Écologie libérale, Mensonge du capital

le 4 octobre 2023

Lorsqu’il parle d’écologie, le président de la République nous sert une envolée de mots tous aussi creux les uns que les autres. Ce n’est que la pauvre parure de son inaction au moment même où le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres alerte sur « l’effondrement climatique (qui) a commencé ».

Après « l’écologie de la production », « l’écologie du quotidien », » l’écologie de l’apaisement », « l’écologie positive », voici que monsieur Macron nous a promis, le 24 septembre dernier, une « écologie à la française, une écologie de progrès ».

Ces mots vides servent de maquillage à d’inquiétantes décisions du gouvernement : celle de ne pas s’opposer à la Commission européenne dans son choix de prolonger de dix ans l’utilisation du glyphosate, pourtant déclaré cancérigène et neurotoxique pour les paysans, les femmes enceintes et des strates importantes de la population ; celle du report à 2027 de la fermeture de nos centrales à charbon, alors qu’elles devaient s’éteindre en 2022 ; celle de l’autorisation accordée à Total de procéder à de nouveaux forages et ce feu maintenu au vert pour les banques** qui financent les firmes pétrolières engagées dans l’exploitation de nouveaux gisements ; celle, aussi, de l’augmentation des importations de pétrole et de gaz de l’Azerbaïdjan du dictateur Ilham Aliev et de laisser tomber le peuple arménien contraint de fuir la République du Haut-Karabakh. L’« écologie de progrès » de l’hôte de l’Élysée c’est, en outre une orientation de la politique agricole basée sur le triptyque « numérique, robotique, génétique », au détriment des humains et de la nature ; la construction de mégabassines véritables  pompes asséchantes des nappes phréatiques ; et, enfin, la bétonisation de zones agricoles comme celle du triangle de Gonesse dans le nord de la région parisienne ou de l’autoroute A 64 pour, paraît-il, gagner un quart d’heure entre Toulouse et Castres. Ceci se fait au moment même ou les droites et les extrêmes droites dévitalisent au parlement européen la loi dite de « restauration de la nature ».

Après cela, les plans et rantanplans du président se fondent sur une « responsabilité – culpabilité » individuelle indifférenciée, que l’on soit milliardaire ou smicard. Par contre, il s’efforce de protéger les dogmes du capitalisme financier et mondialisé : pas de normes contraignantes pour la grande industrie de la pétrochimie, de l’agro-industrie ; impulsion du « marché » capitaliste, valorisation du diptyque « compétitivité – prix » et pression maximale sur les niveaux de rémunération du travail et des retraites ; mise en œuvre du traité de libre-échange avec le Canada alors que le Parlement n’a toujours pas eu le droit de se prononcer sur ce texte.

Protéger le capital nécessite de la part des pouvoirs à son service de l’aider dans sa mutation vers un capitalisme dont la façade serait repeinte en un vert pâle qui n’empêchera pas les glaciers de fondre, la biodiversité de s’éteindre, le climat de s’emballer, comme on le voit en ce début du mois d’octobre. Une politique écologique implique au contraire de porter le projet d’un dépassement de ce système pour, à la fois, libérer le travail aliéné et préserver la nature.

C’est donc une planification de la bifurcation écologique et sociale qui doit faire l’objet de débats et de combats nouveaux. C’est ce qui est en germe dans les mouvements actuels des jeunes pour le climat et des paysans pour le développement de l’agro-écologie ; dans les mobilisations de cadres et d’ouvriers interrogeant le sens et de l’utilité de leur travail ; ou encore dans les actions de celles et ceux qui, en soutien aux ouvrières du Bangladesh, animent le mouvement « Pas de sang sur nos vêtements » ; et aussi dans les alliances nouvelles qui se construisent entre travailleurs et défenseurs de l’environnement et de la santé, par exemple à la raffinerie de Grandpuits ou dans et autour du bassin industriel de Fos-sur-Mer.

Quand les équilibres de la planète sont déjà au bord de la rupture, que le seuil de l’irréversible est sur le point d’être franchi, que les catastrophes climatiques et écologiques s’ajoutent les unes aux autres et s’enchevêtrent, ce n’est ni l’appel à des actes individuels, ni le « techno-solutionnisme », faux-nez de cette mutation capitaliste, qui peuvent sauver l’humanité.

Prenons la pompe à chaleur : ce n’est rien d’autre qu’un chauffage électrique plus performant, certes, que le « radiateur-grille-pains », mais qui ne peut fonctionner sans électricité. Quand elle sert à refroidir une maison par temps de canicule, elle se transforme en gouffre énergétique en rejetant de l’air chaud dans l’atmosphère surchauffée elle-même. Qui va pouvoir acheter la voiture électrique (dont il faudrait, d’ailleurs, parler des conditions de production) alors que le prix de l’électricité ne cesse d’augmenter, au nom d’un marché européen intégré (dont le pouvoir ne compte pas du tout nous sortir) et d’un coût de construction des nouvelles centrales nucléaires qui monte en flèche. La batterie de la voiture électrique à base de lithium suppose, tout à la fois, des pillages de ressources et des pollutions nouvelles.
En développant des solutions technologiques, consommatrices d’énergie et de métaux rares pour les faire exister et fonctionner, le capitalisme engendre de nouveaux effets pervers. Le démantèlement de centrales nucléaires, éoliennes ou solaires, est problématique et polluant. Les prix des métaux de base peuvent exploser à cause de la raréfaction des ressources et peuvent être générateurs de multiples conflits et guerres. Non seulement, cet Occident extracteur de métaux prive les peuples qui vivent sur place de leurs richesses et de ces progrès, mais aussi les surexploite et les pollue.

Or, on sait qu’une partie des solutions passe par des programmes ambitieux d’isolation et de rénovation des bâtiments, de développement du fret ferroviaire public des marchandises – au lieu de couvrir nos autoroutes de camions, de plus en plus gros, conduits par des travailleurs surexploités et fatigués –, des politiques de gratuité du transport public en ville et des tarifs de trains abordables ; une démarche d’incitation à une mutation agro-écologique de la production alimentaire, de limitation des chaînes logistiques aux usages strictement nécessaires ; l’impulsion d’une transition énergétique couplée à de nouvelles recherches pour décarboner la production et l’économie ; enfin, de donner de l’ampleur  aux politiques de soins et de santé, à une mise en sécurité sociale élargie jusqu’à  l’alimentation. Est également en débat, au sein des mouvements pour le climat, le projet d’un traité de non-prolifération des énergies fossiles, alors que la guerre en Ukraine permet aux firmes américaines de nous exporter plus de pétrole et de gaz de schiste.

Quelle est la logique qui conduit à transformer les paysans en exploitants de centrales photovoltaïques ou de méthanisation qui alimenteront une agro-industrie fabriquant une nourriture bas de gamme, à partir de matières premières importées grâce aux traités de libre-échange ?

Il y a bien des solutions techniques à inventer ou à mettre en œuvre, à partir d’une réappropriation des outils de travail par les scientifiques en lien avec les travailleuses et travailleurs. Mais une politique pour préserver « le vivant » nécessite de  pousser plus loin les raisonnements en les faisant porter sur l’essentiel.
C’est ce système économique fondé sur la production de marchandises – y compris avec leur obsolescence programmée – aux seules fins de profits et rentabilité, par l’exploitation du travail salarié et paysan, et par l’appropriation gratuite de l’activité des forces et ressources naturelles, qui est responsable des inquiétantes perturbations de la biosphère.

L’impératif d’accaparement de la plus-value implique que soit produite toujours plus de marchandises avec plus de travail rémunéré au strict minimum, tout en extrayant toujours plus de ressources de la nature. Avec les règles présentes de l’Organisation mondiale du commerce et des traités européens prônant « la liberté totale de circulation des capitaux et des marchandises », l’extraction des ressources repose sur l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché, jusqu’à exploiter des enfants dans les pays du Sud, et sur des désastres environnementaux. Les ressources ainsi extraites circulent plusieurs fois autour de la planète, provoquant de considérables émissions de gaz à effet de serre. Puis elles sont assemblées en différents sites de production. Puis elles sont déplacées pour l’assemblage, générant alors de nouvelles pollutions tout en portant atteinte à la santé des travailleurs. Ces mêmes marchandises sont ensuite transportées pour être vendues avant de devenir des déchets, retraités dans un circuit économique ou jetés à la mer ou encore déposés dans d’immenses déchetteries dans les pays les plus pauvres, et dans des conditions abominables pour les écosystèmes et les populations locales.

On connaît désormais mieux ce qui se passe dans l’industrie textile délocalisée, hautement polluante – un jean est fabriqué au fil d’un parcours de soixante lieux différents* ! Pour, au bout du compte, que nous assistions à une hécatombe de fermetures définitives de magasins en Europe depuis quelques mois. L’industrie de la pompe à chaleur va-t-elle connaître le même sort ?

On ne peut donc traiter les enjeux écologiques sans les relier au  travail et à la souveraineté des travailleurs sur la production. De même, la stratégie macronienne pour l’agriculture de demain vise à aider le capital à augmenter encore la productivité des humains, des animaux et de la terre, en les plaçant sous une plus grande domination encore,  des grandes firmes transnationales de la pharmacie, du numérique dominé par les États-Unis, de la chimie de Bayer-Monsanto, de la pétrochimie,  d’hormones de croissance, de manipulations génétiques, d’antibiotiques, et de monocultures industrielles qui épuisent les sols au point de les rendre à terme stériles.

Le grand capital fait ainsi courir un risque grave aux écosystèmes et à leur reproduction en utilisant avec brutalité la puissance productive du vivant, voire des vivants.

Il n’y a donc aucune solution durable à la crise écologique sans se confronter aux logiques mêmes du système, en plaçant l’enjeu de la souveraineté politique des citoyens et des travailleurs sur la production, au cœur d’un processus communiste de transformation.
Ce sont elles et eux, ces femmes et hommes du travail et de la création, qui composent le cœur battant de l’appareil productif. Les coups portés à la nature vont de pair avec l’exploitation des travailleurs. Gagner – par le combat commun – la souveraineté des travailleurs et travailleuses sur leur travail rendrait impossible le cycle infernal extraction de matières premières – production capitaliste des marchandises sans lien avec les besoins humains – circulation libre de marchandises sans considération pour les émissions de gaz carbonique – pillage des ressources écologiques et sociales des pays qui ont déjà subi, durant plusieurs siècles, les effets du colonialisme.

Inscrite dans les structures de classe du capitalisme, la crise écologique ne peut trouver de réponse qu’en s’en extirpant, qu’en recherchant dans les réalités concrètes les moyens de dépasser, jour après jour, ce système jusqu’à l’abolir.

Cela pose de manière renouvelée les enjeux d’éducation et de formation tout au long de la vie pour réussir la bifurcation sociale, écologique et démocratique ; l’enjeu de la réduction du temps de travail, de la coopération et de la solidarité internationale entre travailleuses et travailleurs du monde entier ; le défi des sécurités sanitaires et alimentaires, du rôle des banques notamment de la banque centrale européenne qui devrait conditionner tous les crédits a taux nuls aux projets de développement humain  et de préservation du climat et du vivant.

Loin de la poudre aux yeux des institutions européennes et de leur « Green New deal », loin des thèses du pouvoir, la préservation de la nature et une nouvelle écologie politique ne peuvent être envisagées séparément de la libération du travail aliéné et de la prise en main du destin de la production par les producteurs eux-mêmes.

Patrick Le Hyaric 

4 octobre 2023

**Lire aussi l’article d’Adrien Bortot « Shien et la fast fashion : l’urgence de réguler l’industrie textile pour sauver nos écosystèmes et les droits humains » sur le site « Nos révolutions ».

* les banques françaises sont impliquées dans plus de la moitié -1000 milliards d’€- dans les émissions d’obligations en faveur des entreprises d’énergie fossile. Elles participent de fait à la destruction écologique.


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