Sobriété ou post-capitalisme ?

le 11 octobre 2022

Sur fond de guerre en Europe, qui aggrave encore la catastrophe climatique en cours, le gouvernement français et les institutions européennes ont lancé, à grand renfort de communication publicitaire, une campagne pour « la sobriété ».

Il faut réduire la consommation d’énergie de 40% d’ici 2050, nous dit-on. Ainsi, on pourrait se retrouver dans cette curieuse situation où certes on produira et on consommera moins d’énergie, mais où les factures continueront d’augmenter, avec des hausses des prix dans un marché de concurrence « libre et non faussée ».

Personne en haut lieu ne dénonce cette arnaque ! On comprend pourquoi. Ce serait remettre en cause le système économique et politique qui sous-tend ce paradoxe : le capitalisme financiarisé et mondialisé.

Ce système qui permet aux plus fortunés de s’engraisser tout en continuant à gaspiller, consommer et polluer sans limites.

Rien n’est envisagé pour les contraindre à des efforts pendant qu’on exige des familles populaires d’éteindre les lumières, de prendre moins de douches, de faire moins de lessives, de porter des « cols roulés » !

En vérité, la diminution du pouvoir d’achat de leurs salaires, des pensions de retraite, des allocations et les fulgurantes hausses des prix de l’énergie ne leur laissent que peu de choix. Croit-on en effet que dans les foyers déjà contraints à des privations, on ne fait pas déjà très attention quand on n’arrive pas à finir le mois et que les radiateurs sont allumés le plus tard possible dans l’hiver depuis de nombreuses années.

Allons donc ! On ne peut parler de sobriété sans évoquer celle qui force à réduire la quantité de viande et de fruits proposée aux enfants et conduira à offrir moins de jouets à Noël.

Il faut bien également dénoncer, avec les gaspillages des plus fortunés, qu’engendre le mode de production capitaliste, poussant le consumérisme et son lot d’obsolescence programmée.

Autant de sujets tabous des fondés de pouvoir du système. Ainsi le président de la République et ses ministres répètent à l’envi que la sobriété « ça veut juste dire, gagner en efficacité en traquant à chaque instant les coûts cachés … ce qu’on peut faire pour produire encore davantage, mais en dépensant moins ».

Cela veut-il dire que parmi les coûts à chasser, il y a la rémunération du travail nécessaire à produire le « capital mort », c’est-à-dire les machines et les infrastructures ? Cela vise- t-il à conforter ces chuchotements qui montent ces derniers jours des milieux d’affaires pour délocaliser des productions aux États-Unis et au Canada, là où le prix de l’énergie est moins élevé qu’en Europe ? Comme toujours la guerre sert au capitalisme pour se reconfigurer dans le cadre de ses lois sans merci de la « concurrence ».

Pourtant le pouvoir français, comme les institutions européennes, ne font rien pour dégonfler ici les prix de l’électricité en maintenant cette absurdité du marché européen de l’énergie qui fait dépendre les prix de l’électricité de ceux du gaz. Il y a donc bien urgence à sortir de ce marché unique comme le fait le gouvernement espagnol.

Au-delà, c’est le mode de production capitaliste qui est fortement questionné, avec les systèmes de distribution, d’échanges et de consommation. L’augmentation de la richesse produite, telle que mesurée selon l’indice du produit intérieur brut (PIB) ne dit rien du bien être humain, du creusement des inégalités, de la pauvreté qui touchent de plus en plus de familles, de la nature des productions et de leurs effets sur le travail, l’environnement et le climat.

Ce sacro-saint « PIB » soutient bien souvent la cotation des grandes sociétés en bourse et donc la rémunération des actionnaires alors que progresse l’utilisation des énergies carbonées.

La guerre sert aujourd’hui de prétexte pour ouvrir des centrales à charbon et importer du gaz de schiste nord-américain. Or, la situation actuelle devrait plutôt conduire à penser autrement avec la création d’indices de justice sociale et environnementale et à faire contribuer les plus fortunés, les profits et les surprofits, l’effort national pour développer de nouveaux services publics démocratisés. Une fiscalité progressive et un système nouveau de crédit sélectif en seraient l’un des moyens.

Les immenses sommes d’argent qui seraient ainsi collectées, ajoutées aux fonds européens, devraient être orientées vers un grand plan de rénovation thermique des bâtiments, la relance du transport ferroviaire de passagers et de marchandises, la réouverture des petites lignes, le développement du tramway.

Les associations de solidarité disposeraient de moyens supplémentaires pour aider les plus démunis. Les collectivités locales seraient mieux armées pour assurer tous les services publics, pour faire en sorte que tous les enfants dans les cantines scolaires mangent à leur faim comme les étudiants. On est loin ici de la thèse du « col roulé » ou de la « doudoune » aussi insupportable sur le plan moral qu’inacceptable sur le plan social et sanitaire, tout en étant inefficace pour l’environnement et le climat.

Mais puisque le débat est ainsi lancé pourquoi ne pas s’y engouffrer pour le subvertir en poussant à discuter d’abord des besoins humains et environnementaux, du bien-être, des moyens du développement de chacune et de chacun, de la préservation de la biodiversité et du climat. Cela obligerait à réfléchir et à agir ensemble sur le sens du travail et sa rémunération, la nature et l’utilité des productions jusqu’à mettre en débat la question de la propriété et du développement des services publics, des efforts de recherche pour une métamorphose industrielle et agricole.

Bref, un processus démocratique de dépassement de l’ordre existant.

Patrick Le Hyaric


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