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Nourrir les ferments inégalitaires de la société par la mise en concurrence des individus et substituer partout l’initiative individuelle des premiers de cordée au détriment des solidarités collectives, telle est bien la cohérence du projet de M. Macron. Il se traduit par un mépris monarchique pour les politiques publiques, jugées par essences inefficaces, supplantées par un marché « libéré » des normes sociales et environnementales chargé d’organiser la vie économique et sociale. Dès lors se trouve vilipendée l’idée même de République, ses potentialités transformatrices, égalitaires et sa visée fraternelle et solidaire.
On en trouve des illustrations éclatantes, qu’il s’agisse des banlieues, considérées sous le prisme ethnique et élitaire, de l’aménagement du territoire avec la casse du service public du rail, ou des ordonnances de destruction du droit du travail qui soumettent loi commune aux accords d’entreprises.
Ce Blitzkrieg antisocial atteint désormais l’enjeu majeur des retraites. Il ne s’agit plus d’écorner le système de retraites tel qu’il a été conçu à la Libération comme s’y sont attelés chacun des précédents gouvernements depuis une trentaine d’années à coup d’allongement de la durée de cotisation, d’âge du départ ou de baisses des pensions. C’est le système de retraites solidaire par répartition, pilier fondamental de la République sociale, que le chef de l’État cherche, dans sa philosophie profonde, à dynamiter.
Pour ce faire, M. Macron se pare des atours du « dialogue » en proposant, par la voix du Haut commissaire nommé à cet effet, de demander leur avis aux français. Mais les termes du soi disant dialogue risquent de vite doucher ces prétentions démocratiques. Ainsi faut-il d’ores et déjà comprendre que le futur système de retraites sera un système par points ou chaque euro cotisé sera un euro versé, perpétuant et accentuant à l’âge de libération du travail salarié les inégalités de la vie active, faisant par exemple payer à vie au chômeur les conséquences de son chômage.
Il s’agit une contre-révolution d’une très grande ampleur où le système de retraites n’aura plus vocation à corriger les situations inégalitaires telles que les subissent les travailleurs aux faibles rémunérations, mais à les conforter. Si des amortisseurs sociaux sont pour l’instant promis par le pouvoir, leur financement ne passera plus par les cotisations mais par l’impôt … surtout l’impôt indirect conformément aux préceptes bruxellois ! Ce système rend caduque la durée de cotisation : chaque individu pourra décider, en fonction de son collectage de points, de la date de son départ en retraite. Mieux vaudra être riche et bien portant !
Pour enfoncer le clou, le gouvernement propose de réaliser l’un des rêves les plus fous du MEDEF : faire entrer le loup des fonds de pension dans la bergerie de la République sociale. La possibilité laissée aux revenus excédant les 120 000 euros d’épargner par capitalisation acterait la sécession des plus riches, déjà bien entamée depuis le début du quinquennat, et l’abandon de toute solidarité de ces derniers envers l’ensemble du corps social et des travailleurs.
Pour parvenir à ses fins, le gouvernement cherche à mettre à genoux les organisations de défense collective, au premier rang desquelles celles qui se battent dans l’unité pour la défense du service public du rail, espérant ainsi déblayer le terrain pour atomiser l’une des plus belles conquêtes sociales de la République. Il n’a pas gagné la partie si la réplique la plus unitaire se prépare sans attendre.
2 commentaires
J’ai 63 ans, j’ai travaillé environ quinze ans avant de percevoir une pension d’invalidité.
Mon revenu est de 700 euros.
Je quitte mon appartement, car il est trop grand pour une seule personne.
Je suis communiste depuis 40 ans et j’entends bien le rester jusqu’à la fin de mes jours.
Je milite peu, car ma santé est précaire.
Je ne peux pas faire de don pour l’Humanité, mais je suis de tout coeur avec vous.
L’opposition entre cotisation-prévoyance et cotisation-salaire, est le schisme fondamental des progressistes authentiques. En effet je crains que la gauche de gauche n’ait pas mesuré, en matière de retraites, les conséquences désastreuses de la « lutte pour la répartition contre la capitalisation » telle qu’elle a été menée en 2003. Il est vrai que sous Juppé quelques velléités de régimes en capitalisation, poursuivies par Jospin, avaient à juste titre alerté contre ce danger. Mais que cela ait entraîné tout le mouvement de 2003 dans une « défense de la répartition » a empêché de voir que la réforme n’était pas dirigée contre la répartition (ce que la CFDT a eu beau jeu de montrer), mais contre la répartition telle que la pratiquent le régime général et les régimes statutaires. L’enjeu de la réforme des pensions menée avec tant de détermination depuis 25 ans par les gouvernements successifs sous la houlette intellectuelle de Rocard est d’imposer les pensions fondées sur le décompte des cotisations contre les pensions fondées sur le remplacement d’un salaire de référence, parce que ce qui se joue dans ce conflit, c’est la production de la valeur et non pas sa répartition.
La cotisation-prévoyance, c’est celle du « j’ai cotisé, j’ai droit » qui préside déjà à l’AGIRC-ARCO et à tous les comptes personnels que la CFDT et le MEDEF construisent, ANI après ANI, et que le gouvernement Valls a entrepris de regrouper dans le CPA et d’étendre aux indépendants. La pension est alors un revenu différé né de la « solidarité intergénérationnelle » : quand je suis retraité, j’ai le droit de bénéficier des cotisations des actifs en retour de la part de mon salaire que j’ai consacrée aux inactifs quand j’étais moi-même actif. C’est le fonds de commerce des réformateurs, qui entendent fonder le droit à pension sur les cotisations de la carrière. Ils ont gagné cette bataille idéologique parce que c’est sur ce terrain – leur terrain – qu’a été menée la « défense de la répartition » : certes la stricte contributivité des prestations était contestée par les opposants à la réforme, mais pas du tout la légitimité du fondement du droit à pension des retraités dans leurs cotisations passées. Quel tract syndical alors contestait la prise en compte de la carrière dans le calcul de la pension et proposait la suppression des annuités ? On a plutôt assisté, jusqu’en 2010, à notre enlisement dans des propositions d’autre calcul de la « carrière complète » (réduire sa durée, inclure des temps non cotisés), ce qui légitimait celle-ci comme fondement du droit à pension.
Contre la cotisation-prévoyance des régimes complémentaires, la cotisation-salaire, elle, a été construite en 1946 par la CGT et le PCF dans le régime général et dans ceux des salariés à statut, sur le modèle de celui des fonctionnaires. La pension y est construite non pas comme la contrepartie des cotisations de la carrière, mais comme le remplacement du meilleur salaire à un âge politique : les termes essentiels sont ici « 75 % du brut », « salaire des six meilleurs mois », « cinquante-cinq ans (cinquante pour les métiers pénibles) ». Nul droit au loisir après une longue vie de travail dans cette revendication du droit à la continuation à vie du meilleur salaire à un âge où l’on est parfaitement en mesure de produire de la valeur. Mais cette valorisation de l’activité du retraité comme travail dans un salaire à vie libéré du marché du travail, telle qu’en posent les prémisses le régime général, ceux des fonctionnaires ou des salariés à statut, se heurte à une telle hostilité de la classe dirigeante (alors que la cotisation-prévoyance ne lui pose aucun problème, fût-elle en répartition) qu’on ne peut continuer à l’affirmer qu’en reprenant la bataille de la CGT des années 1950 pour le déplafonnement du régime général et la suppression des régimes à points, en continuant la bataille pour l’abaissement de l’âge de la retraite (de 1945 à 1982, le mot d’ordre est passé de 65 ans à 55 ans, un âge qui, dans l’esprit des dirigeants, devait encore baisser), et en menant une bataille, elle nouvelle, pour la référence au seul salaire des 6 meilleurs mois dans le privé (comme c’est le cas dans la fonction publique et les régimes spéciaux) et pour la suppression des annuités dans le calcul d’une pension clairement posée comme continuation du salaire dont la légitimité vient du travail des retraités.
Mais pour mener cette bataille, il faut théoriser la pratique salariale de la valeur contre sa pratique capitaliste. Pour nous en tenir aux pensions, il y a une pratique capitaliste de la répartition qui veut qu’on ne produise que si l’on valorise dans l’emploi le capital des propriétaires et des prêteurs : les retraités (comme les fonctionnaires d’ailleurs) sont de ce fait définis comme improductifs par la classe dirigeante et ont droit à la « solidarité » des actifs tout comme ils avaient eux-mêmes, dans l’emploi, cotisé pour des non productifs. C’est l’AGIRC-ARCO et son revenu différé. Mais, contre cette pratique capitaliste, se met en œuvre depuis 1946 une pratique salariale de la répartition : comme elle le fait avec le statut de la fonction publique, la classe ouvrière, en instituant dans le régime général et les régimes statutaires le salaire à vie des retraités, institue une autre validation sociale du travail que l’emploi capitaliste, elle commence à élargir le champ du travail productif à l’activité des fonctionnaires et des retraités. Elle modifie la pratique de la valeur, puisque le travail, source de la valeur, n’est plus cantonné à l’emploi capitaliste : des retraités sans employeurs voient leur activité validée par l’obtention d’un salaire.
Il y a donc for à craindre qui si nous nous défendons (une fois de plus) avec un fusil chargé à blanc contre les attaques de Macron, continuateur des œuvres dites « réformistes », le terrain rhétorique, déjà, lui soit acquis.