Derrière le mur de l’argent

le 30 octobre 2012

Poursuivi et étouffé par des dizaines de milliers d’euros de dettes qu’il avait contractées dans une longue fuite en avant dans le bois épineux des jeux de hasard et des paris tout aussi hasardeux, un homme s’est suicidé la semaine dernière. Cela n’a été relevé qu’à la rubrique faits divers.

Pourtant, ceci révèle l’un des aspects préoccupants de nos sociétés. L’appât de l’argent pour celui qui n’en a pas, ou peu, quand le travail n’est plus rémunéré à sa juste valeur, ou quand on vous l’enlève, vous bouchant du même coup toute issue. Ceci se paye cher. Ici au prix de la vie, au moment où la petite musique sortie des ondes et des écrans vante l’argent comme valeur suprême, la liberté de spéculer comme nouveau modèle, ou encore le droit des plus fortunés de ne pas s’acquitter des impôts dans le cadre d’une justice et d’une solidarité bien comprise. Des mots qui font horreur aux arrogants des très beaux quartiers. On ne peut qu’être révulsé par ces faits, et les mécanismes à l’œuvre.

Il est une autre information de la semaine dernière, toute aussi révoltante. Celle faite à Jérôme Kerviel. Voici un jeune homme de 35 ans, issu d’une famille modeste, devenu travailleur dans une salle de marché de la Société Générale. Son métier était « trader », c’est-à-dire qu’il vendait ou achetait des actions ou des obligations de sociétés ou de fonds financiers, en veillant à en retirer du profit pour sa banque : la Société Générale. Il y développait aussi la spéculation. Tout ceci se faisant à partir d’objectifs de gains et de rentabilité que lui fixait la banque. De ces opérations il a souvent fait gagner beaucoup d’argent à la Société Générale. Il n’a jamais détourné un seul euro à son profit. Son salaire de base était de 2 300 euros. Un jour, par imprudence, il a fait perdre quatre milliards neuf cents millions d’euros à la banque. D’autres de ses camarades ont aussi parfois commis des erreurs. Ils ont été licenciés dans le cadre de procédures relevant du droit du travail de l’entreprise. Lui a été poursuivi devant les tribunaux. Ces poursuites ont d’ailleurs permis à la grande banque de bénéficier d’une exonération fiscale de 1,7 milliard d’euros sur cette perte. Voici qu’en appel la justice confirme une condamnation de Jérôme Kerviel à payer l’équivalent de 370 000 années de SMIC. Oui, 370 000 années. Il est en effet condamné à payer 4,9 milliards d’euros pour « dommages et intérêts » pour un système qui était chargé de développer le marché de l’argent. D’argent ! Il n’en aura évidemment pas pour rembourser une telle somme, d’autant qu’il est aussi condamné à trois ans de prison ferme. C’est une sorte de mise à « mort civile », son nom est répété de média en média sans aucun recul, sans la moindre réflexion sur un système qui produit cela. Jérôme Kerviel ne nie pas avoir commis des erreurs ou des imprudences. Mais est-il possible qu’il ait pu les commettre seul, sans contrôle ou laisser faire de ses supérieurs hiérarchiques ? Le système est-il si fragile que des milliards de salaires, des retraites, de l’épargne, puissent ainsi s’envoler en fumée dans la boîte noire de la spéculation ?

Plus fondamentalement, ce n’est pas le procès de Jérôme Kerviel qu’il faudrait faire. Mais celui de la « finance folle ». Celui d’un système qui permet à l’argent de devenir fou parce qu’il n’est considéré que comme un objet de spéculation. Jérôme Kerviel sert à camoufler la puissance de l’horreur financière qui se développe dans des salles des marchés triturant l’argent, dans un patois tout aussi financier qui permet de mélanger ce qu’ils appellent des produits financiers, mêlant des créances pourries avec d’autres qui le sont moins, dans le cadre du grand casino de la finance débridée. Tout ceci joue contre les peuples, leur emploi, les investissements productifs, la recherche et le développement humain.

Au lieu de livrer Jérôme Kerviel à la vindicte populaire, ouvrons le grand tribunal chargé de juger ce système de la déraison financière et aidons à réfléchir au rôle de l’argent dans nos sociétés. Outil d’échange ? Ou de rémunération du travail, de financement de projets d’avenir ? Ou moyen de spéculation, au détriment des êtres humains et de la vie ?

Une gauche en responsabilité comme aujourd’hui devrait avoir le courage de décider d’une maîtrise publique et sociale de l’argent, pour le mettre au service du bien-être humain, en organisant une nouvelle répartition des richesses, en inventant un nouveau crédit à partir de banques nationalisées, avec la taxation des mouvements de capitaux et de toute spéculation boursière et bancaire, la lutte contre l’évasion fiscale.

Voilà des conditions pour prendre le chemin du changement à gauche. Mais c’est un autre chantier, bien plus grand que celui de la recherche d’un bouc émissaire pour camoufler le rôle réel des banques aujourd’hui.

30/10/2012


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