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Après avoir tant brillé, l’été s’étire et glisse derrière l’horizon. Il a été cruel. Brûlant forêts et maisons, asphyxiant êtres humains et animaux, asséchant les rivières, réchauffant les océans, liquéfiant glaciers et banquises… Puis, dans de brutaux renversements, le ciel a déversé les eaux et la grêle, provoquant des dégâts tout aussi destructeurs que les mortels incendies. Le soleil ardent a contraint des trains à l’arrêt… Il a obligé à l’avancement des vendanges quand ses brûlures n’ont pas asséché le raisin qui a pu échapper aux violences d’implacables grêlons. Ses rayons acérés font suffoquer désormais dans nombre d’habitations. Les arbres assoiffés perdent leur feuillage avant l’heure, tandis que des méduses gourmandes de chaleur ont provoqué l’arrêt pendant plusieurs heures de la centrale nucléaire de Gravelines (Nord).
Cet été bouillant est un sévère avertissement, un cri angoissé. Il sonne le tocsin face aux bouleversements climatiques. Son message doit être entendu clairement : cette organisation des activités humaines à partir des énergies carbonées n’est pas durable. Elle n’est plus viable. Elle prépare l’apocalypse. Il n’y a que les majors du pétrole, les multinationales de la chimie, des engrais ou du plastique qui en profitent grassement au détriment de l’avenir humain, animal et végétal. Toutes assoiffées de profits, ces dernières se sont encore distinguées en empêchant la signature d’un protocole mondial pour réduire l’utilisation des plastiques.
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Il faut d’urgence inventer autre chose, un nouveau chemin, sans doute inconnu, pour faire perdurer l’humanité. Ce ne sont pas les lâches dirigeants des institutions européennes, faisant allégeance à Trump en lui promettant d’acheter les armes, le gaz et le pétrole nord-américains, qui ouvriront la voie à ce chemin inédit. Il faut désormais se fixer l’ambition d’arracher au grand capital et à son internationale réactionnaire le pouvoir sur la production et sur le travail.
Difficile à entendre. Difficile à réaliser. Difficile à comprendre, tant il nous faut nous extirper de nos schémas culturels, de nos modes de pensée, de nos cultures politiques, même lorsque l’on prétend faire la révolution.
La révolution ne peut se faire sans intégrer un vaste plan de moyen terme pour une bifurcation démocratique sociale et écologique. De quel droit devrions-nous laisser une infime minorité de possédants, les oligarques des temps modernes, imposer leurs violences, accaparer le monde, nos vies et nos corps, l’air et l’eau, la vie des sols et des abeilles, qu’ils plongent au milieu du brasier de leurs multiples guerres économiques, commerciales, monétaires et militaires ?
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Voilà l’autre basculement que l’été n’a pas freiné : la guerre. Ce mot glaçant qui envahit nos existences et détruit des millions de vies en Ukraine, à Gaza, au Congo, au Soudan ou en Syrie. Le feu des impérialismes attise de nouvelles guerres. Les appétits du capitalisme mutant – pour pousser ses développements numériques, des usages électriques élargis, combinés avec le lucratif commerce des données personnelles – provoquent un déchaînement de pillage des ressources du sous-sol digne d’un colonialisme brutal de nouvelle génération. Par un bout, il surexploite, prolétarise des enfants, des femmes, des hommes réduits en esclavage. Par un autre, nos données personnelles, nos photos et interventions sur les réseaux sociaux sont objets de commerce lucratif. Du Congo à l’Ukraine, de Gaza au Kenya ou au Chili, de puissantes multinationales font fouiller les entrailles de la terre et des océans, mènent la guerre à cette fin.
L’Ukraine vient d’être placée au centre d’un odieux et vaste marchandage entre impérialisme russe et états-unien, sans que s’allume une lueur de paix. Gaza est étouffée, affamée par la stratégie génocidaire du pouvoir israélien d’extrême droite, quand, parallèlement, le vieux projet de partition de la Cisjordanie est à l’œuvre.
Nos craintes maintes fois exposées ici se réalisent, embuées de nos larmes, de notre affection et de nos solidarités avec le peuple palestinien si caricaturé par les droites extrémisées et les extrêmes droites fascisantes mondiales.
On ne pourra pardonner aux dirigeants se payant de sournoises et creuses paroles autour de la justice, de la souveraineté des peuples, de la paix, pour tenter de cacher leur vile complicité avec les crimes et le processus de génocide en cours.
Ils peuvent bien, aujourd’hui, prétendre reconnaître un État de Palestine. Celui-ci est devenu, d’un côté, un vaste cimetière où l’on affame en silence et, de l’autre, un bantoustan rétréci, jour après jour, sous les coups de la colonisation-annexion, support de la relance de l’économie capitaliste.
Rien ne doit amoindrir les mobilisations en cours. Honte à celles et ceux qui utilisent l’accusation d’antisémitisme pour nier le droit international et le droit d’un peuple à bâtir son État, à organiser sa société, à vivre tout simplement. Honte à celle et ceux qui, tout l’été, du sommet de l’OTAN en génuflexions appuyées sur le terrain de golf de Trump en Écosse, jusqu’à la visite il y a deux semaines dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, ont définitivement enseveli le projet d’une Europe autonome et libre, d’une Europe de peuples souverains. Raison de plus pour réactiver des structures qui permettent la coordination des luttes et d’un projet européen émancipateur.
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Des mouvements prometteurs ont donnée à l’été des couleurs nouvelles pour les émancipations. Ainsi, la grande pétition estivale contre la loi Duplomb est la manifestation victorieuse d’un désir de meilleure santé et de vie grâce à une autre manière de produire l’alimentation, au bénéfice du travailleur de la terre et du consommateur. Si les prétendus défenseurs des paysans voulaient vraiment « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », ils agiraient pour que le prix du blé, qui frôlait les 300 euros la tonne en 2022, ne soit pas à 180 euros la tonne aujourd’hui.
Pourquoi personne ne s’offusque quand le pouvoir attise le conflit avec le gouvernement algérien, qui achetait la moitié de notre production de blé ? Voilà qui coûte si cher aux paysans, sans que, par ailleurs, Boualem Sansal ne puisse voir s’entrouvrir la porte de sa geôle ?
Pourquoi ce silence autour de Lactalis qui compresse les prix du lait à la production, éjecte des producteurs de sa collecte et vient d’acquérir une entreprise laitière de Nouvelle-Zélande pour deux milliards d’euros après ses implantations au Brésil et en Australie ? Autrement dit, Lactalis veut profiter à plein des traités de libre-échange pour étouffer nos producteurs, ici, tout en important du lait et des produits laitiers fabriqués à partir des grandes fermes-usines dans les pays du Pacifique.
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Il se dit que le sujet dominant des romans de cette rentrée littéraire est la famille. Certains y voient des signes de repli sur soi, de désarroi face aux polycrises qu’affronte le monde. C’est possible. L’écriture dénoue parfois les douleurs de l’enfance, panse des histoires personnelles. Mais, l’universel, la grande histoire et ses grands combats se nichent aussi parfois dans l’intimité des individus et des familles. Les récits familiaux de grands auteurs se racontent au milieu de la grande histoire et portent une part de notre humanité commune, une part de l’histoire des combats contre les dominations de toutes sortes.
Été de combat, encore, avec le rejet – comme un appel à couper les cordons du colonialisme et de ses multiples manifestations – par le FNLKS du projet institutionnel en discussion. Celles-ci hurlent au cœur de lourdes accusations sur l’utilisation du chlordécone, ce pesticide mortel qui empoisonne les sols. Elles suintent dans le beau combat de notre amie Mereana Reid Arbelot, députée de Polynésie, membre du groupe parlementaire de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie française, entre 1966 et 1996. Au fait, pourquoi ce silence sur la vie à Mayotte au temps de cette saison sèche ?
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L’été a aussi vu naître les premiers combats contre la mainmise des sbires d’Édouard Stérin sur des fêtes locales partout en France. Ils n’ont donc pas encore gagné la partie ! Pourtant, cela n’a pas empêché la direction de France Télévisions de donner un micro comme commentateur du Tour de France pour la huitième année consécutive à Franck Ferrand. Ce monsieur qui ne connaît rien de la plus grande course cycliste, mais qui accède à l’antenne pour glorifier châteaux, rois, reines et princesses, biaiser l’histoire de France, vilipender la Révolution française chaque fois que l’occasion se présente, tout en professant au passage sa propagande pour la FNSEA. Il ne connaît ni le MODEF ni la Confédération paysanne. Il n’a vu aucun travailleur, aucune voiture de la CGT, aucun drapeau palestinien sur le parcours. À part cela, il est « apolitique » comme de bien entendu. Cet « apolitisme » qui dégage cette odeur nauséabonde.
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La canicule n’a pas réchauffé la politique qui nous a resservi ses vieilles recettes, dès le 15 juillet, par le Premier ministre et d’autres, puis dans des vidéos de l’encore Premier ministre , puis lundi dernier dans une énième conférence de presse au cours de laquelle le précaire locataire de Matignon avance, sabre au clair, contre la dette qu’il a contribué à gonflera force d’orienter l’argent vers l’argent.
Ses parlottes en solitaire pour faire avaler sa nouvelle cure d’austérité n’auront convaincu aucun de celles et de ceux qui n’ont que leur travail ou leur retraite pour vivre, aucun assuré social malgré la campagne de culpabilisation des deux paires austères qui occupent les plus importants palais de la République. Il faut dire que la période était mal choisie.
Le plan austéritaire s’est brutalement scratché sur le rapport parlementaire du sénateur Fabien Gay révélant que les grandes entreprises ont empoché 211 milliards d’euros de fonds public sans résultat pour le mieux-vivre des travailleurs et la santé du pays. Ce rapport et ses révélations vont continuer d’agir comme un sparadrap sur chaque parole ministérielle et présidentielle. S’y est ajoutée l’annonce du gonflement des patrimoines des possédants et de milliards pour fabriquer des armes alors qu’il faudrait des centaines d’enseignants, de médecins et soignants, de magistrats et de policiers, de conducteurs de train et de spécialistes de la transition énergétique et environnementale. La mise au point avec la presse, lundi, et la convocation en urgence du Parlement n’ont pour objectif que de semer la peur et de décourager tout mouvement social. On le comprend. Qui prête une oreille attentive aux bruits sourds qui parcourent le pays entend monter de toutes les professions le rejet des choix gouvernementaux : salariés, assurés sociaux, pharmaciens, médecins, enseignants, maîtres-nageurs, sportifs, défenseurs de la télévision et radio publique, chauffeurs de taxi, paysans…
Au cœur de l’été, les organisations syndicales unies ont produit un texte de haute qualité et mis une pétition à la disposition de toutes et de tous. Celle-ci doit encore être plus utilisée au-delà des plus de 300 000 signatures qu’elle a déjà recueillies. Il convient de la faire connaître, de l’imprimer, de la faire circuler et signer lors de multiples dialogues susceptibles de préparer un mouvement de masse large pour mettre en échec les politiques de droite et d’extrême droite et préparer une issue politique progressiste.
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C’est en s’intégrant dans les discussions, dans les débats et dans les actions multiformes en cours ou en germe que le mouvement social et syndical, le mouvement démocratique et progressiste transformeront la colère en une perspective unitaire commune de transformation structurelle de la société.
Cette transformation nécessite, certes, un partage plus juste des richesses, mais, au-delà, elle doit se fixer l’ambition de permettre aux travailleuses et aux travailleurs de devenir maîtres des richesses qu’elles et ils créent, d’être souverains sur la production afin de l’inscrire dans un projet démocratique neuf de bien-être humain, de progrès environnemental et de paix.
Le mouvement populaire n’a besoin ni de guide ni d’avant-garde éclairée. Il a besoin d’être nourri, relayé, respecté dans sa diversité. Une diversité qui vit, qui chemine, dans la société, dans nos familles, dans nos entourages. Il n’y a pas a priori à être méfiant quand des travailleurs-citoyens par centaines de milliers signent une pétition ou bien s’agrègent à un mouvement qui appelle à « tout bloquer ». Un tel appel dit d’ailleurs tout du niveau d’exaspération, du niveau de questionnement sur les moyens de vivre mieux, de défendre les services publics et les activités au moment où les dirigeants européens servent, comme jamais, le grand capital et se plient aux injonctions trumpiennes destructrices pour nos économies. La rencontre de Bayrou avec la presse lundi était la manifestation de la, peur des classes dirigeantes. Elles savent que le premier ministre n’aura pas la confiance du parlement le 8septembre. Elles cherchent à gagner du temps et à faire illusion en changeant les ministres pour la même politique.
Contre la cohérence réactionnaire, nous avons à bâtir une nouvelle cohérence démocratique et écologique transformatrice en osmose avec les citoyens. Ce sont des débats argumentés dans le respect et dans la fraternité et les actions dans leur diversité qui permettront de mettre à nu les fauteurs de malheurs et de faire vivre un processus de changement.
Il ne suffira pas, en effet, de « tout bloquer ». Il ne suffira pas non plus de changer une fois de plus le premier ministre. Pour changer la société et le monde, il est indispensable de conquérir le pouvoir sur le travail, sur les productions et même sur la création monétaire, de soutenir et de renforcer les producteurs d’humanité – depuis les salariés de la petite enfance jusqu’à ceux du grand âge, dans les soins, l’éducation et la culture ; au sein des municipalités comme avec les associations et les syndicats.
L’occasion va être largement donnée d’approfondir ces débats, de pousser plus loin les combats pour la paix, l’entente et la coopération avec d’autres peuples à la Fête de l’Humanité qui s’ouvre dans quelques jours.
L’été d’intranquillité va se poursuivre.
Rythmé par nos luttes et par nos espoirs, il hurle la nécessité de ne plus raisonner dans le cadre du système, mais de penser au moyen de le subvertir, de s’en émanciper, de le dépasser pour l’abolir. Les basculements actuels y appellent. L’heure est à se serrer les coudes pour combattre et défricher le neuf en germination.
Patrick Le Hyaric
25 août 2025