André Lajoinie, l’humanisme au cœur

le 26 novembre 2024

On a beau s’en douter, s’y préparer, quand vient la mauvaise nouvelle elle vous percute, elle vous déchire aussi violemment qu’on arrache les pages d’un livre où est écrit plus d’un tiers de siècle  de vie, de relations, de travail commun et d’émancipation. Le chagrin se hisse à la mesure de l’admiration.

André Lajoinie a été pour moi tout à la fois un camarade, un tuteur, un formateur, un entraîneur. Avec constance, il a agi avec moi comme un père avec son fils, tendre et exigeant à la fois, rude au travail et affectueux. André était profondément humain et attachant, étranger à la grandiloquence. Passeur de connaissances et d’expériences, pétri d’une éthique communiste dont jamais il ne déviait. Le respect de l’autre quel qu’il soit, quelque soit sa position dans la société était pour lui une exigence, une valeur fondamentale, un comportement constant. Considérant que cette exigence conditionnait la confiance réciproque, il  n’y avait jamais de rendez-vous non honoré, jamais de lettre qui ne recevait réponse.

De sa terre natale de Corrèze, de ses terres d’élections de l’Allier et de l’Auvergne, il avait gardé au cœur la simplicité, la modestie, le soin au travail. Il en tirait une volonté indéfectible de se dépasser sans cesse pour servir au mieux les travailleurs, les paysans, les créateurs et intellectuels, la jeunesse.

Cette jeunesse qui se retrouva en force avec lui et le mouvement des jeunes communistes pour un grand rassemblement à la Bastille pendant sa campagne en vue de l’élection présidentielle de 1988.

Ces racines profondes, solides, lui ont sans doute permis d’affronter tant de bourrasques, d’insupportables moqueries d’une certaine classe bourgeoise et sa clique journalistique pétris du mépris des classes populaires et d’anti communisme forcené.

Aujourd’hui encore, j’en vois encore dans le confort de leur studio de télévision, verser leurs larmes de crocodiles sur la faiblesse du parti communiste dans les usines et les quartiers,  ceux-là même qui n’ont eu de cesse d’en rêver et d’y travailler ardemment. Seul de grands journalistes comme Bernard Pivot ou Marcel Jullian furent honnête. Ce dernier au lendemain d’une grande émission de télévision avait eu l’audace d’écrire un bel article intitulé : « un homme est né » pour vanter la profondeur de ses qualités humaines et politique, ses connaissances des diversités Française.  

Mais face aux  meutes, André Lajoinie, le paysan lettré, le militant, le dirigeant communiste, sorti de l’école avant l’âge de 14 ans s’est toujours tenu droit, posé, déterminé.  A  la demande du collectif de direction du parti communiste il fut le premier dirigeant de gauche à affronter Mr Le Pen et à dévoiler devant des millions de téléspectateurs ses criminels agissements durant la guerre d’Algérie, son antisémitisme et la banalisation de la Shoah.

La campagne des élections présidentielles de 1988 fut rude, très rude. Le résultat aussi. Entre les élections présidentielles de 1981 avec Georges Marchais, le parti communiste reculait -malgré sa grande popularité d’André Lajoinie-  encore de près de 8%. Evidemment atteint, André repartit au combat avec toute sa lucidité, à l’Assemblée nationale et dans tout le pays en tentant de surmonter bien des difficultés.

Il fut avec Philippe Seguin celui qui porta l’estocade au Parlement contre le traité de Maastricht. Il fit voter au terme d’une campagne épique, contre vents et marées, au début de l’année 1993 une loi anti-licenciement boursier que la droite s’empressera de détruire par la suite. Elle serait bien utile en ce moment aux salariés de Michelin, Auchan, Sanofi et tant d’autres. Tout aussi épique fut cette longue et victorieuse campagne réclamant « 40 milliards (de francs) pour l’école pas pour le surarmement ». Combien d’interventions, de lettres, de pétitions, de déplacements chez les premiers ministres et ministres de l’éducation nationale pour l’obtenir ? Autant d’actions communistes qu’il est utile de se remémorer pour secouer les portes de l’espoir.

Collaborateur de Waldeck Rochet au secteur agraire du comité central du parti communiste et à l’hebdomadaire populaire et rural La Terre, avant d’en être lui-même le directeur, André avait gardé l’authenticité lié au terroir, l’écoute, l’intelligence politique  et la volonté permanente de cultiver le communisme originel, ce mouvement réel qui dépasse l’état de choses existant en osmose avec les citoyens, les populations, les travailleurs.

Sa conception du journalisme et de La Terre était celle de l’information rigoureuse, de l’ouverture, de la pédagogie, du service et de l’aide à la réflexion. De nombreux chercheurs qui ont étudié son parcours et son action associe son nom à ce qui est appelé « le communisme rural ». Il y a du vrai dans ce terme. Cependant, André Lajoinie était le visage d’un communisme reliant en permanence l’exploité des villes et l’exploité des champs, faisant sienne l’idée marxienne de l’unité des exploités pour un  processus de transformations structurelles.

Combattant l’usure des corps comme celle de la terre. Il habitait à la fois, à deux pas des usines Alsthom et Râteau, dans la ville populaire de La Courneuve et dans sa permanence parlementaire de Saint-Pourçain-sur-Sioule face à la cave coopérative. Son épouse Paulette première adjointe au maire de la Courneuve permettait d’amalgamer les aspirations de celles et ceux qui habitaient ces « hautes maisons » de la cité des 4000 de La Courneuve où il habitat longtemps et ceux des multiples terroirs de France. De même, Il bénéficiait sans cesse avec bonheur, des regards critiques et des idées imprégnées de la jeunesse  de son fils Laurent.

Habitant actif de la cité des 4000 de la Courneuve dans les années 60, engagé  avec son épouse Paulette dans plusieurs associations locales, ils labouraient profond et large le terrain de la solidarité en actes, de l’altérité, et de la production de commun entre travailleurs, jeunes, habitants d’origines, d’opinions , de religions diverses, pour faire cité ensemble, vie ensemble, ville ensemble. Produire du commun, pour l’amélioration des écoles, des logements propriété alors de la ville de Paris, pousser à la rencontre ou à l’action pour défendre les droits humains.

Acteur de la campagne de ce que l’on a appelé « liberté pour les dix de Renault Billancourt » dès l’été1986, il se lança avec  Pierre Goldberg le maire de Montluçon, dans une incroyable bataille contre le licenciement le 15 janvier1986, d’un jeune ouvrier de l’usine Dunlop Montluçon, Alain Clavaud. Il portait toujours haut les combats de la classe ouvrière.

Le retour de son travail en circonscription des vendredis, samedis et dimanches était toujours le moment pour lui de nous apporter des brassées de réflexions à intégrer dans ses manières de s’exprimer, d’intervenir au parlement, d’enrichir les débats et les réflexions de son parti.  Mais toute la semaine, le téléphone  de maires de sa circonscription, d’élus  communistes de toute La France, de la permanence parlementaire dans L’Allier, de la secrétaire générale du groupe communiste à l’assemblée, Mimi Pulvermacher de la rédaction et de l’administration de La Terre sonnait pour entendre remarques, opinions et propositions d’actions. Il fallait sentir le pays, sentir ce qui bruissait et bougeait.

Combien de fois ne m’a-t-il surpris par ses connaissances du pays et du monde, par sa perspicacité et ses anticipations sur une multitude d’événements et de questions : l’existence du mur de Berlin, la nature des échanges internationaux ou l’écologie. Sa connaissance de la Révolution Française et sa passion pour St Just. Tant d’autres encore. Il n’était pas sans question sur la nécessité d’une métamorphose politique du parti dont il était l’un des dirigeants les plus éminents. Il revendiquait régulièrement le doute cartésien. Il milita ardemment pour réhabiliter Renaud Jean et Georges Guingoin dont il n’avait jamais supporté qu’ils fussent sanctionnés par leur parti.

Ne supportant ni dogme, ni sectarisme, ni jugement à l’emporte-pièce, André éveillait sans cesse l’esprit critique, n’hésitait pas à  mesurer la faiblesse de l’un de nos arguments face à un ministre à l’Assemblée nationale. S’ouvrait alors une période d’intense travail pour être convaincant. Il fallait être aussi convaincant et respectueux face à un ministre, que face à l’ouvrier de Cusset ou du paysan de Saint Pourçain.

Bien plus encore que ses propres élections de député, la joie la plus grande que je l’ai vu exprimer a été cette mémorable soirée  de Mars 1998, lorsque les communistes devinrent majoritaire au conseil général de L’Allier ouvrant la voie à la présidence de Jean Claude Mairal.

Homme d’état, il était capable dans la même journée de discuter d’égal à égal avec des ouvriers de Renault, un ministre, un chef d’entreprise, une artiste tout en allant découvrir un film dont il avait entendu parler dans une réunion de la direction du parti communiste. Et, aucun de ses collaborateurs ne peuvent oublier les indispensables « derniers livres » qu’il fallait   procurer chaque semaine à celui qui avait, enfant, appris à lire à la lueur d’une bougie dans la maison familiale. Et, une pile de livres à lire pendant les congés grandissait à l’approche du  mois d’août. André puisait sa culture autant dans la rencontre avec l’autre, ouvrier, créateur, médecin, ou scientifique que dans ses nombreuses lectures. Il avait notamment beaucoup étudié l’histoire de la révolution française et l’histoire du Bourbonnais. 

Enfant du peuple et de la campagne, Il était de cette génération de dirigeants communistes se hissant toujours à hauteur de l’homme ou de la femme d’État par un travail permanent et collectif, par la recherche et la consultation des meilleurs spécialistes de multiples disciplines. Un travail d’apprentissage conscient et critique par souci de la novation communiste, dans un pays où elle a fait ses preuves notamment avec la sécurité sociale, le statut de la fonction publique, la construction d’Électricité de France (EDF), de la défense et la promotion de la culture.

C’était un autre temps. Pourtant pas si éloigné. Il n’est jamais inutile de s’inspirer du meilleur de ces périodes. Je dois beaucoup à André Lajoinie. Je ne lui serai jamais assez reconnaissant de m’avoir fait vivre une extraordinaire expérience, de m’avoir ouvert de nouveaux horizons, après m’avoir enlevé de mon Morbihan natal.

La maladie l’avait contraint depuis de nombreuses années à se retirer. Mais son leg reste immense au parti communiste, à sa fédération de L’Allier et au monde du travail des usines, des champs, de la recherche et de la création. Un exemple d’abnégation, de travail et de militantisme au service d’un communisme de notre temps. Son exemple peut et doit inspirer.

À jamais je garderai en moi une part de lui-même. Pourtant à jamais il me manquera.

Patrick Le Hyaric

26 novembre 2024


1 commentaire


Collas Marianne 26 novembre 2024 à 21 h 48 min

Bel hommage à André que je n’oublierai pas non-plus…tu as tout dit…toutes mes condoléances

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