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La mise en pause du mouvement d’actions paysannes fomentée par le syndicat co-gestionnaire des politiques agricoles favorables aux plus grosses exploitations et aux firmes de l’agro-business se fait dans l’amertume et dans la douleur.
L’angoisse et la détresse sont loin d’avoir disparu.
Tous les travailleurs-paysans savent que le pouvoir n’a pas répondu aux problèmes fondamentaux auxquels ils sont violemment confrontés.
Usant de toutes ses forces et de toute sa ruse, le gouvernement s’est refusé à traiter les deux questions principales auxquelles sont confrontés les travailleurs-paysans : les prix rémunérateurs du travail et des investissements nécessaires à la production agricole ainsi que le désendettement indispensable pour donner de l’air aux petits et moyens exploitants agricoles.
Aborder ces enjeux revient à mettre en cause le pouvoir exorbitant des grandes firmes agro-industrielles qui pilotent la production agricole et alimentaire. Autrement dit le capitalisme le plus dur enserrant le travail agricole dans ses féroces tenailles tout en surexploitant les ouvriers dans ses usines. Il n’a, lui qu’une seule norme ! Le profit le plus élevé possible au détriment de la petite paysannerie qui doit travailler de plus en plus dur, des salariés de l’industrie de la transformation et de la distribution, des petites et moyennes entreprises qu’elles prennent au garrot, et des consommateurs au pouvoir d’achat toujours plus compressé pour une alimentation de qualité moindre.
Le débat autour des « normes » cache fondamentalement la protection de la minorité des grosses exploitations et la grande industrie fournisseuse et acheteuse de la production agricole. Celle-ci est de plus en plus concentrée, mondialisée et financiarisée. Elle surfe sur un marché mondial alimentaire de plus de 8 000 milliards de dollars.
Le commerce mondial de céréales est assuré par seulement quatre grandes compagnies géantes aussi puissantes que nombre d’États : Archer Daniels Midland, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus. Non content de contrôler 90 % du commerce mondial des céréales, ces transnationales s’accaparent désormais des terres, fournissent semences et engrais aux fermiers, achètent leurs céréales puis les transportent par bateaux, les stockent et les revendent sur des marchés boursiers.(bourse de Chicago et Euronext). Le secteur des fruits tropicaux est dominé par trois grands groupes (Dole, Del-Monte, United Fruit). Il en est de même dans le secteur du lait ou quelques grands groupes dont Lactalis, Danone, Nestlé font la pluie et le beau temps. Lactalis paie ce mois-ci le litre de lait à peine 0,40 centimes à la ferme et le revend 1,30 euro. L’industrie de la chimie et des engrais s’accapare les marchés des semences en la liant aux biotechnologies (Bayer-Monsanto, Limagrain, Adventis, Sakata) ; de la santé animale et végétale liée à la chimie fine (Bayer, le fabricant de Glyphosate). La même stratégie est à l’œuvre dans le secteur des pêches maritimes ou des armateurs internationaux font naviguer sur nos mers des bateaux-usines qui écrasent la pêche artisanale et détruisent la ressource en poissons tout en raclant le fond des mers.
Le système alimentaire mondial est dominé par, à peine une quarantaine de très grandes firmes multinationales. Les fonds financiers y investissent massivement.
Leur préoccupation n’est donc ni le sort des petits paysans, ni des pêcheurs, ni celui des citoyens-consommateurs, ni la souveraineté alimentaire, ni la vie rurale, ni la santé humaine et animale, ni la biodiversité, ni le climat.
Leur seul souci est la rentabilité maximum du capital à court terme. C’est pour leur permettre d’atteindre ces objectifs que les gouvernements et les institutions internationales – de l’Union européenne à l’Organisation mondiale du commerce, en passant par le Fonds monétaire international – ont dérégulé les marchés et les prix. Quand il place un pays sous un plan d’ajustement structurel, le fonds monétaire international n’hésite pas à exiger de celui-ci d’abandonner son agriculture nourricière au profit de cultures d’exportation pour rembourser des prêts et d’astronomiques intérêts de la dette. C’est la famine dans le pays en question, mais la fête pour les fonds financiers.
Ce débat est caché. Or, il y a bien une incompatibilité majeure, un antagonisme fondamental entre cet objectif cannibale et la sécurité alimentaire mondiale, la souveraineté alimentaire des pays et des peuples, la protection de l’environnement. Autrement dit, il y a bien une contradiction fondamentale entre le grand capital internationalisé et l’alimentation, la vie paysanne et la biodiversité. La contradiction entre le combat contre la faim et les dégradations de la qualité alimentaire source de redoutables maladies comme l’obésité, le diabète, les maladies cardio-vasculaires et des cancers est antagonique avec le capitalisme. Tel devrait être le débat que devrait porter avec force le mouvement progressiste de transformation sociale et écologique. Doit –on laisser ce système maitriser « l’arme alimentaire » théorisée aux États-Unis ?
C’est d’abord pour protéger ce capital que les gouvernements successifs et les instances européennes ont détruit les mécanismes de prix de base intra-communautaire et que le Premier ministre met fin au plan dit « Écophyto ».
Ce plan visait à réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici 2030. C’est une carte blanche donnée à la firme Bayer qui fabrique le glyphosate qui fait monter ses profits à mesure que l’infertilité et les maladies chroniques augmentent dans la population, que près du tiers de nos concitoyens reçoivent une eau ne répondant pas aux critères de qualité pour cause de pesticides et de métaboliques.
Prendre une telle décision, au moment où est constatée la disparition de 60 % des oiseaux des champs et 80 % de la biomasse des insectes est totalement irresponsable.
Pire encore, pour ne pas avoir à contredire la grande firme de l’agrochimie le Premier ministre veut affaiblir ou démanteler l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (anses) chargé d’évaluer les risques sanitaires et environnementaux des pesticides avant de leur donner l’autorisation ou non de mise sur le marché.
La décision de surseoir aux 4 % de jachères vise à permettre aux plus gros céréaliers d’intensifier encore leur production pour qu’ils soient mieux placés dans la guerre économique mondiale.
Le détricotage des dispositifs agri-environnementaux va être payé très cher par les paysans eux-mêmes alors qu’ils sont déjà victimes de maladies nouvelles, victimes des modifications climatiques et du manque d’eau dans certaines régions.
Malgré les belles, mais hypocrites paroles du Premier ministre, le gouvernement ne se place pas du côté des travailleurs-paysans sinon il légiférerait pour modifier le rapport des forces en leur faveur en faisant remonter les prix à la production tout en relevant les salaires et les retraites, et en cherchant les voies d’un désendettement des fermes.
La remise sur pied d’offices nationaux et européens par production permettrait de déterminer un prix de base pour une quantité donnée de production. Au-delà de cette quantité à fixer entre l’État et les organisations professionnelles, les prix seraient dégressifs. Et, le « coefficient multiplicateur » qui permet de mesurer l’écart entre le prix d’achat à la ferme et le prix de vente serait réduit à 1,5 ou 2. En complément, les crédits publics seraient octroyés selon le travail humain et non plus à la surface afin de rémunérer l’apport des paysans à la valorisation des biens communs (qualité de l’eau, biodiversité, valorisation des paysages, qualité alimentaire).
Pour ne pas contrarier le secteur bancaire, le gouvernement ne dit mot sur l’absolue nécessité d’un plan structurel de désendettement des paysans-travailleurs. Celui-ci pourrait se faire en échange d’une bifurcation des systèmes de production agro-écologique, réduisant progressivement l’utilisation des intrants chimiques et les engrais azotés de synthèse, recourant à une diversité de variétés végétales et de races animales plus adaptées aux terroirs.
Une telle orientation impliquerait un plan européen inédit mobilisant notamment la banque centrale européenne pour annuler des dettes et financer un audacieux projet d’installation d’au moins 500 000 jeunes agriculteurs se dotant de projets de développement rural et environnemental. Il n’y aura pas de souveraineté alimentaire sans une telle audace.
En ce sens, la politique agricole européenne devrait devenir une politique agro-écologique et alimentaire commune. (nouvelle PAC).
Cela conduirait les institutions européennes à réviser tous les traités de libre-échange et en tout état de cause à déclencher « la clause de sauvegarde sanitaire » afin d’empêcher des importations de produits alimentaires produits dans des conditions sanitaires et environnementales non conformes au droit européen.
Le pouvoir et les grands médias se sont évertués à dépolitiser les causes des souffrances dans nos campagnes, pour éviter de tourner les regards sur les choix politiques fondamentaux depuis près d’un demi-siècle en faveur du grand capital de l’agro-chimie et de l’agro-alimentaire. Ce système creuse ses propres contradictions. C’est lui, qui est directement mis en cause dans le mouvement paysan qui aurait intérêt avec tous les salariés et les retraités à s’unir pour penser le nécessaire « après capitalisme » qui frappe de mille manières à la porte.
Cela appelle à faire de la production alimentaire un bien commun et une mission d’intérêt général et l’accès à l’alimentation pour toutes et tous un droit fondamental.
Patrick Le Hyaric
5 février 2024
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