Capitalisme de rente

le 9 août 2022

Au Parlement, il a été beaucoup question, la semaine dernière, des « surprofits » réalisés par les grands groupes industriels de l’énergie, du luxe, des grands transporteurs maritimes, de l’automobile. Le ministre de l’Économie, M. Bruno Le Maire, a fait preuve d’une rare pugnacité avec les amis de son ancien parti « Les Républicains », sous l’œil approbateur de l’extrême droite, pour les défendre prétendument au nom de l’intérêt de l’économie et donc du pays. Et, il nous a appelé à nous réjouir du fait que des « champions français réussissent ». Il faut avoir des œillères en fer forgé pour déclamer de telles sornettes au moment même où l’immense majorité de nos concitoyens est à la peine à cause de factures qui flambent et de salaires bloqués.

Un défilé de perroquets de l’économie capitaliste s’est chargé de faire le service « après-vente » sur les chaînes de télévision. Tous reprenant en cœur que ces profits seraient réalisés à l’étranger et qu’il ne faudrait donc pas les taxer. On ne peut bloquer les prix, car cela pénaliserait les fournisseurs. Donc, tout augmente et c’est presque naturel. On ne peut, non plus, augmenter les salaires, car cela asphyxierait l’économie. Et, il ne faut pas augmenter les impôts. Ils ne disent pas lesquels ! Pourquoi ne pas faire payer leurs dus aux multinationales d’autres pays réalisant leurs marges en France, telles les firmes de la pharmacie, du numérique ou du luxe qui engrangeaient déjà des profits pendant que les populations vivaient dans l’angoisse du Covid ? Autant de groupes avec ceux de l’armement qui ont été à l’avant-garde d’une phase de mutation du capitalisme en pleine pandémie. Nous en entamons une seconde.

Tout être censé se demande comment, dans la situation de flambée des prix de l’énergie, de défaillances des chaînes d’approvisionnements, de guerre en Ukraine, de sanctions contre la Russie et de menace de récession, 38 groupes français côtés à l’indice phare de la Bourse de Paris ont pu réaliser 81,3 milliards de profit au seul premier semestre 2022, soit vingt milliards de plus que l’an passé. En vérité, c’est parce que tout va plus mal pour le plus grand nombre que cela va très bien pour eux. Le Groupe Total qui croit que les automobilistes font l’aumône, a vu ses marges de raffinage en France passées de 7 dollars à 101 dollars la tonne en un an. Il a doublé son bénéfice net.  Qui fait flamber les prix ?

En plus de leur pression stricte sur les salaires, les multinationales bénéficient d’effets d’aubaine d’autant plus importants lorsqu’elles sont en situation oligopolistiques. Le commerce international leur est profitable grâce, d’une part, à la dépréciation de la monnaie européenne face au dollar qui renchérit toutes les importations et leur fait enregistrer de mirobolants gains financiers. D’autre part, leur stratégie ne consiste pas à se plaindre des pénuries de certains produits, mais à en organiser elles-mêmes la rareté.  Les pénuries, dont une bonne partie a été organisée depuis la pandémie souvent par du surstockage, font automatiquement augmenter les prix au détriment des industries, des petites et moyennes entreprises donc de leurs salariés et des consommateurs. Il y a maintenant plus d’un an, bien avant la guerre en Ukraine, que les prix du pétrole et du gaz avaient doublé en comparaison de l’année 2019. Une politique de la rareté doublée de la spéculation fait exploser les cours mondiaux et augmenter les profits. Cela n’a strictement rien à voir avec l’intérêt de l’économie française, contrairement à ce que raconte le ministre. La production d’acier a bien diminué de 13% pour ArcelorMittal, mais ses recettes de ventes ont augmenté de 8%. Pourquoi ? Parce que ses prix de vente unitaires ont augmenté de …37%. Il y a bien pénurie de puces électroniques, de micro-processeurs et d’autres matières premières indispensable au développement numérique, mais le Groupe STMicroelectronics, après avoir fermé des usines, licencié plus que de raison, a doublé en un an son résultat d’exploitation et dégagé une marge opérationnelle de …25%.  Celle du Groupe Legrand, fabricant de matériel électrique, a bondi à 19%. C’est quand même mieux que le rapport du livret de caisse d’épargne n’est-ce pas ? Après les violentes purges sociales qu’a connues le secteur automobile, avec des dizaines de milliers de licenciements, l’abandon de quatre fonderies, voici que la transition environnementale leur sert de prétexte pour organiser « le manque » de véhicules hybrides ou électriques. Cela permet à Renault, malgré des pertes en Russie, d’annoncer une progression de ses marges à 4,5% tandis que les profits de Sellantis montent au zénith, notamment avec les ventes aux USA.

Ainsi alors que ces groupes ont touché des aides publiques d’État conséquentes, la combinaison de la réduction de leurs capacités de production et du travail humain, l’organisation de la « rareté » relative, l’utilisation des fluctuations monétaires leur permet de bénéficier d’une situation de rente. Rien à voir donc avec leurs mérites particuliers. Rien à voir non plus avec l’intérêt national. La farce sur la « concurrence libre et…non faussée » ne valait que pour détruire des entreprises publiques et construire des monopoles privés qui fixent les règles grâce à un pouvoir tout à leur service. Un mouvement populaire en lien avec les parlementaires de la coalition de gauche doit poursuivre le combat pour la taxation de ces « surprofits » et pour obtenir l’augmentation de la rémunération du travail et une pression à la baisse sur les prix à la consommation. C’est d’autant plus indispensable que ces « super profits » ne sont jamais utilisés pour l’investissement productif, l’emploi ou les salaires, mais pour rémunérer les actionnaires. En effet, en moyenne, 60% des bénéfices leurs sont reversés, ce qui permet aux groupes de racheter leurs propres actions sur les marchés financiers. Ceci constitue un énorme gâchis de capital et le renchérit d’autant. C’est ainsi que le capital est rémunéré contre le travail.  Leurs soliloques sur la « valeur travail » ne sont que sucreries pour tenter d’empêcher que les travailleurs et les citoyens ne se lèvent en masse pour réclamer justice. L’heure est bien de leur permettre d’acquérir des droits et des pouvoirs nouveaux sur la gestion et l’orientation des entreprises. Au-delà, l’enjeu de la propriété collective de grands moyens de production et d’échanges devrait cesser, dans un tel contexte, d’être mis sous le boisseau. Il est nécessaire d’engager un processus de post-capitalisme.  La fête de l’Humanité à la mi-septembre sera un des réceptacles dans lequel pourront converger réflexions et actions en germe.

Patrick Le Hyaric

9 Août 2022


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