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Le pouvoir vient de faire une incroyable découverte : le refus de son projet de loi reculant l’âge de départ en retraite est lié à la profonde crise du travail qui mine la vie de l’immense majorité des salariés. Mais, au lieu d’en tirer la conclusion qui s’impose en retirant son inique contre-réforme, il tente d’allumer un contre-feu en chargeant ministres et députés de la majorité de prêcher des tombereaux de bonnes paroles pour « la réinvention des conditions de travail des salariés ».
C’est précisément la demande de la Première ministre, lors de la réunion du bureau exécutif du parti Renaissance, il y a quelques jours. Aussitôt dit, aussitôt fait, les moulins à paroles se sont mis en marche pour tenter d’étouffer le mouvement de refus contre un véritable vol de vie en bande organisée. M. Attal, en tête, avec une proposition de semaine de 4 jours, dans une URSSAF, tout en augmentant le nombre d’heures travaillées. Et voilà, M. Guérini, allant à Nantes pérorer sur la valorisation des carrières des fonctionnaires. M. Beaune sommant la RATP et la SNCF de faire mieux…
Le puissant mouvement social en cours, rappellent à leur bon souvenir les premiers de corvée, les travailleurs des villes et des champs qui triment dur pour des salaires de misère, alors que les prix des produits de première nécessité flambent. Dans les hôpitaux, comme dans les centres de distribution logistiques, dans les professions du nettoyage et de la propreté, comme dans celles de l’aide maternelle ou les EHPAD, dans l’éducation comme à l’usine ou la construction, pour le petit artisanat comme pour l’agriculture et l’agro-alimentaire, le travail soumis au capitalisme use, blesse, tue parfois.
Les conditions du travail deviennent à bien des égards insoutenables. Le niveau de violence et de discrimination y est élevé. Les conditions d’exploitation du travail perclus les corps de douleurs, de maux de tête, d’anxiété, de maladies chroniques, d’épuisement physique. Une enquête européenne montre que près d’un quart des travailleurs européens sont exposés au risque de dépression. Le sens même du travail est d’autant plus questionné qu’il percute les intérêts court-termistes du capitalisme financiarisé.
Dans ces conditions, reculer encore l’âge ouvrant droit à la retraite est totalement insupportable. C’est ce que clame haut et fort la diversité des manifestants dans les cortèges, des petites villes jusqu’à la capitale.
Dans ce rude combat, la forte mobilisation et la créativité des travailleuses dans les manifestations ajoutent de la détermination à gagner.
La prétendue « épidémie de flemme » dénoncée à cor et à cri par les bien pensants et les moralisateurs de droite ne fait que montrer leur méconnaissance du travail concret et leur morgue.
Jeunes et anciens ont d’immenses attentes dans le travail et son utilité au service du bien commun. Mais leurs aspirations se fracassent sur le mépris social, la dévalorisation des individus et des rémunérations qui ne tiennent aucun compte ni des contraintes des activités, ni de l’utilité pour l’intérêt général, ni des qualifications.
Rien à voir avec les leçons de morale sur une prétendue « valeur travail » qui vient camoufler une donnée fondamentale : « la valeur » est celle donnée à la force de travail décidée par le capitaliste seul.
Une « valeur » qui n’a rien à voir avec la qualité ou l’utilité du travail concret, mais tout à voir avec le taux de profit. Une valeur, résultant pour le capitaliste du niveau de chômage qui lui permet de l’abaisser comme de la mise en concurrence des travailleurs à l’échelle de la planète.
Cela sert à justifier les basses rémunérations dans l’emploi, sans tenir compte aucunement de son contenu, de son utilité, de sa qualité, de ses conditions, des qualifications qu’il requiert.
Or, moins de salaires c’est moins de cotisations retraite. Il est donc temps de sortir de la conception de l’emploi qui rémunère le travail qu’en fonction de la seule reproduction de la force de travail, enrôlée au service de l’économie capitaliste. L’inégalité de rémunération entre les femmes et les hommes revient à réduire les rentrées dans les caisses de protection sociale.
Dans ce système, tous les gains de productivité sont accaparés par les détenteurs du capital qui par ailleurs contribuent de moins en moins au bien commun et obtiennent depuis des années et des années de considérables exonérations de leurs cotisations sociales.
Celles-ci représentent bien plus que les prétendus déficits des caisses de retraite, dont on nous rabâche les oreilles. En vérité la pression à la baisse des rémunérations, la surexploitation du travail, le refus de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, la précarité, la sous-traitance et le recul envisagé de l’âge de départ en retraite n’ont pour objectif que d’abaisser sans cesse le salaire continué que constituent la retraite et les prestations sociales.
L’objectif à terme est d’obliger le salarié à payer tout ou partie de sa protection sociale et de sa retraite en contractant des assurances privées. Ce que l‘on appelle la capitalisation, voie royale pour augmenter le nombre de travailleurs et de retraités pauvres.
L’amplification du mouvement social peut porter loin. Il pose la question de la souveraineté des travailleurs sur leur travail, son sens, ses conditions et la nature de la production et des services, leur utilité au service du bien commun, du développement humain et du progrès écologique. Nous parlons ici de deux projets de société différents : soit la fuite en avant dans le capitalisme, soit un processus de transformation sociale et écologique. Tel est le choix !
Patrick Le Hyaric
6 février 2023