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Peut-on, sur nos chaînes de télévision, continuer ainsi à disserter avec de telles banalités sur les deux événements majeurs – la guerre et les bouleversements climatiques – qui bousculent et menacent notre commune humanité ?
On a bien droit à chaque bulletin d’information aux images des dramatiques incendies dévorant l’île de Rhodes en Grèce et consumant des forêts entières au Canada ou en Californie, ainsi qu’aux vidéos des orages et des averses fracassantes, à celles des tornades, nées au cœur des dômes de chaleur, emportant tout sur leur passage. Les effets des bouleversements climatiques sont ressentis directement et, désormais, en temps réel, par une grande partie de la population mondiale.
Au mois de juillet, des records de chaleur ont été pulvérisés, avec leur lot de sols craquants et brûlants, de mers devenues d’immenses casseroles sur le feu dans lesquelles étouffent les poissons, de violentes crues et de mégafeux dévastant sur leur chemin tout ce que possèdent les habitants, des infrastructures communales.
Seulement, contrairement aux apparences que projettent les écrans de télévision, il ne s’agit pas là de « phénomènes naturels » au sens strict du terme. Ces images cachent la main de l’activité humaine ou, plutôt, d’un système impulsant un mode de développement dont une part des profits est permise par l’émission effrénée de carbone dans l’atmosphère : au-delà de l’anthropocène, c’est le capitalocène.
Les profits des majors du pétrole et du gaz progressent aussi vite que se réchauffe notre unique Terre. Notre planète continuera de bouillir tant que le système qui régit ce monde ne cessera de rejeter du carbone dans l’atmosphère alors que nous entrons dans une phase critique du changement climatique.
Il est curieux que les
grands médias, de plus en plus détenus par le grand capital privé, n’aient pas
fait grand cas de la pressante et angoissée alerte lancée par le secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) : « L’ère du réchauffement climatique est
terminée. L’ère de l’ébullition mondiale est arrivée », a cinglé M. Antonio Guterres le 27
juillet dernier.
Au même moment, le journal espagnol El Pais a rendu compte des
propos d’une scientifique allemande affirmant que « même sans réchauffement supplémentaire, ce siècle sera plus chaud que
n’importe quelle période similaire au cours des 120 000 dernières années ».
Voilà qui donne l’amplitude du problème ! On ne peut laisser faire ! La planète se trouve à un point de basculement qui a déjà de redoutables conséquences sur la vie humaine et animale, sur la nature et les océans.
La revue Nature Médecine a évalué à 61 672, le nombre de personnes décédées en Europe, des suites de maladies liées à la chaleur, au cours des trois mois de l’année 2022 où les températures ont été le plus élevées. Avec 45°C atteints au cours de ces semaines de juillet en Italie, en Espagne, en Grèce et au Portugal, on peut s’attendre cette année à un bilan a minima similaire.
Ce sont les personnes
âgées et les sans-abri qui sont généralement le plus touchés par les fortes
chaleurs, mais aussi les travailleurs, dans les usines surchauffées, dans les
activités du bâtiment ou de l’agriculture.
Ce sont donc les plus fragiles, les plus pauvres et la classe ouvrière qui
subissent de plein fouet les effets du réchauffement climatique pendant que
gouvernements et entreprises signent textes et traités qu’ils s’empressent de
ne pas appliquer pour, selon leurs propres termes, « ne pas perdre en
compétitivité », autrement dit,
pour ne pas mettre en cause les mécanismes mêmes du capitalisme. Ainsi, pour
eux, l’ouvrier et la nature, comme la biosphère, ne sont que des instruments de
leur damnée « compétitivité »
qui conduit droit au néant !
Leur pensée court-termiste (fondée sur des tableurs Excel qui mesurent les taux de marges que permet la surexploitation de l’humain et de la nature) ne les conduit même pas à envisager que l’économie mondiale ne sache résister au changement climatique.
C’est pourtant ce qui
ressort des travaux de la société australienne d’analyse des risques
climatiques, XDI, spécialisée dans le « conseil aux
décideurs », publiés le 20 février dernier*. En prenant en compte les
manifestations concrètes de l’impact de ce réchauffement généralisé
– inondations côtières et fluviales, chaleurs extrêmes, feux de forêts,
mouvements de terrain liés aux sécheresses, vents extrêmes, cycles de gel et
dégel – le classement établi par l’institut montre que les centres névralgiques
des productions nationales et de l’économie mondiale seront lourdement
touchés : les grandes provinces chinoises jouant un rôle décisif dans la
production mondiale tout comme, aux États-Unis, la Floride, la Californie ou le
Texas.
Chine, Inde et États-Unis représentent plus de la moitié des territoires à
risque pour l’économie. Huit grandes régions françaises se trouvent dans
les trois cents premiers territoires les plus vulnérables, et des villes comme
Londres, Milan, Munich, Anvers figurent dans la liste des métropoles les plus
exposées.
Enfin, le réchauffement climatique constitue un facteur de menaces supplémentaires sur la paix mondiale. À la guerre pour les énergies risquent de s’ajouter les guerres pour le contrôle de « l’arme alimentaire ». Déjà, les changements du climat menacent l’approvisionnement alimentaire mondial. D’ici 2050, plus d’un milliard de personnes auront un accès insuffisant à l’eau ; 90 % des sols pourraient être dégradés alors que la demande alimentaire mondiale pourrait croître de 60 %. Pas besoin d’être devin pour percevoir qu’un tel contexte apportera plus d’instabilité, plus de conflits, qu’il poussera à plus de migrations et, au final, à plus d’insécurité humaine globale.
Face à un tel tableau et après le puissant appel du secrétaire général de l’ONU, l’urgence devrait être de préparer une réunion internationale de tous les chefs d’États et de gouvernements du monde, avec un double ordre du jour : premièrement, décider des modalités et d’un calendrier visant la résolution de tous les conflits et guerres et, deuxièmement, la recherche du chemin immédiat pour diminuer drastiquement l’utilisation des énergies carbonées qui, elles-mêmes, sont génératrices de domination des peuples ou de guerres.
Une telle initiative ne peut se tenir sans une mobilisation exceptionnelle des peuples, unis dans l’objectif de dépasser ce système de plus en plus militarisé. Une telle planification pour la transition des modes de production et de vie doit se combiner à la mise en œuvre d’une garantie de moyens décents d’existence pour chaque habitante et habitant de la planète. « Pas possible ! Illusoire ! Pas finançable ! », répondront une nouvelle fois les économistes et penseurs de la doxa néo-libérale. Mais puisque dans la période de la pandémie, il a bien fallu créer de la monnaie pour faire face aux besoins, il faudra en faire de même pour financer la transition environnementale en changeant radicalement le rôle des institutions bancaires nationales et mondiales, en limant jusqu’à la gencive les dents des marchés financiers et en mettant fin à l’hégémonie du dollar sur l’économie globale, au profit d’une monnaie commune mondiale décidée en commun par tous les États de la planète.
Il faudra choisir : les profits d’une infime minorité ou mourir. La barbarie ou la sortie du capitalisme. Il y a urgence dit, dans son appel, Antonio Guterres ! Pourtant on sait que cette réunion internationale ne se tiendra pas sans un puissant mouvement des citoyens du monde entier. L’appel de Karl Marx à l’union des travailleurs du monde entier demeure de pleine actualité.
En effet, loin de réduire l’utilisation des énergies fossiles, la guerre qu’a lancée V. Poutine contre le peuple ukrainien sert la volonté des États-Unis de livrer, en Europe, leur gaz de schiste en remplacement du pétrole et du gaz russe. Le gouvernement américain se targue de dépenser 80 milliards de dollars par an jusqu’en 2027, soit un total de 320 milliards de dollars, pour les technologies et les énergies propres alors qu’il vient de consacrer bien plus que le double de cette somme, 876 milliards de dollars, à ses dépenses militaires pour la seule année 2022. Et, partout, les États augmentent leurs budgets de la défense, grande pollueuse mondiale**.
En même temps le gouvernement du Royaume- Uni vient de donner aux multinationales des centaines de licences d’exploitation pétrolières en mer du Nord. Lors de leur réunion il y a quelques jours, les ministres de l’Environnement du G20 ont refusé de s’engager ensemble sur un plafonnement des émissions de gaz à effet de serre***. Et, au nom du respect de la propriété privée, le gouvernement français n’a rien à dire sur les forages pétroliers de Total en Ouganda. Voici une bonne question à débattre ! Au nom de l’intérêt général humain, n’est-il pas temps de construire un processus d’appropriation sociale et citoyenne de ces trusts pour qui les juteux profits priment sur le climat et la biodiversité ?
La fin des conflits
existants et de la guerre en Ukraine est aussi une condition pour établir un
nouveau dialogue mondial, de nouveaux types de coopération, pour sauver des
vies humaines et l’environnement. Cette guerre est bien trop banalisée alors
qu’il apparaît que le nombre de morts qu’elle a provoqués dépasse déjà celui de
cette boucherie que fut la Première Guerre mondiale. Jeunes soldats ukrainiens
et russes sont jetés les uns contre les autres pour une cause qui désormais les
dépasse. Les appels à la paix ne sont entendus ni du côté de l’OTAN ni de
l’oreille russe. Les conscrits ukrainiens meurent par milliers, dans un curieux
silence médiatique, en s’avançant dans les champs de mines et les tranchées.
Au nom de l’humanité même, il est urgent d’arrêter cette guerre et de
rechercher un système garantissant la sécurité de tous les peuples européens,
ukrainiens et russes en tête, condition des indispensables progrès de la
sécurité climatique et environnementale. Même l’Arabie saoudite se joint aux
nations se déclarant prêtes à organiser une médiation de paix. Cela ne peut
dépendre de l’OTAN, mais de l’ONU qui doit disposer des moyens politiques et
financiers pour faire cesser les guerres et impulser une planification
écologique mondiale.
L’enjeu est aussi simple que douloureux : vie ou mort de la civilisation humaine !
Patrick Le Hyaric
1er Aout 2023
* Consultable sur son site.
** Pour exemple, le budget militaire 2023 de la Chine s’élève à de 225 milliards de dollars, soit une augmentation de 7 % en un an. ; celui de la Russie s’est monté à 86,4 milliards de dollars en 2022, en augmentation de 9 % sur 2021.
*** réunion des ministres de l’Environnement du G20 à Madras le 28 juillet 2023, Inde. Les pays du G20 représentent à eux seuls plus de 80% du produit intérieur brut mondial et la moitié des émissions des émissions du CO2 sur la planète.
2 commentaires
combien de “catastrophes” faudra-t-il encore “vivre” pour que l’on comprenne enfin que l’enjeu essentiel de la survie, le combat contre le dérèglement climatique, est la question fondamentale de la lutte des classes du notre temps ?
Je partage toute cette analyse et cette alerte sur l’urgence.
Un bémol : l’équivalence entre la boucherie de la Première Guerre mondiale et les dégâts humains provoqués jusqu’à présent par la guerre russo-ukrainienne ne me paraît pas du tout crédible : dans un cas, des dizaines de MILLIONS de morts, disparus, blessés et mutilés, dans l’autre, des dizaines de MILLIERS !!!