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La réélection de Donald Trump à la tête des États-Unis s’inscrit dans un mouvement mondial où la montée des mouvements nationalistes réactionnaires répond comme un boomerang à la mondialisation capitaliste et financière ainsi qu’au prétendu « doux commerce » qui ne profitent en rien aux classes populaires.
Aux Etats-Unis, celles-ci, harassées, ont majoritairement voté Trump en toute connaissance de cause après l’avoir déjà expérimenté. Après l’avoir bien écouté et entendu ses discours et son projet politique, elles lui ont donné tous les leviers de commande institutionnels.
Le journaliste du Washington Post Marc Fisher résume ainsi l’expression des citoyens nord-américains : « Nous souffrons. Nous ne voyons aucun avenir pour nos enfants. Nous voterons pour quiconque amplifiera le signal d’alarme, même si nous savons qu’il n’est pas vraiment fait pour le poste, même si nous ne pouvons-nous attendre à ce qu’il améliore les choses[1]. »
Dans un pays où le débat ne porte que sur des variantes de la mise en œuvre des projets du grand capital, les citoyens ont rejeté massivement l’un de ses promoteurs, le Parti démocrate. Ils l’ont fait d’autant plus aisément que Kamala Harris, croyant battre son adversaire en l’imitant, a troqué ses engagements initiaux de mettre fin à la spéculation sur les prix, d’améliorer le système de santé et d’encadrer l’industrie pharmaceutique contre un programme plus favorable aux grandes entreprises.
Une coulée de renoncements dans un contexte, où « le pouvoir de vivre » des familles populaires se dégrade, sans services publics, sans sécurité sociale, avec de grandes difficultés à accéder à la santé et à l’éducation.
Convaincre les plus exploités de défendre le système qui les opprime
Le travailleur états-unien est de plus en plus placé en situation de précarité sociale et économique alors que les écarts de richesses sont vertigineux et les indices boursiers en explosion régulière. S’engageant dans un boulevard pavé de contestations, de peurs et de frustrations, Trump, aidé des potentats du capital, a trituré, à coups de mensonges et de grossièretés, l’angoisse des classes populaires. Étai solide des puissances industrielles, du numérique et de la finance, il est parvenu à convaincre les plus modestes, les plus exploités et méprisés par le système qu’une menace existentielle pesait sur eux avec l’immigration, les projets de transition environnementale et ce que l’élite bourgeoise du monde entier qualifie de « wokisme » comme un étendard abstrait en remplacement de la peur du « communisme ».
Paradoxe : le candidat républicain, accessoirement milliardaire de son état, s’est présenté comme celui qui allait donner de la fierté aux classes laborieuses. Dans une campagne entremêlant sexisme et racisme, triomphe du suprémacisme blanc, il aura réussi à agréger sur son nom d’importantes fractions de la bourgeoisie capitaliste, des secteurs entiers de couches moyennes en voie de déclassement et une classe ouvrière rurale et des banlieues laminée par la désindustrialisation et les profondes mutations qu’impose le capital contre le travail. Un cap a été en outre franchi : le vote Trump s’avérant capable d’engranger des voix issues des minorités afro-américaines et latino adhérant à un discours machiste et xénophobe. Notons que M. Bardella propose cette même orientation stratégique dans son livre récemment paru.
L’affirmation d’un national-capitalisme
Il ne s’agit pas ici d’une simple réélection avec le même programme. À la différence de sa campagne de 2016, Trump aura cultivé – notamment avec les milliardaires de la Silicon Valley, au premier rang desquels Elon Musk – un imaginaire de puissance retrouvée dans lequel se combinent les promesses de domination de l’espace surement pour le privatiser, de sonde spatiale et d’une vie extraterrestre, de transhumanisme, de finance globalisée dont chacun toucherait sa part, à un électorat de plus en plus méfiant à l’égard du gouvernement voire même de l’État, gavé de haine contre la culture progressiste, alimenté aux résistances au progrès par les sectes et les églises obscurantiste, ainsi que de l’expulsion des immigrés.
Comme tous les nationalismes réactionnaires, la droite extrême états-unienne n’a cessé de réaffirmer la nécessité de la concurrence entre individus et la valorisation du mérite, tout en axant sa propagande sur l’impossibilité d’assimilation au sein de la société d’individus ou familles aux patronymes, croyances ou lieux de naissance considérés comme extérieurs à la culture majoritaire ou au territoire national. Ce nationalisme de repli réactionnaire fait croire à ceux qui n’en peuvent plus des souffrances et de la mal vie que la résolution de leurs problèmes passe par la fuite en avant dans l’individualisme au sein d’un ethno-nationalisme-capitaliste agressif.
L’échec et la responsabilité majeure de Joe Biden
La politique internationale de Biden les a plutôt confortés dans leur choix.
En effet, depuis quatre ans l’administration démocrate a poursuivi en grande partie ce qu’avait commencé Trump : tensions et propagande antichinoise et protectionnisme vis-à-vis de la Chine, protectionnisme industriel, énergétique et agricole à l’égard de larges partie du monde, alors que d’autres parties subissent le pillage des ressources notamment les métaux rares pour la nouvelle industrie, financement massif du grand capital industriel, spatial sur fonds publics et par création monétaire, rapatriement de productions, prédominance du dollar finançant une partie des déficits américains même si la dette publique ne cesse d’augmenter.
A ceci s’ajoute deux facteurs : D’abord une large partie du peuple américain, républicain comme démocrate a considéré que Biden avait été incapable d’empêcher l’agression russe contre l’Ukraine avec pour conséquence directe l’augmentation des budgets militaires contre les besoins sociaux. C’est ici que l’argumentaire de Donald Trump à l’égard de la Russie et de Poutine a reçu un large écho.
D’autre part, à force de jouer sur plusieurs registres au Moyen Orient tout en fournissant de plus en plus d’armement au gouvernement israélien, la diplomatie Biden est considérée comme en échec, particulièrement par une grande partie des élites alors que de nombreux électeurs démocrates contestant le projet colonialiste Israélien se sont démobilisés.
« Project 2025 » : diluer l’État dans le grand capital
Ceux qui s’évertuent à réduire Trump à sa caricature, à ses tweets et à ses grossièretés se voilent malgré eux la face sur une politique cohérente, mûrement réfléchie et pouvant être rapidement opérationnelle : elle est toute contenue dans le programme « Project 2025[2] ». Ce dernier vise à unir toutes les nuances de la droite conservatrice et de l’extrême droite, des groupes religieux ultraconservateurs soutenus par la majeure partie des puissances industrielle et numérique états-uniennes.
Ce texte gros de 900 pages comprend toutes les propositions rétrogrades et ultraréactionnaires dans des domaines comme les migrations, les droits sexuels ou le climat et la volonté de mettre l’Etat au service exclusif du capital et, de tout, faire marchandise. Ce programme propose de démanteler plusieurs ministères, des agences fédérales, de licencier des agents publics, de contrôler et d’affaiblir la justice et de soumettre l’État nord-américain à une diète telle que les grandes entreprises privées, les banques et les marchés financiers n’auraient plus aucun obstacle pour pomper l’intégralité des richesses issues du travail alors que travailleuses et travailleurs seraient privés de tout service public. C’est à cette tâche que va se consacrer Elon Musk dans le gouvernement que compose Trump.
Il s’agit d’un projet d’accélération réactionnaire pour tenter de donner un nouveau souffle au capitalisme états-unien, chef de file du capitalisme occidental, dont la prééminence sur le monde est de plus en plus mise à mal. Le grand capital considère qu’il lui faut désormais construire une nouvelle alliance politique incluant une partie importante des dominés et des exploités pour obtenir une adhésion massive à une nouvelle version du capitalisme : un national-capitalisme fusionnant ou diluant l’État dans le grand capital tout en dominant l’économie mondiale dans les grands segments du numérique, de la pharmacie, de l’armement.
En même temps l’asservissement de ses arrière-cours en Amérique latine, au Moyen-Orient, dans le Pacifique se poursuivrait, quand l’Union européenne continuerait d’être laminée et l’hégémonie du dollar dans les échanges mondiaux tout comme l’extraterritorialité du droit nord-américain préservés.
Un basculement réactionnaire tel qu’il finirait par déchiqueter les droits sociaux, les droits démocratiques et humains tout en jetant définitivement par-dessus bord le droit international dont celui qui s’ébauchait avec les grandes conventions de l’ONU pour les droits des femmes ou l’environnement et le climat. Kevin Roberts, un temps pressenti chef de cabinet à la Maison-Blanche et co-rédacteur du « Project 2025 », a qualifié cette stratégie de « deuxième révolution américaine » qui se déroulerait « sans effusion de sang, si la gauche le permet ». Il convient de prendre la mesure de la charge de tels propos.
Cette voie est non seulement celle de guerres économiques renforcées, mais aussi celle de l’élargissement de guerres militaires pour l’énergie et les minerais rares alimentant les nouvelles technologies industrielles très profitable pour leurs propriétaires.
L’Union Européenne atlantiste en crise et le regain des extrêmes droites européennes
Le retour de D. Trump à la présidence survient dans un contexte où l’intégration européenne alignée sur le projet « euro-atlantique » connaît une profonde crise. Le continent est également secoué par ce renouveau des droites extrémisées et de l’extrême droite qui jouent désormais un rôle dans les institutions européennes, y compris au sein de la Commission. Et, coïncidence inquiétante, les deux principaux pays à l’origine du marché commun – la France et l’Allemagne – connaissent des crises institutionnelles sérieuses qui chaque jour fournissent du carburant frais à la chaudière de l’extrême droite.
La politique des sanctions contre la Russie ne profite qu’aux États-Unis. L’industrie européenne, particulièrement allemande, souffre d’un coût plus élevé de l’énergie au profit des exportations nord-américaines de pétrole et de gaz de schiste. En concurrence avec la Chine, les industriels états-uniens veulent occuper le marché de la voiture électrique. Celle-là même que les familles populaires ne peuvent acheter et qui sert de fer de lance à la critique de toute transition écologique. D’énormes plans de licenciement sont en préparation des deux côtés de la frontière du Rhin. Les difficultés risque d’être largement amplifié, pour les familles populaires, avec le renforcement de l’austérité au nom de « déficits » qui se creusent à mesure qu’augmentent les aides publiques au capital et la demande des Etats-Unis de financer plus de dépenses militaires, pour plus d’engagement en défense de l’Ukraine, au lieu de chercher une stratégie de paix.
Une autre voie, un processus communiste, s’impose
Voilà qui pourrait encore conforter l’extrême droite si les forces de gauche et les forces sociales progressistes ne cultivent pas mieux leur unité avec l’outil qu’elles ont su créer avec le Nouveau Front populaire. L’unité des forces progressistes et démocratiques pour la justice, la démocratie, l’environnement et la paix se pose aujourd’hui avec plus de force encore.
L’expérience montre que ce n’est ni un populisme de type nouveau ni un projet d’adaptation au capitalisme qui permettront de combattre le nationalisme montant. Les points de bascule en cours nous obligent à ne plus raisonner à partir du développement d’une croissance productiviste pour un inégal partage des richesses. La social-démocratie ne cesse de se fracasser sur cette adaptation au capitalisme et se mue en social-libéralisme. Et l’échec du soviétisme, faute de se ressourcer au marxisme authentique, faute de méconnaitre la démocratie comme moyen de toute transformation sociale a également douché bien des espoirs. Cela ne signifie pourtant pas que les peuples soient condamné dans les faux choix et de se voir enserré dans les bras d’acier de l’extrême droite.
Une autre voie s’impose donc pour éviter le pire. Le combat contre le grand capital et sa béquille qu’est l’extrême droite met à l’ordre du jour un débat et des actions pour un unitaire processus communiste, non comme horizon lointain mais comme objet d’un travail immédiat et quotidien.
Donner sens au bien commun et à l’émancipation
L’une des leçons des élections états-uniennes doit conduire à ne pas négliger la capacité des forces de la réaction et du protofascisme à se réinventer et à agréger une partie des classes populaires à un projet au service du capitalisme le plus barbare, encore plus aliénant pour le peuple travailleur.
On trouve déjà de nombreuses bribes du programme de Trump dans la bouche et les projets de plusieurs de nos actuels ministres du gouvernement Barnier. On le trouve abondamment dans les textes et les votes de l’extrême droite à l’Assemblée nationale.
Dans un tel contexte, le travail politique pour l’unité populaire dans l’action doit être considérablement renforcé, particulièrement sur les lieux de travail. Il conviendrait d’articuler de manière indissociable justice sociale, droit au travail, progrès environnemental et bond en avant de la démocratie. Démocratie dans la cité et surtout association des travailleuses et des travailleurs dans un processus de lutte pour gagner le pouvoir sur la production, la création monétaire et le contenu du travail.
C’est en donnant sens au bien commun et à l’émancipation, tout en tenant compte des multiples contradictions qu’ensemence la réaction, que les forces démocratiques et de progrès humain seront utiles au peuple qui cherche la voie d’un « mieux vivre » quand ce n’est pas la recherche immédiate du respect et d’un « pouvoir de vivre ».
Patrick Le Hyaric
12 novembre 2024
[1] Washingtonpost.com/opinions/2024/11/06/trump-win-dc-rebuilding-solutions/
[2] Projet élaboré par la Heritage Foundation, think tank néoconservateur créé dans les années 1970 pour soutenir la candidature de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis.
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