour voir à quel degré est pourri l’Occident et ses propres institutions dont il renie les valeurs de départ, un jour et le lendemain il les clame selon (le deux poids deux mesures).

C’est comme les amalgames de la confusion.

Les mots il faut les mettre à niveau.

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