Face aux convulsions du monde, l’urgence d’initiatives populaire et unitaire

le 19 février 2025

Le croisement des déclarations du président argentin Javier Milei à Davos, l’intervention du vice-président états-unien J.D. Vance à la conférence de Munich sur la sécurité (la MSC), les incursions de Musk sur la planète, la tentative de règlement de la guerre en Ukraine entre Trump et Poutine sans les dirigeants ukrainiens pourtant les premiers concernés, sans les responsables européens, après la volonté trumpiste d’annexer Gaza, le refus sec du vice-président Vance de rencontrer le chancelier allemand Olaf Scholz au profit d’un entretien avec la candidate aux législatives de l’extrême droite AfD, héritière du nazisme, sont autant d’événements cumulés qui marquent nettement un changement d’époque. Un basculement.

Un cycle gravissime peut s’ouvrir si ensemble les peuples européens, avec d’autres dans le monde, baissent la garde, s’ils ne combattent pas les chauvinismes belliqueux et les nationalismes guerriers. La base de la contre-offensive porte sur les idéaux républicains, ceux de la Révolution de 1789 et ceux des Lumières, ceux des grands penseurs et créateurs européens, porteurs d’une culture émancipatrice. À force d’avoir méprisé, ces grandes valeurs humanistes, démocratiques, sociales, féministes, écologistes au profit des tableaux comptables austéritaires sous-tendant la concurrence libre et prétendument non faussée, les dirigeants européens n’ont que leurs gémissements à offrir. Pis, pareils à ceux qui tendent des bâtons pour se faire battre, ils empruntent la rhétorique des dirigeants de Washington, contre le progrès social, contre les normes, contre l’État social, contre les immigrés. À force de se soumettre, ils sont de plus en plus humiliés.

Nous ne nous en réjouissons pas, car ce seront les peuples, les travailleurs et la jeunesse en quête d’avenir, qui en paieront le prix si nous ne parvenons pas à défendre la paix et à défricher les chemins d’une autre construction européenne s’inscrivant dans un après-capitalisme.

Voilà pourquoi, face aux périls qui courent et accourent, fous sont celles et ceux qui font profession de diviser le camp de gauche, le camp de l’émancipation, le camp de la quête de justice et d’égalité en osmose avec le combat pour le climat et le vivant.

Face aux désintégrations que tente de provoquer l’internationale du techno capitalisme libertarien fascisant, l’urgence est à l’unité populaire pour porter le projet d’un post-capitalisme à inventer.

Mesurons et faisons mesurer la profondeur des dangers.

Le discours de Milei à Davos est la théorisation d’une option politique qui n’est pas seulement la contestation du « socialisme » mais, au-delà du reaganisme, le rejet du libéralisme politique et le retour au XVIIIe siècle avant l’éclosion des Lumières. C’est aussi le sens du discours du vice-président nord-américain contre « les réglementations excessives ; contre « l’idée sinistre [sic], injuste et aberrante de la justice sociale ». Autant de discours qui infusent dans les métastases du capitalisme européen et de ses zélés commis politiques.

La haine de l’égalité se superpose désormais dans les bouches des dirigeants nord-américains à une attaque contre tout projet de construction européenne.

Les dirigeants européens semblent surpris, choqués, désorientés, totalement démunis. Leur alignement permanent sur l’imperium ne pouvait pourtant que les placer devant une situation de désintégration de la Communauté européenne. Un projet qui plongerait encore plus les travailleurs et les peuples dans la barbarie économique et guerrière. À la suite du Brexit, les travailleuses et travailleurs du Royaume-Uni en savent quelque chose !

Mesurons la puissance des dangers qui se profilent avec la construction d’un axe de type nouveau entre Washington et Moscou, au long duquel brûle le droit international et au sein duquel le nationalisme en gestation parviendrait à maturation.

La haine du droit international est un projet commun à ce que l’on peut appeler le « capitalisme politique », ce système où des oligarques règnent au Kremlin comme à la Maison-Blanche. Tous deux sont en quête de territoires nouveaux à exploiter. Tous deux sont prêts à de nouveaux partages du monde. Tous deux haïssent la liberté, les droits des femmes et ceux des homosexuels, les immigrés, le progrès social et promeuvent la « liberté » d’exploiter, de spéculer, d’écraser toute opposition, de vociférer sans entrave. Leur culture commune d’un violent nationalisme ne les rend que plus dangereux, tant nous savons que les alliés d’aujourd’hui peuvent être les ennemis en guerre de demain.

La motivation de cette alliance de circonstance se trouve dans la désignation de la Chine comme ennemi principal de l’imperium nord-américain. Celui-ci est rejoint par le poutinisme qui n’a jamais accepté que la Chine lui rappelle la nécessité de respecter les souverainetés territoriales.

Faute d’avoir élaboré une stratégie autonome pour un processus débouchant sur une architecture de sécurité commune du continent en dehors de l’élargissement permanent de l’Otan, les dirigeants européens se trouvent pris en tenaille entre les gargantuesques appétits de l’imperium nord-américain et les forces du nationalisme du Kremlin qui continue de rêver à la « Grande Russie ».

Le peuple ukrainien qui risque de continuer d’être le malheureux pion, qui a déjà beaucoup souffert dans sa chair, pourrait encore douloureusement en faire les frais. Le Fonds monétaire international, les grandes banques et un certain nombre d’oligarques ukrainiens sont prêts à livrer leurs terres rares à la voracité du capitalisme états-unien qui réclame ainsi déjà son retour sur investissement dans la guerre. Et la bagarre pour les chantiers de reconstruction entre firmes capitalistes européennes et nord-américaines commence à faire rage.

Voici que les mêmes demandent aux pays membres de l’Union européenne d’être les supplétifs du maintien de l’ordre, d’une fragile paix, sur le territoire ukrainien face à la Russie, afin de permettre aux forces armées US d’investir la région Asie-Pacifique. Rien de tel pour ouvrir la voie à de nouvelles confrontations militaires. La chose est sérieuse puisque l’administration Trump affirme qu’elle n’interviendrait pas en cas de conflit entre des pays de l’Union européenne et la Russie. C’est l’inversion de l’article 5 du traité de l’OTAN qui prévoit une assistance entre ses signataires.

On aurait grand tort de rester spectateur face à de tels bouleversements. On ne peut non plus laisser croire qu’il s’agit d’événements fortuits ou inopinés. La politique nord-américaine est d’une grande constance, même si nous assistons en ce moment à une brutale accélération. Trump et ses acolytes sont plus clairs, plus directs, plus violents, plus grossiers, mais le terrain a été largement préparé par l’administration Biden. Dès lors qu’ont été imposées les sanctions contre la Russie, les États-Unis, déjà forts de l’extraterritorialité du droit nord-américain et de la prédominance du dollar, ont obtenu de l’UE le droit d’exporter leur carburant GNL (« gaz naturel liquéfié ») et leurs armes, le transfert des données des Européens au moment même où l’administration états-unienne réclamait et obtenait l’accroissement des budgets de défense dans chacun des pays membres de l’Union européenne.

À la faveur de la guerre d’Ukraine, l’Allemagne et la Pologne produisent un effort de réarmement inconnu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne consomme de plus en plus de capitaux publics pour le surarmement alors que son industrie est sans doute la principale victime de la dépendance aux hydrocarbures des États-Unis, notamment dans le secteur automobile. Le sort des travailleurs allemands s’en trouvera de ce fait encore plus dégradé, accentuant la crise politique dans ce pays pourtant présenté jusqu’ici comme l’exemple de « la culture du compromis » et comme la réussite exemplaire de L’Europe néolibérale. Un compromis qui n’est que compromission avec le capitalisme international, lequel exige à présent que le fameux « compromis » s’élargisse à l’extrême droite.

Le choc historique en cours produit d’inquiétantes métastases au sein même de l’UE, avec la complicité active de la présidente allemande de la Commission de Bruxelles, contre la France particulièrement, contre son industrie de défense et sa présence à la table du Conseil de sécurité de l’ONU.

Derrière les discours autour des enjeux de « sécurité commune », d’ « armée européenne », de « boussole stratégique », de « défense commune », se trame au sein du capitalisme européen une guerre sans merci contre les industriels français.

C’est ce qui se joue, par une sorte de coup de force juridique mené par la présidente de la Commission contre l’esprit et la lettre du traité européen avec ce qui est baptisé « le marché unique de la défense ». Les rodomontades et les convocations, par le président de la République, de réunions d’urgence des dirigeants européens auxquels est ajouté l’agressif Royaume-Uni en deviennent ridicules et humiliantes pour la France.

À la suite du rapport Draghi qui mettait en évidence la fragmentation de l’industrie européenne de la défense (qui entraverait sa capacité à produire à grande échelle) et qui appelait les États membres à se concentrer sur « l’agrégation de la demande et l’intégration des actifs industriels de défense », le projet de « marché unique de la défense » tente de ressusciter la « Communauté européenne de la défense » que les gaullistes et les communistes mirent en échec dans les années 1950.

Il se trouve que ce projet est contraire à plusieurs articles au traité sur le fonctionnement de l’UE selon lesquels les États membres conservent la responsabilité de leur sécurité nationale (Art. 4) ; les pays membres continuent de protéger leurs productions et le commerce de leurs armes (Art. 346). L’article 5 du traité stipule expressément que « toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres ». Or, la production d’armes et l’exportation de celles-ci restent de la compétence des États. C’est ce que met en cause la Commission européenne dans ce projet de directive, avec l’accord, notamment, de l’Allemagne et de l’Italie. Ces pays tentent aujourd’hui d’imposer de force l’européanisation du contrôle des exportations sous supervision nord-américaine alors que, déjà, l’intégration du numérique et de l’intelligence artificielle rend l’industrie de défense européenne dépendante des oligopoles états-uniens.

Les Etats-Unis jouent depuis plusieurs années – avec quelques complicités de pays européens et celle de la Commission – sur les rivalités intra-européennes, en particulier entre la France et l’Allemagne, afin d’asseoir définitivement leur domination sur le continent européen sans avoir à s’engager outre mesure.

C’est ce qui se joue actuellement avec le déploiement d’une force de paix en Ukraine alors que, pour l’heure, l’Union européenne est exclue de négociations qui concernent pourtant la paix dans sa région. Dans le même mouvement, les dirigeants nord-américains mènent campagne pour installer durablement en Europe des gouvernements d’extrême droite nationaliste, porteurs d’amplification de guerres sociales, d’extinction de la démocratie et de germes de guerres armées.

Singer cette extrême droite ne fait qu’accélérer sa venue au pouvoir. Affaiblir les droits sociaux et démocratiques, désarmer les travailleuses et travailleurs, mépriser les productions de biens et services utiles aux besoins sociaux et humains, refuser la souveraineté des travailleurs sur les productions, combattre toutes les régulations et les normes pour jeter nos concitoyens dans le feu des guerres économiques, ne fait qu’affaiblir notre pays.

La mobilisation populaire pour la justice, la paix, la démocratie dans la perspective d’un nouveau projet européen construit par et avec les travailleurs et les peuples est d’une grande urgence. L’exigence de la construction d’un front citoyen unitaire, démocratique et progressiste européen pour sortir du piège de l’alignement transatlantique et empêcher un désastre est à l’ordre du jour.

Cet inquiétant contexte oblige les forces progressistes, démocratiques, républicaines. Rien ne devrait les détourner du patient travail de fortification, d’élargissement et d’enrichissement du Nouveau Front populaire et citoyen voulu par les électrices et électeurs de gauche depuis le mois de juillet 2024. Le moment est trop grave, trop sérieux, trop préoccupant, pour jeter du poison sur l’herbe bien tendre de l’union populaire. À rebours de ces stériles crispations, ouvrant grands nos bras et nos cœurs à tous les républicains pour convoquer avec elles et eux, dans chaque ville, des rassemblements et des marches pour la démocratie et la paix.

Patrick Le Hyaric

18 février 2025


3 commentaires


Guiheu 19 février 2025 à 16 h 36 min

Totalement consciente de tes arguments développés qui ouvrent de grands et graves dangers…
Une union des forces progressistes et démocratiques, le renforcement du NFP est une urgence absolue dans un moment où l’alliance du Capitalisme et des fascismes reprend de la vigueur.
Merci Patrick pour cette riche analyse qui une nouvelle fois renforce nos arguments de militants.
Fraternellement
Jocelyne Guiheu

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