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Par Patrick Le Hyaric*
Comment l’autocrate du Kremlin peut-il arguer que les Ukrainiens sont frères et cousins des Russes tout en leur envoyant ses chars et ses missiles ? Son cœur doit être aussi dur et sec que le marbre de la longue table à laquelle il reçoit ses hôtes pour frapper ceux qu’il appelle « ses frères », détruire leurs habitations, écoles, hôpitaux et maternités, raser leurs villages et quartiers ou encore organise la terreur nucléaire en ciblant la plus grande centrale nucléaire d’Europe. À la hauteur de la colère qui nous envahit, la Cour pénale internationale aura à qualifier ces crimes de guerre.
Comme l’ont réclamé la résolution des Nations unis, très largement votée, et les mouvements pour la paix samedi 5 mars, tout doit être entrepris pour que la raison l’emporte. Il convient d’accueillir les réfugiés et d’obtenir des couloirs humanitaires. Mais aussi que les chars russes sortent d’Ukraine et que les voies de la diplomatie s’ouvrent. Non pas, à partir des fantasques projets de grand empire russe de l’hôte du Kremlin, mais à partir de l’intérêt et de la souveraineté des peuples et du respect de tous les engagements pris : ceux du Parlement ukrainien en 1991 de rester un pays n’adhérant ni à un camp, ni à un autre ; ceux des Russes qui ont signé un traité reconnaissant l’Ukraine comme un État souverain ; et, enfin, l’engagement ne pas élargir l’OTAN aux frontières de la Russie. C’est le seul chemin de la paix.
Nous devons garder à l’esprit que ni le peuple russe, ses travailleurs, intellectuels et créateurs n’ont jamais été consultés sur le déclenchement de cette guerre. Ils en sont et seront aussi les victimes. Ce n’est que le choix d’une petite clique de vieillards autocrates, vivant dans de somptueuses datchas, les palaces et les yachts, jusque-là bien protégés par les capitalistes occidentaux. Pendant qu’ils sèment le malheur et l’angoisse les cours de Bourse des marchands de canons du monde entier flambent. Ignoble !
Négocier signifie le retrait des troupes russes. Cela signifie tout autant le refus d’épouser les vues de l’impérialisme américain et de l’OTAN, dont la liste des méfaits guerriers est longue, et pour lesquels le piétement du droit international est une vieille habitude. Avec la stratégie des faucons du Kremlin, l’Ukraine deviendrait un immense champ de ruines et la Russie une prison verrouillée. Les peuples européens et au-delà, déjà aux prises avec la pandémie et dans l’obligation d’affronter les effets du changement climatique, connaitraient une régression inconnue depuis très longtemps. Ajoutons que la militarisation des relations internationales et leur nucléarisation portent les germes d’une apocalypse.
Refuser cette course vers le néant, c’est aussi éviter d’allumer la petite étincèle qui, même par accident ou maladresse, embraserait toute l’Europe. La France a donc raison de ne pas rompre les contacts avec Moscou. Un pas de plus pourrait être franchi en intégrant, dans des discussions, les dirigeants chinois et indiens, qui, en s’abstenant au Conseil de sécurité de l’ONU, n’ont pas ouvertement soutenu Poutine. En même temps, il conviendrait de mettre à l’ordre du jour des discussions, à l’ONU et à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), l’organisation d’une conférence paneuropéenne visant à garantir la sécurité de chaque nation du continent, de l’Atlantique à l’Oural. Elle aurait notamment à discuter de la réduction des missiles de moyenne portée. Le chemin est certes difficile, mais tout doit être entrepris pour faire baisser les tensions.
La proposition de la présidente de la Commission européenne d’accueillir l’Ukraine au sein de l’Union européenne libérale est plus que stupéfiante. Il n’y a rien de tel pour donner prétexte à M. Poutine de ne pas s’asseoir à la table des négociations. Derrière cette proposition se cache la volonté, poussée par certains cercles, de créer les conditions de l’élargissement de la guerre puisque l’article 42 alinéa 7 du traité européen introduit une clause de défense mutuelle entre pays de l’Union. Dans ce cas précis, les forces militaires, notamment françaises avec l’OTAN, deviendraient directement partie prenante. Ce serait l’embrasement.
Mieux vaudrait conforter l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine en vigueur depuis le 1er septembre 2017, en le réorientant sur des bases de progrès social et de développement humain commun. Ceci valide la nécessité de changer la nature de l’actuelle construction européenne pour l’engager vers une association de peuples et de nations souverains, libres et associés pour un projet progressiste au service des hommes et de la nature. De même, l’envoi d’armes lourdes à l’Ukraine est porteur de risques, si l’armée russe venait à frapper les convois les transportant. Il est de plus contraire au traité international contre le commerce des armes. Enfin, le « réarmement » de l’Allemagne, à la hauteur astronomique de 100 milliards d’euros sur un seul exercice budgétaire, est une nouvelle alarmante, comme la volonté de la Finlande et de la Norvège de sortir de leur statut de neutralité.
La voie de la paix n’est ni dans le militarisme, ni dans les nationalismes qui déchirent le monde. L’avenir est à la créativité et à l’action résolue pour la coopération entre les nations et les peuples, pour construire un monde commun, capable d’affronter les défis pour la santé, l’éducation, le recul de la pauvreté et le défi climatique dont le GIEC vient de nous rappeler l’extrême urgence. La refondation de l’ONU, la création de nouvelles instances internationales deviennent des nécessités criantes pour résoudre pacifiquement les multiples conflits qui surgissent. Le projet relancé depuis quelques jours d’une armée européenne comme pilier de l’OTAN, ne s’inscrit aucunement dans un tel objectif. Quelle serait cette armée sans diplomatie commune et sans « peuple souverain » ? Le saut dans le fédéralisme européen et la militarisation du continent porte bien plus de dangers qu’il ne résout de problèmes. Ce sont au contraire des initiatives de désarmement graduel, contrôlé et commun à toutes les nations qui ouvriraient de nouvelles possibilités pour que l’humanité puisse affronter les défis auxquels elle est confrontée.
Il n’y a d’avenir pour la paix et l’harmonie du monde ni dans les projets « euro-atlantique » ni « eurasiatiques » qui se fomentent dans le cadre de guerres intra-capitalistes et nationalistes dont les travailleurs et les peuples sont les fantassins. Ceci renforce encore la nécessité de faire revivre un internationalisme de type nouveau avec toutes les forces progressistes et d’émancipation humaine, à commencer urgemment, en Europe, avec les Ukrainiens, les Russes, les Polonais contre l’arrogance des impérialismes, les prédations du capitalisme mondialisé, pour obtenir un pacte global de sécurité humaine. Solidarité internationaliste, désarmement et paix !
*Patrick Le Hyaric est éditorialiste
Député européen 2009-2019
Paru dans L’Humanité du 7 mars 2022
5 commentaires
Plusieurs idées du vingt et unième sens allant dans le sens du désarmement pour arriver un jour à la paix gratuite, allant dans le sens des universalismes des pays en
respectant leur république authentique originale notamment et de sorte de ne jamais à avoir à disputer du territoire par de la guerre… C’est bien de proposer comment construire une désescalade en même temps que cette construction peut être de nature et il faut des débats démocratiques, pour continuer à entrer dans le nouveau monde, monde du vingt et unième siècle qui devait être un monde sans course aux armements et sans guerre.
bfIvqPgzVWQxyU
Tant les harangues que les identités sont vaines face aux bombes, n’est-ce pas ?
zuavon
fabien roussel