Le grand leurre du « dividende salarié »

le 20 décembre 2022

M. Thibault  Lanxade, ancien dirigeant du MEDEF, président de l’URSSAF vient de commettre un long plaidoyer pour le « dividende salarié » chez nos confrères de Libération*. Quel est donc le problème qui tenaille ce porte-parole du grand capital ? Une meilleure rémunération du travail ? Pas du tout !

Sa seule question : « Comment réconcilier les Français avec le capital ? » avoue-t-il dans un élan de sincérité qui précise, « Il est temps de rénover le capitalisme ».

Avant lui déjà, Patrick Artus s’inquiétait de « La dernière chance du capitalisme », dans un livre qui déjà fleurait bon la crainte de voir le monde dominant s’écrouler, si rien n’y changeait.

Pris dans les contradictions mortifères de leur système, où une majorité de nos concitoyens ne supportent plus que l’argent issu de la sueur de leur front leur échappe pour s’accumuler loin d’eux à l’autre pôle de la société, les puissants sentent bien qu’il leur faut chercher un moyen de perpétuer leur domination tout en donnant le sentiment, qu’ils l’assouplissent.

Il leur faut donc trouver un subterfuge qui ne change rien à la récolte de la valeur qu’ils organisent à leur profit tout en donnant le sentiment que tout change. On pense à la fameuse formule de Tancrède, le neveu du prince de Salina, dans Le Guépard, le roman de Tomasi di Lampedusa : si nous voulons que tout demeure en l’état, il faut que tout change et que tout le monde le croie. En réalité, le « dividende salarié » est un écran de fumée pour ne pas augmenter la rémunération du travail et contourner le débat sur la taxation des dizaines de milliards d’euros de dividendes qu’empochent les actionnaires-capitalistes.

Ajoutons que les dix millions de salariés exerçant dans des entreprises de moins de cinquante salariés, elles-mêmes dépendantes de la sous-traitance et de multiples fournisseurs liés au grand capital, sont de fait loin de voir la couleur d’un « dividende ». On sait aussi que de grandes entreprises versant des dividendes à leurs actionnaires déplacent artificiellement leurs bénéfices vers des sociétés holding tierces rendant très aléatoires les gains pour les salariés.

La promotion idéologique du fameux « dividende salarié » se fait au nom du « partage de la valeur » qui serait un pas décisif vers la justice sociale. Mais de quelle valeur et de quel partage parle-t-on ? Celle du « partage du pâté de cheval et d’alouette » qui camoufle sous les dehors de l’échange harmonieux une disproportion manifeste : le travailleur ne reçoit que les miettes que lui laisse le propriétaire du capital et le banquier en échange de son silence et comme prix de sa soumission !

On voit bien la duperie au cœur de « l’affaire » : la question de la « valeur » – qui est créée par le travail et par lui seul – n’est toujours abordée qu’après coup, après sa création et en termes de répartition. Pas un mot sur le lieu et les conditions de sa création. Car on verrait alors que le véritable enjeu et la vraie justice sont que le créateur de cette « valeur », c’est-à-dire le travailleur, soit établi comme souverain sur la production. Qu’il décide de ses conditions et de son sens, et donc du destin des richesses qui sont le fruit de son travail et donc de sa rémunération.

Surgit, ici la vraie question : doit-on continuer à raisonner à partir des réalités du mode de production capitaliste, c’est-à-dire d’une situation dans laquelle les conditions de la production sont toujours accaparées par les non-travailleurs, que sont les actionnaires et les propriétaires du capital, tandis que la masse de celles et ceux qui sont au travail et ceux qui en sont privés ne possède que leur force de travail qu’ils doivent vendre sur le fameux « marché du travail » ?

Tant qu’on laisse considérer le travail comme une marchandise, et non comme le créateur de la richesse, on aboutit à ce que nous connaissons : l’écrasement permanent de sa rémunération au nom de la « compétitivité » et de la « concurrence libre » alors que le capital fructifie à partir de l’exploitation, des marchés financiers et des paradis fiscaux.

Voilà l’enjeu que tentent sans cesse de dissimuler les thuriféraires du capitalisme financiarisé et mondialisé sous la pression de la demande d’une meilleure rémunération du travail et du rejet que suscite l’actuelle orgie de dividendes versés aux actionnaires.

M. Lanxade dit tout de son projet de « rénovation » du capitalisme : « La nouvelle sémantique que constituerait le versement de dividendes aux salariés… serait un marqueur fort de la réconciliation, d’implication des salariés dans la valeur créée par leur entreprise à laquelle ils contribuent largement » insiste- t-il. Chaque mot mériterait ici d’être discuté.

« Réconciliation » est ici que l’autre mot pour faire  croire à une égalité entre le détenteur du capital et celui qui n’a que sa force de travail pour vivre et pour demander aux travailleurs d’accepter leur exploitation.

Or, le monde n’est pas immuable. Plutôt que de rémunérer d’abord le capital, il est temps de commencer par rémunérer le travail, dans une société où les conditions concrètes de production seraient la propriété de celles et ceux qui en ont l’usage, celles et ceux qui font fonctionner la société.

Ce qui revient à dire que les travailleurs seraient souverains sur leur travail. Sur ce qui est utile – ou inutile – à la société. C’est le seul moyen de guérir le travail et de préserver la vie et la nature.

C’est aussi le seul moyen d’assurer une Sécurité sociale élargie puisque la rentabilité des dividendes aux actionnaires n’est pas prise en considération dans la détermination du niveau des pensions et des retraites, de l’allocation chômage, de l’indemnité de licenciement ou même de l’abondement du budget des comités économiques et sociaux.

L’idée de dividendes salariés est bien un leurre contre l’augmentation des salaires et de la protection sociale. Tout pousse à mobiliser largement pour l’augmentation des rémunérations, le développement de nouveaux services publics et un nouvel âge d’une protection sociale élargie. Ce sont ces exigences que porte la multiplicité des combats en cours!

Patrick Le Hyaric

20 décembre 2022

*Libération vendredi 16 décembre 2022.


1 commentaire


Moreau 21 décembre 2022 à 13 h 01 min

L’exploitation de l’Homme par l’Homme continue hélas.

Les Créatrices et les Créateurs de tous les arts majeurs ne sont pas des marginaux mais il faut un progrès réel.

Les exploiteurs qui divisent la culture populaire majeurs sont irresponsables surtout depuis 2022, et la division cruel se fait aussi au mépris d’une insertion valable de personnes handicapées.

Les Créatrices et les Créateurs de tous les arts majeurs ne sont pas des marginaux mais il faut un progrès réel.

Se pose aussi de plus en plus le problème tant il est devenu grave a en entendre parler ainsi qu’en assistant aux réactions avec peu de mots et de gravité de personne dans quelles propensions des associations utiles horizontales seraient en charge de personnes qui devraient être dans ces centres publiques parce que la prise en charge autre peut être trop lourde. Je n’en sais pas plus pour en dire plus mais c’est le métier de journaliste d’en savoir plus et d’informer, Patrick.

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