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Ce n’est pas parce que le président du RN/FN le claironne que l’extrême droite a gagné la bataille idéologique. Les forces de droites, dans toutes leurs composantes de plus en plus unies, ne font que ramasser les fruits qui ont pourri sur le terreau de l’ultra-libéralisme et d’une mondialisation capitaliste sans nuance, une construction européenne qui consacre la liberté d’exploiter sans entrave avec le dogme de la « concurrence libre » et du « marché ouvert » qui permet la libre spéculation contre le travail et la création.
Si les thèses de l’extrême droite infusent largement toutes les pores du spectre politique de droite et de la macronie, c’est parce qu’ils correspondent aux nécessités des horloges de la haute bourgeoisie et du grand capital international empêtrés dans des contradictions insurmontables. Laisser croire au peuple travailleur que le couple Bardella-Le Pen répond à leurs problèmes et difficultés, n’a pour seul objectif que de trouver un dérivé à la transformation sociale et écologique : refus d’augmenter la rémunération du travail, affaiblissement de la sécurité sociale, chasse aux plus démunis baptisé « assistés » au nom d’une prétendue défense de celles et ceux qui travaillent, mépris et insultes à l’égard des quartiers populaires et désignation de l’immigré comme figure de toutes les difficultés, volonté de détruire l’école publique maquillée par le retour de l’uniforme, volonté de supprimer le droit du sol… Il y a, désormais, derrière tous ces objectifs, des éléments d’un programme commun à la droite radicalisée, à la macronie et à l’extrême droite.
La manifestation contre l’antisémitisme à l’appel du président LR du Sénat et de la présidente Renaissance de l’Assemblée nationale, à l’occasion de laquelle les bras ont été grand ouverts aux RN/FN, a constitué une nouvelle étape dans l’entreprise d’insertion de l’extrême droite au cœur de la République. Une autre aura été le vote commun de la loi dite « immigration » exhalant le racisme et la préférence nationale. Voici maintenant que le pouvoir ouvre la voie à une modification constitutionnelle pour remettre en cause le droit du sol.
Certains commentateurs occupant du matin au soir nos écrans expliquent qu’il s’agit pour la droite et la macronie de regagner des électeurs égarés dans le vote en faveur de l’extrême droite. C’est possible. Mais l’essentiel n’est pas là. La validation des thèses de l’extrême droite ici et à travers le monde répond à la nécessité pour les mandataires des puissances d’argent de protéger un système désormais largement rejeté. Il leur faut absolument empêcher l’électorat populaire de construire une alternative sociale, démocratique et écologique.
Cela explique pour une part essentielle le double mouvement à l’œuvre : d’une part une tentative de bipolarisation de la controverse politique entre le gouvernement et l’extrême droite, et d’autre part l’écrasement de la gauche avec des campagnes anti-communiste, la répression contre les syndicalistes, les tentatives pour discréditer des pans entiers de la culture, l’organisation des divisions au sein du Parti socialiste, la violence des attaques contre La France-insoumise à tout propos, et plus récemment une grande opération contre les écologistes à la faveur du mouvement paysan. Autant de propos et d’actes irresponsables qui minent la vie la démocratique et visent à empêcher les citoyens d’y participer.
Le fond sonore de la conférence de presse présidentielle laissait entendre avec insistance le retour du triptyque “travail, famille, patrie”, déclinée en une triple priorité : « l’ordre, l’ordre, l’ordre », le retour du natalisme et de l’uniforme à l’école, complété du nouveau mantra pour que « la France reste la France ». Propos appuyés par le Premier ministre lors de son discours de politique générale glorifiant la France « puissance » « un repère » « un idéal » « un patrimoine » « un héritage moral ». Ceci va de pair avec l’ordre donné aux membres du gouvernement et aux députés de la majorité d’épargner les télévisions de M. Bolloré. L’ancienne ministre de la Culture Mme Rima Abdul Malak l’a payé plein pot.
Quand, lors du premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement, le président de la République leur enjoint de ne « pas être des gestionnaires », mais « des révolutionnaires », il ne fait que leur demander d’accélérer la contre-révolution conservatrice. Après la loi des 64 ans, celle sur l’immigration ou celle qui abaisse les droits des chômeurs, ce sont les fondements de l’école publique qui sont attaqués, le statut de la fonction publique balafrée avec « la rémunération au mérite », la loi Gayssot de solidarité urbaine brûlée, la préparation d’une loi dite « PACTE 2 » engagée pour libéraliser encore plus l’économie en faveur de la rentabilité du capital contre la rémunération du travail, la culture affaiblie et le retour en force des pesticides à la grande joie de l’industrie agro-chimique allemande. Pour ce faire, le pouvoir veut mettre sous tutelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (anses) chargée d’évaluer les risques sanitaires et environnementaux des pesticides. Cette volonté ressemble furieusement à la décision prise par Donal Trump de reprendre en main l’Agence fédérale américaine pour la protection de l’environnement.
Tout est fait pour plonger le peuple dans un bain idéologique suggérant qu’il n’y a pas d’autre politique possible. Ainsi apparaissent deux termes dans les discours, deux mots revolver : « Le bon sens » et « le réarmement ». Si tout est de « bon sens », alors il n’y a pas à imaginer d’alternatives au capitalisme. Ce mot servait de programme à Pierre Poujade puis au dirigeant de l’extrême droite italienne Matteo Salvini invoquant « L’Europe du bon sens ». François Fillon avait appelé à une « révolution du bon sens ». Justifiant son refus des vaccins durant la pandémie de Covid-19, D Trump s’expliquait ainsi « je ne suis pas médecin, mais quelqu’un de bon sens ». Bref, le fameux « bon sens » n’est que le mot définitif, pour fermer la porte de l’alternative progressiste à double tour. Puis, au fur et à mesure que notre pays est plongé dans le feu ravageur de l’Europe ultra-libérale et de la mondialisation capitaliste, apparaissent les mots empruntés à l’extrême-droite « réarmement » et « régénération ». Sans doute destiné à nous habituer à l’économie de guerre, le mot est martelé, décliné en « réarmement civique », « réarmement industriel », « réarmement de l’État », ou « réarmement démographique ». Bref, tout est « réarmement » pour éteindre le fanal hérité des Lumières, de la Révolution française, des acquis de mai 68 et du progressisme nourri par le communisme français.
Un tel déferlement-basculement conduit à mettre en osmose l’argumentaire de toutes les forces politiques missionnées pour protéger les puissances d’argent et leurs bénéficiaires directs qui ont vu leur fortune doubler ces vingt-trois dernières années, à mesure que les inégalités bondissaient. Cela ne rend la situation que plus dangereuse encore, car elle permet à l’extrême droite d’aller au bout d’un projet autoritaire, xénophobe, raciste, voire proto-fasciste pour sauver le système capitaliste.
Face à un tel déferlement, il y a extrême urgence que la gauche sociale, politique, intellectuelle, mène une contre-offensive et construisent, ensemble, les répliques adaptées à la situation, aident nos concitoyens à se rassembler à partir de leurs intérêts de classe. L’immense majorité de notre peuple qui aspire à de profonds changements doit pouvoir débattre d’un processus de transformation sociale, écologique et démocratique. C’est le seul moyen d’éviter le désastre.
Patrick Le Hyaric
12 Février 2024
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