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Il est des matins de choc violent. Des matins de nuit. Des jours où l’on reste incrédule et poings serrés. C’est ce qui m’arrive ce jeudi matin à l’annonce brutale du décès d’un ami, d’un camarade, d’une belle personne. « Pascal Beaudet est décédé cette nuit ! » Voilà les mots que murmure Anthony Daguet en entrant, tremblant, dans mon bureau. On a peine à y croire. L’ancien maire d’Aubervilliers qui avait repris son travail à l’Éducation nationale et venait d’accéder à une retraite bien méritée nous a quittés, sans crier gare comme à son habitude, dans la nuit.
Il n’aura pas profité de cette retraite dont le pouvoir veut encore repousser l’âge. Il n’aura pas pu ouvrir les livres qui lui restaient à découvrir, il n’aura pas eu le temps des poèmes à déguster, de la campagne normande à humer en ce début du printemps et des longues échappées à moto à savourer, l’une de ses passions.
Pascal écoutait le cœur du monde et celui de sa ville-monde comme il vous écoutait, en silence. Et du souffle de sa voix tranquille, hésitante à ses débuts, il vous donnait son opinion, toujours avec sagesse. Des mots simples, pesés et soupesés, de bon sens, examinant les avantages et les inconvénients de toute chose, de toutes paroles, de toutes décisions.
Dans cette dialectique, il délivrait son avis toujours respectueux du vôtre, l’intégrant même. Je croyais parfois qu’il s’excusait de donner son avis et plus encore plus de contredire. Au conseil municipal d’Aubervilliers, Il fallait l’entendre répondre aux critiques les plus acerbes des oppositions sans invectives, de façon simple, argumentée, en pédagogue qu’il était, tendant la main sur le chemin de la réflexion, de la connaissance et de l’intelligence.
Il faisait de même dans son parti, sans jamais imposer un point de vue, toujours avec le souci de faire avancer les réflexions et la créativité nécessaire. Nous étions avec lui, il y a encore quelques semaines lors d’une conférence de la section du Parti communiste.
Il aimait les gens, il aimait Aubervilliers et
sa multitude. Il connaissait chaque rue, chaque quartier, chaque
maison. Il y voyait le monde et ses richesses. Ce monde apporté ici
par ces jeunes et ces familles venus de plus de 140 pays pour lesquels il
faisait vivre le goût de l’altérité, de l’écoute, et la mêlée
démocratique. Innovateur ! Quand Jack Ralite, alors maire
d’Aubervilliers, le nomme pour impulser la démocratie participative dans la
ville, Pascal innove, cherche avec les habitants des voies de codécisions
municipales. Il a été maire, conseiller général, puis départemental,
vice-président de Plaine Commune et élu à la métropole du Grand Paris. Il
a dû subir bien des trahisons et des coups bas, au sein de la gauche, avec un
Parti socialiste qui refusa l’union, même au second tour des élections municipales,
pour le faire battre avec l’apport d’une partie de la droite. Il ne
délaisse pas pour autant la population, reste conseiller général puis à
l’élection municipale suivante, il innove et retrouve une majorité en associant
au Parti communiste, des mouvements citoyens, notamment de jeunes. Il
voulait leur donner leur part de responsabilité et de délibérations
communes. Une innovation, une expérimentation qui s’est fracassée sur les
récifs de futiles discordes, d’ambitions personnelles et d’un anticommunisme
cultivé par certains cercles opportunistes.
Au sein de son Conseil municipal, les petits coups bas n’ont pas non plus manqué dès les premières semaines de son second mandat de maire, alors qu’il ne cessait de rechercher le mieux, le consensus, la voie la plus praticable, dès lors qu’elle ne contredisait ni les engagements pris du programme municipal, ni les valeurs humanistes et progressistes, ni la juste représentation de chacune et de chacun. Des torpilles aussi, parfois venues depuis son propre parti, pour l’affaiblir, lui faire mal, l’empêcher de décider en faveur des préoccupations des habitants. Je sais et j’imagine ses angoisses, ses souffrances silencieuses. Lui, un militant si honnête, si droit, si sincère et si fraternel, si doux et proche de chacune et de chacun.
Lui, si épris de littérature et de poésie.
Quel mépris ! Quelle injustice ! Quel manque de reconnaissance ! Ce qu’il a dû endurer me fait toujours réfléchir à la politique et à ses basses pratiques, mais aussi à la haute valeur de l’engagement militant, tant galvaudé et foulé au pied par le venin des querelles, qui font les beaux jours des droites au pouvoir et du système dont les populations ont tant à souffrir. Ses chagrins et ses douleurs intérieures s’envolaient peut-être dans les volutes de ses cigarettes. Il faisait sans doute siens ces vers de Nazim Hikmet :
« Nous avons connu le feu et la trahison
Et nous avons fixé le monde
De nos yeux ardents »
Jamais le souci des enseignants et des élèves, de l’école et de la transmission des savoirs ne le quittait. Il cultivait la République laïque dans ses engagements associatifs, à l’école comme à la mairie. Pas une conversation sans qu’il ne parle de l’école et des enfants de ces « territoires » si délaissés, des banlieues populaires, mis au « ban » depuis les beaux quartiers des ministères.
Dans un autre cadre, un autre rapport de force, Pascal Beaudet aurait fait un excellent ministre de l’enseignement. Pas une intervention non plus, sans la préoccupation de l’accès à la culture. Il poursuivra à sa manière le travail d’une vie de Jack Ralite. Nous voulions suivre son héritage, le faire fructifier et le faire connaître puisque nous avions évoqué le projet de publier un livre des grandes interventions de Jack, annotées par lui-même, aux Éditions de l’Humanité.
Nous perdons un être cher, intelligent et bon ; un serviteur du peuple et de la République. Nous n’y croyons pas. Nous nous y faisons pas. Nous pensons fort, très fort à Sophie, son épouse, que les épreuves n’épargnent pas. Nous sommes à ses côtés, avec nos larmes et notre incrédulité. Nous sommes avec ses deux enfants Maxime et Gabriel. Lui qui a tant réalisé et modernisé Aubervilliers, je souhaite que son nom soit gravé sur une place, une grande rue ou une école.
Avec lui, nous continuerons de lire et de dire ces vers de Pablo Neruda :
« Si je meurs survis-moi par tant de force pure
Que soient mis en fureur le froid et le livide
Que ton rire et ton pied n’hésite pas
Et comme une maison habite mon absence. »
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fabien roussel
fabien roussel