Pour une autre loi agricole

le 9 avril 2024

 Le texte présenté lors du dernier Conseil des ministres sous l’intitulé ronflant « projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture » ne poursuit pas l’objectif qu’il prétend. Il constitue une amplification des choix anciens qui poussent les travailleurs paysans dans les difficultés et les souffrances tout en aggravant le recul de la souveraineté alimentaire. Les travailleurs paysans qui ont besoin de prix garantis à la production ne peuvent y trouver leur compte et le « droit à l’alimentation » en quantité comme en qualité est nié.

Le texte qui sera soumis au débat de l’Assemblée nationale dès le 13 mai prochain aurait également dû tirer les leçons des effets pervers et destructeurs de l’insertion à marche forcée de la production de nourriture dans le capitalisme puis dans la mondialisation capitaliste accélérée dès les années 1990. Il n’en est rien.

Alors que nous sommes entrés dans un dangereux carrefour où le nombre d’agriculteurs diminue chaque jour au point qu’on peut penser qu’il n’en restera moins de 150 000 dans quelques années, que le mal être et la souffrance parcourent les champs et les fermes, que le modèle productiviste capitaliste épuise autant les travailleurs de la terre que la terre elle-même, qu’il est prouvé désormais que l’utilisation des cocktails chimiques pour traiter les cultures est aussi néfaste aux paysans qu’à la nature le gouvernement propose d’accélérer, de poursuivre la concentration agraire et d’utiliser la production agricole pour produire plus de carburants et d’électricité.

Si elle était approuvée en l’état, cette loi d’orientation accentuerait à coup sûr tous les problèmes que nous connaissons aujourd’hui. 

Son orientation générale vise en effet à accélérer le productivisme capitaliste en faisant fi des conditions humaines et écologiques de la production, du développement des territoires, de la qualité alimentaire et de la lutte pour la vitalité de la biodiversité et pour enrayer les modifications climatiques.

Derrière un langage aguichant, l’article 1 du texte donne le ton ultra-libéral. « L’agriculture, la pêche, l’aquaculture et l’alimentation sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire ; qui contribue à la défense des intérêts fondamentaux de la nation ». Le concept « d’intérêt général majeur » doit ici être compris comme l’impossibilité de contrarier une production agricole développée à n’importe quelle condition. La pêche industrielle et ses bateaux usines qui racle les fonds marins ne serait pourrait être contestée. C’est le moyen juridique permettant de placer la production au même niveau que l’environnement et le droit du travail pour s’affranchir de certaines contraintes réglementaires.

Dans le même ordre d’idées, et sous couvert de « simplification », d’autres articles ont pour objet de faciliter les projets d’extension d’élevages intensifs de poulets, de porc ou de vaches laitières et des fermes aquacoles. Le membre d’article visant à permettre « d’accélérer les prises de décisions des juridictions en cas de contentieux contre des projets d’ouvrages hydrauliques » dont les mégas bassines dont on sait qu’ils ne profitent qu’à une infime minorité de paysans et épuisent les nappes phréatiques font fi de la démocratie et de l’environnement. Il s’agit donc au nom de la compétitivité internationale, sans rapport avec nos besoins nationaux, d’accélérer et de promouvoir une agriculture de plus en plus industrialisée, insérée dans la guerre économique internationale. 

Derrière le prétendu projet de « la souveraineté alimentaire de La France » le primat revient à la concurrence au sein de l’Union européenne et le respect des traités de libre-échange comme le dit clairement le texte. Celui-ci n’expose que cette souveraineté « s’entend de sa capacité à assurer son approvisionnement alimentaire dans le cadre du marché intérieur de l’Union et de ses engagements internationaux ». Bref, le grand vent du large capitaliste ! 

Au travers de « groupements fonciers agricoles d’investissement, » c’est le grand saut visant à mettre de plus en plus de terre entre les mains du capital financier. Cette proposition vise à permettre aux capitaux privés extérieurs à la production agricole de s’accaparer des terres pour les louer à des agriculteurs. Ceux-ci seraient ainsi placés sous la coupe du capital vorace en dividendes à partir du travail et de la nature. Voilà la légalisation d’une exploitation encore plus grande des terres, des animaux et des travailleuses et travailleurs. C’est l’organisation de l’accaparement des terres par les forces de l’argent à l’opposé de l’usage des terres dans le cadre d’une multitude d’exploitations familiales à taille humaine pour une agriculture nourricière durable et une alimentation de qualité. Ainsi est préparée une nouvelle version de la rente foncière. Un débat sur la propriété des terres, la nature de leur utilisation ou exploitation serait bien utile. N’est-elle qu’un capital ou un outil de production à exploiter au risque de la rendre stérile ou est-elle un bien commun dont il faut prendre le plus grand soin ? Il conviendrait de revenir à une régulation de l’accès à la terre. De ce point de vue, la modernisation et la démocratisation des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) devraient être mises à l’ordre du jour afin de permettre à plus de jeunes de s’installer sous différents statuts y compris en leur donnant, pour un temps donné, un droit d’usage gratuit des terres nécessaires à une production agro-écologique. Ceci n’est possible qu’en changeant le rôle des banques dans l’installation des jeunes et pour l’annulation ou la renégociation des dettes qui enserrent nombre de paysans. Cela ne serait évidemment pas suffisant sans la création d’offices publics par filières de production qui veillerait à une rémunération du travail et des investissements par des prix de base garantis des productions à la ferme. Ceux-ci pourraient être d’ailleurs différenciés selon une quantité de production par exploitation afin de défendre l’agriculture paysanne et soutenir la nécessaire planification agro-écologique.

Une telle loi ne peut non plus faire abstraction des secteurs industriels, agro-chimiques et commerciaux qui profitent tant du travail paysan.

Le temps est court d’ici le début de la discussion parlementaire, mais l’intervention citoyenne auprès des députés est possible pour obtenir une loi permettant à la fois aux paysans de vivre mieux, de leur reconnaître un statut tout en engageant un processus faisant du droit à l’alimentation de qualité pour toutes et tous un droit réel.

Patrick Le Hyaric

9 avril 2024


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