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Conscients de la difficulté de faire accepter leur projet de recul de l’âge légal de départ à la retraite, le président de la République et la Première ministre montent au front en utilisant une multitude d’approximations et d’enfumages. D’abord, ils comptent avancer à l’abri des regards, à la veille des fêtes de fin d’année, en lançant le débat dès la semaine prochaine à l’Assemblée nationale, tandis que le Sénat débattra de la nouvelle loi « immigration » de M. Darmanin. Inutile de chercher bien longtemps les buts réels de la manœuvre !
S’y ajoute l’opération politicienne de consensus entre le macronisme et la droite sénatoriale sur les deux sujets.
La terrible régression sociale, que constitue le recul de l’âge ouvrant droit à la retraite, s’inscrit dans le cadre d’une guerre sociale généralisée contre l’ensemble des travailleurs, durement touchés par l’inflation, avec les coups de poignard contre le droit du travail, les contre-réformes de l’assurance chômage ou la pression contre les services publics essentiels.
Dans un entretien à nos confrères du Parisien paru dimanche dernier, le président de la République mélange les ingrédients dans son shaker capitaliste pour raconter qu’un tel recul est pour le bien de tous et au nom du travail.
Lisons son texte : « nous dépensons de l’argent pour développer nos grands services publics, intérieur, justice, école, santé. Et tout cela, j’ai pris l’engagement de ne pas le financer par des impôts, que je veux au contraire baisser. Tout comme je ne le financerai pas davantage par de la dette…. Donc il faut le financer par plus de création de richesse et la richesse est créée par le travail. C’est tout le sens de la priorité accordée au travail que ce soit à travers la réforme des retraites, de l’assurance chômage, des lycées professionnels, du service public, de l’emploi… Nous avons un potentiel considérable de richesse par notre travail. »
Sous couvert d’un hommage au travail humain qui seul crée la richesse d’une société, le Président, en fait, ne vise qu’à accroître l’exploitation de celles et ceux qui l’accomplissent et subissent durement les conséquences, dans leur vie quotidienne, du régime capitaliste qui vampirise notre société.
E. Macron ne cherche pas à rendre le travail moins épuisant, mieux rémunéré, mieux reconnu et valorisé. Non, il veut en allonger la durée, peser à la baisse sur les salaires par le biais de la contre-réforme de l’assurance chômage et le projet d’octroi de titre de séjours temporaires aux étrangers sans véritable perspective de régularisation.
Bref, s’il reconnaît que le travail est seul créateur des richesses c’est pour mieux en réserver le bénéfice au seul capital à travers les profits, les dividendes des actionnaires, c’est-à-dire à celles et ceux qui vivent du travail des autres sans trimer eux-mêmes.
Or, améliorer la situation et la vie de celles et ceux qui vivent de leur travail est bien l’un des enjeux du nouveau financement de la protection sociale. Mieux vivre, c’est mieux financer la protection sociale, c’est contribuer au développement humain et de la nation.
Il s’agit pour cet objectif, de l’amélioration des salaires, de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes, de l’emploi pour toutes et tous et d’une participation plus importante des puissances d’argent au financement des biens communs. C’est au bout du compte une meilleure efficacité économique.
Ce sont les choix actuels qui sont inefficaces socialement, économiquement et écologiquement. Alertons, autour de nous, dans nos familles, sur les lieux de travail, dans les quartiers et villages, des divisions instillées par le pouvoir et les médias, qui font mine de prendre le parti des plus modestes.
Ainsi, affirmer que cette contre-réforme des retraites vise à permettre de financer une pension minimum à 1100 € pour une carrière complète est une escroquerie pure et simple. Déjà l’article 4 de la loi de 2003 sur les retraites fixait pour 2008 une pension minimale à 85% du SMIC, ce qui équivaut à 1130 € en 2022. Qu’attend donc le pouvoir pour faire appliquer une loi déjà votée il y a 14 ans ?
De même le pouvoir s’insurge, pour les déconsidérer, les « régimes spéciaux » qu’il présente comme des privilèges inacceptables à abattre, des survivances devenues anachroniques à abandonner.
La réalité est bien différente ! Il s’agit en vérité pour certaines professions de droits et de statuts conquis de haute lutte par la CGT en particulier, après le Front populaire de 1936 et à la Libération du pays, grâce à l’action de ministres communistes comme Maurice Thorez, Ambroise Croizat et Marcel Paul.
À qui voudra-t-on faire croire que des statuts protecteurs du travail sont des privilèges scandaleux et injustes. La vraie justice serait plutôt de les étendre à tous les salariés pour les mettre ainsi à l’abri des aléas du « marché du travail », qui rendent la vie précaire, et garantir un droit au salaire et à la qualification personnelle prolongés pendant la retraite.
Ces statuts concernent les salariés de la fonction publique, les cheminots, les travailleurs de la RATP, les électriciens et gaziers. Ambroise Croizat avait également étendu à tous les salariés du privé le droit à une pension qui soit la continuation de leur salaire. Plus tard ces protections statutaires seront élargies aux personnels hospitaliers et soignants, à la recherche publique, à la fonction publique territoriale grâce au ministre communiste Anicet Le Pors.
Cela concerne aujourd’hui, plus de 17 millions de travailleuses et travailleurs.
On comprend bien qu’une visée de réel progrès considérait ce chiffre comme un formidable point de départ pour élargir de tels droits à tous les salariés. À l’inverse, le pouvoir veut raboter tout ce qui a trait à la sécurité de vie. Il oppose les salariés les uns aux autres pour tirer vers le bas la situation de tous et de chacun, selon la cynique devise préférée du grand patronat : « diviser pour régner ».
Évidemment, et dans la lignée de son histoire, la visée communiste va dans le sens opposé : partir du mieux-être conquis par des secteurs du monde du travail, pour l’accorder à tous.
Autre écran de fumée répandu par le président de la République : faire des économies sur les retraites pour financer d’autres investissements. En clair, il veut prélever des ressources jusqu’alors consacrées aux séniors pour les transférer ailleurs.
Or, nous parlons de deux choses distinctes. L’investissement public est financé par l’État avec la collecte des impôts. La protection sociale est financée par des cotisations sociales à partir du travail. Le tour de passe-passe consiste à mélanger les deux budgets, en vue d’étatiser la protection sociale, et de continuer de baisser les impôts sur le capital tout en privatisant les services publics. En somme, prendre sur « les premiers de corvées » pour donner davantage aux « premiers de cordée » !
Le principe établi par Ambroise Croizat, à la Libération, n’est pas de lier le niveau de la pension perçue lors de la retraite à l’ampleur de la cotisation versée durant la période d’activité, mais de répondre aux besoins de sécurité de la vie de tous, quel que soit le montant de ses revenus quand il était au travail. Le projet d’Ambroise Croizat vise à assurer aux travailleurs et à leur famille, de la façon la plus complète, la sécurité du lendemain. Il a considéré que le temps de retraite n’était pas la fin du travail, mais la fin du travail contraint et soumis. Il a voulu que l’on continue de considérer le retraité comme un travailleur ayant droit à la continuité de son salaire jusqu’à la fin de vie, même s’il est, en tant que retraité, hors de l’emploi et libéré de la contrainte de devoir se vendre sur le « marché » du travail.
Autrement dit, la dignité de travailleur ne se perd pas lorsqu’on parvient à un certain âge, exactement comme la dignité de citoyen.
Dès lors que la fiscalité du capital est sans cesse abaissée, le gouvernement cherche à s’accaparer des parts du budget de la sécurité sociale, et cela alors même que ses recettes sont amputées par des exonérations de cotisations sociales pour les employeurs et que les revenus financiers exorbitants ne sont pas inclus dans le financement de la protection sociale.
Derrière ces calculs comptables, et cette obsession présidentielle de prolonger le temps de travail et de reculer l’âge légal du départ en retraite, on perçoit sans mal un choix décisif de société.
Sécuriser le travail ou le capital ? Sécuriser la vie du travailleur ou augmenter le capital de son exploiteur ? Se plier à la « dé-civilisation capitaliste » ou amplifier les conquis sociaux de la Libération que notre peuple continue d’apprécier à juste titre ?
Le combat engagé est donc, pleinement et entièrement, social et politique. Il ne consiste pas à défendre le statu quo, mais à être offensif dans l’action pour de nouveaux conquis sociaux mettant en cause le capitalisme.
Je reviendrai la semaine prochaine sur la possibilité d’une autre réforme au service du travail et de l’intérêt général.
Patrick Le Hyaric
7 décembre 2022
1 commentaire
Encore une fois merci pour toutes ces explications claires, complètes et toujours si bien documentées. Utiles pour la compréhension et l’argumentation, elles enrichissent les discussions et les réflexions. À quand Patrick Le Hyaric dans les “débats” télévisés ?