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C’est dans ce lieu que le Président de la République avait montré sa grossièreté et son talent d’insulteur en chef, plus proche de la saillie crachée dans un bistrot que de la tenue et de la retenue qui sied à la fonction d’un chef d’Etat : le salon international de l’agriculture. Cette année il n’est pas venu ouvrir le salon préférant la « datcha » du cap Nègre. Les paysans sont dans la mouise la plus noire, le Président se dore la pilule. Lui qui a gratifié ses amis de la haute bourgeoisie, sa classe, d’un bouclier fiscal ; multiplié les exonérations sociales et fiscales aux grandes sociétés et veut maintenant supprimer la taxe professionnelle, laisse l’une des catégories essentielles à notre pays se débrouiller avec une baisse moyenne de plus d’un tiers de ses revenus. Oui, un tiers ! C’est le résultat de la diminution généralisée des prix à la production agricole. Combien de douleurs et de malheurs, combien de souffrances se cachent derrière ces mots ? L’endettement et le surendettement de nombreux agriculteurs devient insupportable.
On a rarement connu une baisse si importante, si généralisée en temps de paix. Il faut le dire, le redire et le clamer : les paysans ne peuvent plus vivre de leur travail. Et ceci n’est ni le fruit de difficultés climatiques, techniques, ni de quelque volonté du Saint Esprit, mais des décisions politiques dont l’actuel Président de la République et ses comparses sont les acteurs principaux depuis des décennies. Ce sont eux qui ont « démantelé », « dérégulé » les systèmes de production, les politiques visant à rémunérer le travail par les prix. Ce sont eux qui ont lâché les brides des spéculateurs de tous poils qui, aujourd’hui, broient les « agriculteurs paysans » et affament une partie du monde. Aujourd’hui on spécule sur le lait comme sur le café, sur le blé comme sur le thé ou le coton. Tout cela se décide loin des regards des peuples, à l’Organisation Mondiale du Commerce, haut lieu des baises-mains et des courbettes aux puissants de ce monde. Cela s’est décidé, année après année, dans le démantèlement des principes fondateurs de la politique agricole commune. Ils ont supprimé la plupart des leviers de l’action publique au service de l’intérêt général pour donner toute liberté aux requins de la finance. Voilà leur définition du « libéralisme ».
Voilà ce que nous n’avons cessé de combattre dans ce journal « La Terre » depuis des décennies. Si nous avions été un peu plus écoutés au lieu d’être classé au rang des « ringards », nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Au lieu d’en tirer toutes les conséquences, les élites européennes et nationales s’apprêtent à aller encore plus loin dans le sens de la dérégulation au service des marchands. Le commissaire européen à l’agriculture a répété la même phrase, ces jours derniers, dans les journaux où il a donné des entretiens : « nous ne reviendrons pas en arrière ». c’est un nouveau commissaire avec des recettes anciennes qui ont fait faillite. Il n’est donc pas décidé à tirer les leçons de cette politique ultralibérale qui fait tant de dégâts sociaux, environnementaux, territoriaux et ne permet pas de répondre aux besoins alimentaires de la planète.
Ce dogme de l’ultralibéralisme mondialisé élaboré dans les cénacles de l’Organisation Mondiale du Commerce et de la Commission de Bruxelles, mène à l’impasse. La terre est de plus en plus objet de spéculation et d’accaparement par des grands fonds financiers au détriment de l’alimentation vivrière et de l’environnement. Dans ce cadre on parle de plus en plus de valorisation « non alimentaire » de la production agricole. Nous n’y serions pas opposés dés lors que les besoins alimentaires de chacune et de chacun seraient satisfaits, que l’on n’épuise pas plus les terres et si cela permettait des productions plus écologiques. Il est vrai que l’agriculture peut être pourvoyeuse de matières premières renouvelables à l’opposé du pétrole. Mais la question du prix à la production est de toute façon posée. Or, le capitalisme cherche à faire des paysans des producteurs de matières premières de base, des sortes d’extracteurs de minerai à bas prix pour des secteurs industriels liés à la haute finance mondiale.
C’est bien la question de la rémunération du travail et de la souveraineté alimentaire qui reste au cœur des enjeux actuels, avec celle de la nature de la production agricole : agriculture industrialisée ou agriculture paysanne, garante de la qualité alimentaire. On ne peut bousculer indéfiniment les cycles de la nature. Il faudra bien concilier les progrès scientifiques avec l’agronomie. Tenter de résoudre ces problèmes par des mesures aussi indispensables soient-elles, comme la baisse des charges ou l’octroi de nouveaux prêts bonifiés, ne peut constituer un projet durable d’avenir, ni pour les agriculteurs, ni pour la multitude de consommateurs. D’autre part, faire croire que la solution réside dans un système de « contrat » entre producteurs et centrales d’achat est un leurre mortifère. C’est laisser le paysan dans les griffes des financiers. Voilà pourquoi j’appelle à la tenue d’un grand forum mondial et un forum européen pour dégager les pistes d’un nouveau modèle de développement agricole, favorable à la qualité et à la souveraineté alimentaire, à l’emploi, à la vitalisation des territoires, à l’environnement. Ce forum pourrait, sous l’égide de la FAO, devenir un forum mondial pour le droit à l’alimentation pour tous les habitants de la planète. Le travail agricole doit être déclaré d’intérêt général et public. Tel est l’enjeu.