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La reprise de l’activité ordonnée dans l’urgence par le président de la République est l’occasion rêvée pour le gouvernement et le grand patronat de rendre à nouveau invisibles et corvéables les millions de travailleurs et de travailleuses qui ont si vaillamment répondu à l’urgence sociale et sanitaire.
Non seulement ceux et celles-ci ont dû continuer à travailler sans que les conditions sanitaires aient été réunies par un Etat défaillant, mais les voilà désormais soumis à des impératifs de reprise de l’activité avec des droits amputés. A leurs postes, ces travailleurs ont pourtant montré l’étendue du pouvoir qu’ils possèdent. Un pouvoir entravé, nié par la suprématie exclusive du pouvoir actionnarial. Le pouvoir symbolique acquis durant la période de confinement doit se transformer en pouvoir effectif. A défaut, les jours d’après risquent de ressembler furieusement à ceux d’avant, en pire.
Les puissances d’argent et les pouvoirs à leur service veulent asséner un violent retour de bâton. L’idée d’une relance inégalitaire germe dans les cerveaux de quelques officines qui lancent comme des poissons-pilotes des pistes réactionnaires pour préparer les esprits à une contre-offensive. Cette « relance » peut être prétexte au déchaînement d’un rouleau compresseur attentatoire aux droits des salariés comme aux libertés publiques, au nom du rattrapage d’une économie française.
Ce n’est pas une « relance » qui répondra à l’intérêt général, mais une « reconstruction-métamorphose » sociale, environnementale et démocratique. Le contraire de l’effondrement promis par les concepteurs des fumeux concepts de « start-up nation » et de toutes les billevesées « disruptives » qui ne servent qu’à cacher le saccage du tissu industriel et le démembrement de l’Etat stratège et social. Tant d’incurie, tant de choix contraires aux intérêts nationaux et populaires devraient déboucher à un nouveau partage des richesses et des pouvoirs au bénéfice du monde du travail et de la création.
Car c’est dans l’inventivité des travailleurs, des associations, des collectifs de citoyens, des municipalités que sont manifestées les plus solides ressources pour répondre à l’urgence, bien plus que dans toute ordonnance visant à pressurer la force de travail et à confiner les libertés publiques sans aucune exigence pour les détenteurs de capitaux.
C’est par le bas que la France a tenue, cette France des soignants, des caissières ou des livreurs. C’est là que s’inventent les solidarités. C’est aussi par le bas que s’imaginent de nouvelles manières de produire, comme l’ont montré de petits entrepreneurs transformant leurs ateliers pour produire des protections diverses, ou l’incroyable réactivité des Fab Lab, ces laboratoires participatifs de fabrication qui ont fourni masques et visières sans les breveter. Ce sont encore les agriculteurs organisés en coopératives, dont des AMAP, qui ont permis de découvrir une alimentation de qualité, partie intégrante d’une nouvelle politique de santé publique. Ce sont des groupes citoyens qui se sont organisés pour protéger les anciens ou fabriquer des masques. Quant aux centaines de milliers d’enseignants, ils auront assuré une continuité pédagogique dans des situations pénibles de télétravail qui fait honneur à leur mission.
Autant d’actes concrets ouvrent des chemins vers l’après capitalisme. Il est temps d’appuyer sur les contradictions qui se sont aiguisées pendant la crise sanitaire entre le travail et le capital pour construire un Etat social portant de nouveaux services publics démocratisés, adossé à des filières de production socialisées, démocratisées et développées à partir de critères sociaux et environnementaux. La nationalisation de filières stratégiques est une étape indispensable pour y parvenir. La prise en main directe par les travailleurs eux-mêmes de certaines activités dans le cadre de l’économie sociale et solidaire doit être encouragée. Nous sommes au moment où la fenêtre s’entrouvre vers de nouveaux possibles progressistes. Aidons la dynamique !
Patrick Le Hyaric
L’éditorial de L’Humanité-Dimanche du 14/05/2020
1 commentaire
Les services publics qui ont tenu bon étaient – évidemment – dans un rôle assez différent de leur mission habituelle. Pour les soignants, qui ont parfois dû trier les malades à traiter et les malades à abandonner, alors que la question des moyens indispensables, au coeur de leurs revendications soudain étouffées, est allégrement repoussée par le gvt.
Mais aussi pour les profs qui de fait ont dérivé vers la virtualisation (+ privatisation?) que le ministre ultra libéral Blanquer décrit comme l’avenir de l’éducation ; pour les forces de l’ordre de plus en plus garde-chiourme ; pour les administratifs qui, coupés du contact avec le public, ont donc prouvé que leur boulot pourrait aussi être délocalisé…
On peut sûrement appeler à la mobilisation pour réussir l’après-covid sur le plan social, mais la Résistance au capitalisme, à l’européisme, au malthusianisme, au fascisme rampant etc. est désespérément divisée,
aphone dans le paysage audiovisuel toujours confiné dans la propagande anxiogène,
stupéfiée par des années d’état d’exception avec répression tous azimuts,
harcelée par la montée de la pauvreté et incapable d’exiger une once d’égalité républicaine…
Nous n’osons qu’à peine profiter de notre partielle sortie de prison, c’est dire.
Mais peut-être une dynamique sortira-t-elle d’émeutes de la faim ?