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Quand le pronostic vital d’un système politique en son entier est à ce point engagé, on diagnostique une crise de régime. L’expression a pu être galvaudée, mais tout indique que nous y sommes désormais bel et bien.
Quand un gouvernement se déclare démissionnaire pour que les ministres aillent choisir le président de l’Assemblée nationale, le principe de séparation des pouvoirs est bafoué. Quand le Premier ministre et le ministre de l’Agriculture, toujours en fonction, deviennent respectivement président du groupe du parti présidentiel et du groupe Modem, la démocratie républicaine se verrouille.
Quand le parti macroniste discute d’un « pacte législatif » avec le parti de droite pour construire une petite majorité relative à l’Assemblée nationale, alors qu’avant la dissolution, ils constituaient à eux deux une majorité absolue, la République devient confuse.
Quand tout semble bloqué à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, la maladie des institutions de la 5ème République est visible de toutes et de tous. Et, en refusant d’appeler à la formation d’un gouvernement du Nouveau Front populaire, M. Macron lui retire encore de l’oxygène.
Une crise de la République
Nous venons de dépasser le mur du son de la crise démocratique et de la crise politique.
C’est une crise de la république sous domination capitaliste qui s’avance. Ses manifestations les plus visibles ! Instabilité du système à l’opposé des objectifs des institutions mis en place en 1958. Mise en cause de la légitimité des dirigeants élus avec de faibles participations électorales, sans adhésion à leur programme. Lors des deux dernières élections présidentielles le président de la République n’a été élu que pour faire barrage à l’extrême droite. De manière confuse, les citoyens perçoivent ces dirigeants comme les mandataires déterminés des puissances financières et industrielles mondialisées, hautains et éloignés de leur vie. Éloignement de plus en plus flagrant des fondements hérités de la Révolution Française et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Liberté, Égalité, Fraternité deviennent des refrains desquels s’éloignent toujours plus la politique mise en œuvre.
Une crise qui vient de loin
La mécanique des institutions de la 5ème République – basé sur la discipline majoritaire, la solidarité gouvernementale et la prééminence du président de la République – implose après un long cheminement.
Ainsi, au moment de la transformation du RPR en UMP puis LR, une fraction de la droite proche de la démocratie-chrétienne devenue Modem entre en dissidence. Lors de la présidence de F. Hollande, une partie du groupe socialiste baptisé « les frondeurs » ont contesté ouvertement les choix du président et placé en quarantaine. Les ministres en désaccord avec une politique tournant le dos à l’exclamation « mon ennemi, c’est la finance » alors que les ouvriers d’Arcelor-Mittal étaient laissés sur le carreau ont quitté le gouvernement alors que celui qui était nommé ministre des Finances préparait sa trahison pour devenir l’actuel locataire de l’Élysée.
Plus avant encore, le tournant de la « rigueur » du président Mitterrand en 1983 l’a conduit à rechercher l’appui de la droite dite centristes et les gouvernements Rocard et Bérégovoy ne disposaient plus de la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Les ministres qui, il y a quelques mois ont contesté la loi, immigration votée avec l’extrême droite ont été exfiltré.
Dans une démocratie parlementaire normale, quel que soit, le président, une majorité de députés au contact avec les aspirations, les exigences justifiées et les colères de leurs électrices et électeurs auraient imposé des inflexions sociales si ce n’est un changement de cap. Rien de tel n’est possible dans le cadre des institutions de la 5ème République. Le président est en haut de la pyramide, inatteignable et décide de tout. M. Sarkozy disait que son Premier ministre F. Fillon était son collaborateur.
Les institutions conçues pour protéger le système économique, limiter l’expression populaire et les forces de transformation sociale notamment le parti communiste semblent désormais échapper à ceux qui en ont profité. Ainsi après les deux septennats de F. Mitterrand, J. Delors refusait d’être le candidat socialiste à l’élection présidentielle, car il considérait qu’il n’avait pas de majorité pour appliquer la politique qu’il souhaitait : celle de l’Acte unique européen et de la libération totale des marchés des capitaux dont il avait été l’artisan consciencieux comme président de la Commission européenne. Et F. Hollande a été contraint de renoncer en 2017 à sa propre succession parce qu’il a renié tous ses engagements de campagne jusqu’à être le porte-voix de la déchéance de nationalité. M. Macron n’a pas été élu pour appliquer un programme approuvé par une majorité d’électrices et d’électeurs, mais pour faire barrage à l’extrême droite avec la mobilisation de la gauche. Il n’en a tenu aucun compte. L’ébranlement en cours vient donc de loin et prend sa source dans les fondements même de la 5ème République, dans laquelle le président commande sans jamais être responsable devant le Parlement uniquement chargé d’avaliser sa politique au service des dominants. Les niveaux élevés d’abstention comme la crise de la politique aurait dû alerter depuis longtemps.
Macron : jusqu’au paroxysme
Pourtant, Macron a poussé ses défauts jusqu’au paroxysme. Il a réduit notre république à sa caricature : autoritarisme solitaire, refus de considérer les corps intermédiaires, mépris des citoyens, surdité aux cris de désespoir et de souffrances, mépris de la rue comme du parlement en utilisant l’article 49 alinéas 3 de la Constitution pour mettre en œuvre des lois sans vote et utilisation des décrets. Contre tout règlement, le pouvoir s’est même permis il y a quelques semaines de réduire les dépenses de 10 milliards par décret sur un budget déjà imposé par le 49.3.
Le président de la République a refusé de tenir compte des conditions de ses deux élections en invoquant cette fumisterie du « ni droite –ni gauche » qui n’est que la tentative de recherche d’une union sacrée autour des seuls intérêts de la minorité des grands possédants et de mise en œuvre des scélérats critères économiques et sociaux des traités européens tout en insérant toujours plus la France dans le pacte atlantique et l’OTAN.
Précisément, c’est ce césarisme qui est fortement contesté. Alors pour cacher l’organisation de la détérioration du rapport de force entre travail et capital au profit de ce dernier, l’individualisme et la guerre de tous contre tous sont convoqués, derrière des concepts comme « concurrence libre » « compétitivité » contre l’égalité, la solidarité, la fraternité humaine. Il a offert à la bourgeoisie capitaliste les outils pour fracturer la société et le pays, diviser les travailleurs et les citoyens, détruire tout sentiment d’intérêts communs, faire croire que les producteurs de richesses sont les membres de l’oligarchie capitaliste alors que les richesses ne sont que le fruit du travail dont le pouvoir n’a de cesse que de favoriser l’exploitation. En détruisant les repères de classe le système médiatique et de propagande dont s’est doté l’oligarchie a fait de « l’autre » le responsable de ses problèmes et difficultés de vie. Une pente ouvrant la voie et justifiant les discriminations et le racisme jusqu’à organiser une confusion telle que l’extrême droite est présentée comme une force républicaine et sociale.
Le scrutin majoritaire à deux tours est conçu pour rejeter le pluralisme politique. Cette fois, le peuple a décidé de subvertir le système et de le bloquer.
Derrière la crise de régime, l’explosion des contradictions du capitalisme
Derrière la crise de régime, il y a donc bien la crise du système économique dans lequel se renforce la lutte entre classes sociales aux intérêts totalement antagoniques. Et, loin des présentations fantasques du grand complexe médiatico-politique la violence de cette lutte de classe se déroule sous nos yeux quand les mandataires du capital – des macronistes, à la droite et à l’extrême droite refusent de reconnaître que le Nouveau Front populaire dispose d’un groupe de députés supérieur aux autres groupes afin d’empêcher l’augmentation du Smic et des bas salaires et une nouvelle fiscalité plus juste mettant à contribution les grandes fortunes et les actionnaires possédants.
Les contradictions objectives accentuent encore les antagonismes : l’urgence climatique oblige à remettre en cause le modèle capitaliste productiviste et extractiviste et appelle d’énormes engagements financiers pour une bifurcation environnementale, et un immense plan de formations à de nouveaux métiers. Cela s’oppose aux logiques d’accaparement des richesses à un pôle de la société contre l’immense majorité. De même, l’austérité, la pauvreté, la misère, le déclassement social, de nouvelles insécurités sanitaires deviennent des freins à l’écoulement des marchandises et donc à la valorisation du capital. Pour dépasser ces contradictions les forces du capital ont donc besoin de gouvernements qui détruisent les lois sociales, la démocratie sociale et permettent un renforcement de l’exploitation des travailleuses et travailleurs. Elles rejettent désormais « les compromis entre capital et travail » qui ont existé entre la Libération et les années 1970. C’est en ce sens qu’elles ont besoin d’un Etat fort à leur service.
Un cri monte de partout : on ne peut plus vivre de notre travail
C’est ce que refusent désormais sous diverses formes et souvent dans des votes totalement opposés nos concitoyens. Dans la déferlante vague de protestations en cours englobant les classes populaires, des premiers de corvée aux professions intermédiaires, d’une grande partie des cadres aux agents des services publics à différents niveaux de responsabilité jusqu’aux paysan-travailleurs et à une fraction non-négligeable de petits entrepreneurs gronde l’urgence sociale. Des tréfonds de la société montent un cri strident : travailler ne permet plus de vivre correctement et d’assurer l’avenir des enfants. C’est ce bruit qui a résonné dans le fond des urnes à trois reprises en ce début d’été. C’est ce que tente de contourner le président de la République en aggravant chaque jour un peu plus les convulsions du système. Nous entrons peut-être dans la phase terminale de l’agonie.
La 5 ème République se meurt. Elle meurt, de sa raideur, de la concentration des pouvoirs, de la surpuissance du président de la République. Elle meurt du détournement des valeurs républicaines.
Cela peut conduire au pire : le basculement du bloc bourgeois dans une alliance durable avec le parti de l’ordre, un état toujours plus autoritaire et liberticide avec l’extrême droite.
Cela peut aussi ouvrir des portes de l’espoir : celui d’un nouvel âge de la démocratie. Celui du respect du peuple souverain. Dans une récente enquête, 63 % de nos concitoyens se déclaraient favorables à un processus constituant qui donnerait aux citoyens le pouvoir d’écrire une nouvelle constitution.
Pour la première République sociale, démocratique, écologique
Souvent, est invoquée à juste titre la nécessité de passer à une nouvelle République : la sixième. Elle permettrait la parité, le droit d’initiative législative des citoyennes et citoyens, le référendum d’initiative populaire, la revitalisation de la démocratie locale, le déploiement de services publics démocratisé, des actions pour transformer les institutions européennes et pour faire respecter la charte de l’ONU, le scrutin proportionnel à toutes les élections la prééminence du parlement et un Premier ministre issu de celui-ci pour conduire la politique de la nation.
Ceci ne pourrait pas être suffisant. Le pouvoir des citoyens doit se combiner avec le pouvoir des producteurs associés dans l’entreprise, faute de quoi le pouvoir économique continuera d’imposer sa loi. Si le véritable pouvoir reste aux mains de l’oligarchie capitaliste, aucun gouvernement n’y résistera. La question de son contrôle est donc posée. Au-delà, c’est toute la propriété lucrative qui doit devenir bien public au service de la communauté humaine, de l’intérêt général et des enjeux de sécurité environnementale. Il convient de sortir d’une situation déjà décrite par J. Jaurès dans un discours à la chambre le 21 novembre 1893 : « Au moment même où le salarié est souverain dans l’ordre politique, il est dans l’ordre économique réduit à une sorte de servage ». Une nouvelle constitution doit donc faire des travailleurs les souverains sur la production et leur travail. En ce sens, il s’agirait bien de faire éclore la première république sociale, démocratique et environnementale.
L’heure est venue de repenser dans le cadre de nouveaux états généraux ou d’une constituante une refondation complète de la souveraineté populaire, de la vie démocratique et du système politique qui agonise. Que vive la République sociale, démocratique, écologique.
Patrick Le Hyaric
Le 23 juillet 2024
2 commentaires
Ouais !
En tout cas Macron sait jonglé.
La fumeuse majorité !