Un bouquet de pensées et d’actes pour un nouvel « en-commun »

le 24 octobre 2015

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Par Jack Ralite, maire honoraire d’Aubervilliers et ancien ministre.

Que de fois en arrivant au travail ou en allant faire des courses, à la première rencontre avec un collègue ou une ménagère, qu’entendons-nous ? : « Vous avez vu à la télé hier soir c’est terrible au Moyen-Orient, la Syrie martyrisée dans ses citoyens et ses monuments comme à Palmyre, la Palestine dont la jeunesse n’accepte pas qu’elle soit oubliée dans de nécessaires négociations internationales, l’Irak désarticulé. Tous les jours des morts, de la torture, des décapitations. Daech rêve d’un “monument de sang”, c’est le chaos.»

Mais ici en France, le chômage qui s’éternise et la pauvreté qui se répand, et tant et tant d’autres choses qui vont mal (situation souvent bloquée de la jeunesse, entreprises qui ferment, paysans en colère, enseignants revendicatifs, retraités aux retraites mutilées). Comment ne pas comprendre le mécontentement généralisé, l’angoisse, la peur, malheureusement un certain renoncement. On est comme dans une impasse où notre belle histoire s’efface, c’est la catastrophe.

Là-bas comme ici, dans toute l’Europe et au-delà, nous sommes confrontés à un véritable ébranlement des sociétés. Partout, se fissurent, se fracturent les contrats sociaux en usage. La grande question du mode de cohésion de nos sociétés dans leur diversité est à l’ordre du jour. Le monde entier est victime. Les repères simples qui permettaient aux identités collectives de se situer disparaissent. Tout un siècle ne peut plus comparer son âge à ce qu’il voit et nous nous comptons par millions qui sommes les enfants égarés de l’immense divorce de la société d’en haut avec la société d’en bas.

Il y a une accumulation de malheurs, mais aussi une apparition de faits nouveaux comme les technologies numériques, les victoires des salariés qui créent leur coopérative, l’action du nouveau Pape pour la justice, le succès d’un paysan français sur Monsanto, la mondialisation, le grand retournement de l’histoire en 1975 dans le monde avec l’avènement de la financiarisation de toutes choses et ses conséquences : Tout s’achète, se vend et produit des déchets matériaux et moraux. Cela réclame des mesures nouvelles, de nouveaux commencements.

Comment ne pas comprendre que devant de tels bouleversements les mentalités n’opèrent pas aussi vite que les changements. Très souvent, les humains utilisent pour aborder le présent-avenir des voies cérébrales d’hier. Ils ont des « kystes mentaux » disait le musicien italien Luigi Nono.

Bernard Noël a pu dire que la France -c’est valable pour le monde entier- était dorénavant par des chemins invisibles, frappée par la « CENSURE » et la « CASTRATION MENTALE » au point de faire douter de la possibilité d’une alternative. Cela conduit à un monde où tout changement serait impossible et qui devrait rester immobile. Il y a un travail inouï à faire jusqu’à l’intime.

La soirée a entendu sur le chaos, la catastrophe et demain, trois grandes voix connues en France qui malgré les aléas de l’histoire sont restées fidèles à leur élan d’énergie démocratique : Leïla Shahid, ancienne ambassadrice de Palestine en Europe après l’avoir été dans notre pays, femme courageuse qui entend jusqu’à l’émotion, le tremblement et l’inattendu dans la vie. Edwy Plenel, journaliste d’exception à la tête de l’équipe de Médiapart qui se livre à une investigation profonde de tous les faits, méfaits et forfaits du monde financiarisé. Edgar Morin, sociologue, philosophe, inlassable résistant et constructeur ici et là-bas, dans le monde qui à l’évidence ne peut rester en l’état. Tous les trois sont des combattants de la pensée, du droit à l’existence et à la liberté. Ils ont le sourire de la véritable espérance, ce sont des civilisateurs. La salle de l’Embarcadère face au Théâtre de la Commune les reçut avec près de 400 personnes ayant le désir d’apprendre, de penser et d’agir dans la liberté, aussi bien à l’usine que dans la cité.

Après l’émouvante interprétation d’une œuvre musicale palestinienne par de jeunes femmes musiciennes et chanteuse palestiniennes et françaises, et les propos beaux, bons et source de bonheur politique de nos trois hôtes, il serait dommage que cette très belle soirée solennelle et intelligente ne soit pas répercutée à travers une initiative que l’on pourrait appeler : Le Manifeste d’Aubervilliers : « Aubervilliers et ses amis veulent élaborer une réflexion pour un en-commun d’aujourd’hui et de demain ».

Aubervilliers, il y a quelques années était quant aux revenus des familles, la 1299ème ville sur les 1300 de la région Ile-de-France. Ici les mots et la langue des trois conférenciers rencontraient leur objectif fondamental. On ne peut pas vivre décemment quand on connait ces situations. Certes il y a la municipalité traitant inlassablement et au quotidien l’homme dans le pauvre et non le pauvre dans l’homme, mais la gravité des évènements aboutit souvent à ce que les différences dont sont porteurs chaque homme, chaque femme, en arrivent à être indifférentes aux autres différences ce qui blesse le « vivre ensemble » de cette ville de banlieue ouvrière, populaire à la population française et internationale.

Que faire des idées énoncées pour travailler à des visées, des projets qui soient efficaces sans oublier là où on met les pieds. Il ne s’agit pas d’élaborer par en haut un programme d’Etat ou de Gouvernement, mais de mettre en marche des pensées qui viennent aussi bien d’hommes et de femmes de « connaissances conceptuelles » comme les trois orateurs d’aujourd’hui et de femmes et d’hommes du quotidien d’Aubervilliers avec leurs « connaissances en actes ».

Ces deux genres de connaissances ont des tensions inéliminables. C’est même une des conditions de tout dialogue possible. Une autre étant leur rencontre dans une zone commune de développement où se mettent à l’épreuve, s’interrogent et se nourrissent mutuellement des activités, des compétences et des préoccupations par nature hétérogènes. C’est un débat vivant, exigeant un travail d’élaboration et d’interrogation dialogique ce qui implique de véritables libertés. C’est un immense défi à relever. En effet s’il existe une conquête de nos anciens quant aux libertés dans la cité, il reste un lieu non pénétré par cette nécessité qui s’appelle l’entreprise qui, même moderne, reste essentiellement fermée à la démocratie et aux espaces de liberté. C’est un problème de taille dans cette période où les mutations technologiques ajoutent encore à ce besoin qui aujourd’hui a une dimension nouvelle : la connaissance. Sur ce front encore trop peu tenu, la gauche n’est pas parvenue à penser de façon critique à son absence ou à sa passivité. La troisième révolution industrielle a un besoin urgent d’initiatives réflexives et critiques ce qui aurait de grandes conséquences sur la formation continue. Il s’agit d’une nouvelle et grande responsabilité publique impliquant une réflexion sur le travail devenu malade parce que confronté aux pratiques nouvelles et envahissantes du management imposant la tyrannie du court terme. Le psychologue Yves Clot a développé cette question. Le travail est malade, les travailleurs, de l’ouvrier aux cadres, le sont aussi jusqu’à la rupture. Yves Clot a une significative formule pour illustrer ce statut imposé : les travailleurs deviennent des « boxeurs manchots » dans tous les domaines de leur vie, à l’usine, dans leur temps libre et leurs loisirs. Nous sommes en face du Théâtre de la Commune. Les hommes et les femmes qui l’ont dirigé témoignent du recul de ces travailleurs devant la création artistique et leur glissement vers le seul souci de se distraire qui devient une passion triste. Se pose la grande question de la re-création du travail, véritable problème de santé publique.

Les libertés et l’organisation du travail, sont des objectifs à élucider et à conquérir. Aubervilliers a connu des engagements qui exigeaient l’écoute éperdue et l’inouï, le refus de se plaindre, mais de porter plainte en faveur de l’émancipation humaine.

A la Libération dans le contexte d’écrasement du nazisme, la population d’Aubervilliers a remplacé le premier collaborateur de France, Pierre Laval, comme maire par le commandant en chef des Francs Tireurs et Partisans, Charles Tillon. Dans l’histoire de cette ville, c’est un moment fondateur. Il y a des gènes de pensées et d’actes qui demeurent en mémoire.

Un jour avec le maire d’Aubervilliers André Karman, ouvrier-fraiseur, déporté à 17 ans, le plus jeune maire de France d’une grande ville, nous distribuions des tracts de solidarité aux travailleurs de la cartonnerie « Lourdelet » fermant ses portes. Les travailleurs prenaient le tract, nous adressaient un sourire, un merci. Une femme est revenue vers nous et nous tint ce langage : « On vous remercie d’être là tous les deux. D’ailleurs vous l’êtes toujours dans les cas graves. Quand je travaillais à l’usine « Unilever » et qu’elle a fermé, vous étiez là. Quand quelques années après à « La Nationale » qui a fermé aussi, vous étiez encore là. Et vous êtes là aujourd’hui. ». Elle le disait avec une grande reconnaissance mais en même temps nous livrait pour peu qu’on réfléchisse quelque chose comme -en tout cas c’est ce que nous nous sommes dit après- « Nous sommes les pompes funèbres générales ». La remarque de cette femme m’a beaucoup travaillé, si bien que des années plus tard, quand la Plaine Saint-Denis prenait l’allure d’une campagne en jachère, nous avons décidé de créer « Plaine Renaissance » avec nos camarades de Saint-Denis, c’est à cette femme que j’ai pensé. La réalité conduit à la pensée. J’ai pour elle une grande reconnaissance. A méditer.

Evoquons comme l’a fait Leila Shahid, le Collège de France, grande école créée par François 1er où la liberté de recherche est sans limite et dont les professeurs sont des références intellectuelles, simples et compréhensibles. Ils sont venus 5 ans durant faire bénévolement des conférences à Aubervilliers. Je n’oublierai jamais lors de la « première » une femme d’origine algérienne avec ses trois enfants. Elle était là dans le Théâtre de la Commune archiplein. La télévision s’était déplacée, l’avait remarquée et l’interviewa. Elle dit « Jamais je n’étais entrée dans le théâtre. Il est très bien et sans doute je reviendrai avec mes enfants. Mais si je suis là c’est parce que ces messieurs du Grand Collège sont venus chez nous expliquer leurs travaux. Chez nous, vous vous rendez compte, alors je suis venue en famille pour leur dire un grand merci ». Elle s’éloigna, puis revint sur ses pas et murmura : « Vous savez j’ai tout compris ».

Ces trois rappels sont des souvenirs phosphorescents de ma vie. Ce sont de telles mêlées que nous devrions contribuer à construire avec l’objectif de chercher, de réfléchir, de trouver les éléments d’un en-commun qui serait salvateur contre les agressions auxquelles nous sommes confrontés, mais aussi civilisateurs des novations d’avenir qu’il n’est pas question de mettre en retard, de ne pas accomplir. « L’inaccompli bourdonne d’essentiel » disait René Char. C’est décisif pour intéresser la jeunesse qui a besoin d’un imaginaire.

A Aubervilliers nous devons épanouir quelques expériences faites au cours de notre histoire qui disent : “Chacun est un être singulier, le rêve c’est que ce singulier soit imbibé du collectif, ce collectif étant lui-même imbibé de tous les singuliers”.

Un grand pas sera fait lorsque la revendication d’un « singulier collectif » sera devenue générale.

Il est temps de conclure et de vous offrir un bouquet de citations, de « cigales » selon le grand poète Mandelstam.

Predrag Matvejevic : « Nous avons tous un héritage et nous devons le défendre, mais dans un même mouvement nous devons nous en défendre, autrement, nous aurions des retards d’avenir, nous serions inaccomplis ».

Georges Balandier : « Nous sommes dans l’obligation de civiliser les nouveaux nouveaux mondes issus de l’œuvre civilisatrice ».

Jean-Pierre Vernant : « Pas d’hommes sans outillage, mais pas d’hommes non plus à côté des outils et techniques sans langage ».

Bruno Trentin : « La question de la liberté dans le travail devient la question de la liberté tout court ».

Ce bouquet de pensées constructives deviendra réalité quand autour de lui les citoyens de France avec des « coups d’archets sur l’imagination » auront su construire un rassemblement durable autour de ce nouvel « en-commun ».

N.B. : les personnes qui seraient intéressées par cette initiative albertivillarienne peuvent nous le faire savoir par mail : jack.ralite@mairie-aubervilliers.fr


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danilo 26 novembre 2015 à 10 h 47 min

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