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La scène se passe mardi dernier, 25 octobre, lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) en présence du ministre israélien des Affaires étrangères.
M. Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, après avoir déclaré avec netteté que « les souffrances du peuple palestinien ne peuvent justifier les terribles attaques du Hamas », déploie des trésors d’énergie pour obtenir de la part du gouvernement israélien ne serait-ce qu’une trêve humanitaire à Gaza et la préservation des civils. Le diplomate expose des photos illustrant ce qu’il qualifie de « claires violations du droit humanitaires à Gaza ».
C’est là que M. Eli Cohen, chef de la diplomatie israélienne, tel un matamore, aussi discourtois qu’agressif et dominateur, lui assène : « Monsieur le Secrétaire Général, dans quel monde vivez-vous ? » Puis ajoutant que M. Guterres « voit le massacre commis par les terroristes nazis du Hamas de manière déformée et immorale », il va jusqu’à apposer au nom du premier responsable de l’ONU une complaisance avec l’Holocauste. Puis l’ambassadeur israélien à l’ONU, M. Gilad Erdan, se met à dénoncer sur les réseaux sociaux « le discours choquant d’Antonio Guterres » allant jusqu’à l’accuser d’être « compréhensif face au terrorisme et aux meurtres » du Hamas.
Nous y voilà ! Voici ici, concentrées, les grandes problématiques de la guerre idéologique qui sous-tend la guerre contre le peuple palestinien débutée il y a… 75 ans. Parce qu’il est activement soutenu par l’impérium nord-américain, l’État d’Israël et ses faucons peuvent se comporter ainsi et bafouer toutes les résolutions des Nations unies pour la paix et la justice au Proche-Orient. Il le fait après que le ministre de la Sécurité nationale a pu il y a quelques semaines vociférer : « Il n’y a pas de Palestiniens, car il n’y a pas de peuple palestinien ».
Ce même ministre a fait d’un colon qui a assassiné 29 Palestiniens priant au tombeau des patriarches à Hébron, un héros national. Voilà le monde de l’extrême droite palestinienne.
Mais, il est vrai que la question de savoir dans quel monde nous vivons réellement est intéressante.
Est-ce un monde qui défend les droits humains consacrés par l’ONU pour l’édification permanente de notre humanité commune ? Ou est-ce ce monde où la défense des droits humains et de ceux des peuples ne peut être invoquée que lorsqu’elle correspond à la protection des intérêts des nations les plus puissantes de la planète ? Ce monde dans lequel Israël est considéré comme la pointe avancée du capitalisme occidental pour contrôler le Proche et Moyen-Orient ?
Est-ce un monde qui reconnaît le droit à l’auto-détermination de chaque peuple, de chaque nation ? Ou est-ce ce monde où la domination du fort sur le faible est acceptée en vue d’être à terme occultée ?
Est-ce un monde où le déplacement forcé d’environ un million de personnes, privé d’eau, de nourriture, d’électricité doit être condamné et empêché ? Ou bien un monde où les Palestiniens paient, au prix de leur sang versé et de leurs vies, le tribut d’une histoire avec laquelle ils n’ont rien à voir. Car, rappelons que le monde arabe n’est pour rien dans le génocide des juifs d’Europe. Au nom de quelle morale, de quelle mémoire, de quelle justice cette même Europe s’alignant sur les États-Unis laisse-t-elle un État colonial surarmé occuper illégalement la Cisjordanie et Gaza pour y mener une politique de « développement séparé » qui a pour nom apartheid ?
Est-ce un monde vivable que celui qui fait de la politique « du deux poids, deux mesures » sa nouvelle Bible ? Car enfin ; cet Occident capitaliste qui, au nom de la défense de ses « valeurs », a pu sanctionner la Russie parce qu’elle a agressé – et continue de le faire – un État souverain, et fourni des armes à l’Ukraine, non seulement soutient, mais aussi protège aujourd’hui Israël qui étouffe les populations de Gaza, bombarde les civils, provoque des milliers et des milliers de morts parmi lesquels des enfants et des nourrissons, déplace des populations, les fait mourir de faim et de soif. Protégé, Israël l’est par la marine nord-américaine. Et le gouvernement dirigé par B. Netanyahu recevra à nouveau 15 milliards de dollars d’aide militaire qui s’ajoutent aux 3,5 milliards de dollars que le pays perçoit chaque année.
Dans un autre monde, non seulement les abominables crimes du Hamas seraient condamnés, mais ses dirigeants aussitôt délogés de leur belle villa du Qatar et poursuivis devant la justice internationale, ses financements asséchés et le peuple palestinien serait protégé, notamment par une force d’interposition ou de protection internationale que sont les Casques bleus de l’ONU.
Seul le mouvement populaire mondial de solidarité pour la justice, le droit et la paix pourra faire advenir ce monde contre les faucons au pouvoir à Tel-Aviv et les dirigeants nord-américains et européens.
L’argumentaire belliciste du pouvoir d’extrême droite israélien est soutenu, répété, relayé dans les capitales occidentales, dans un certain nombre de médias et dans les palais gouvernementaux pour faire accepter le pire : c’est-à-dire l’éradication par la force – non pas du Hamas – mais du peuple palestinien. La stratégie de l’extrême droite israélienne apparait clairement : rendre la vie impossible aux Palestiniens de Gaza, tout en continuant à coloniser, à tuer en Cisjordanie en leur laissant le choix entre la soumission, l’exil ou la mort. En Cisjordanie, plus d’une centaine de Palestiniens ont été tués par des colons et des militaires ces dernières semaines. 500 éleveurs bédouins ont été chassés de leur terre et de leur modeste maison. Insupportable ! Nous ne crierons jamais assez fort notre rejet pour faire reculer le bras chargé d’anéantir un peuple.
Cependant nous ne pouvons sous-estimer le niveau de l’effort à produire pour que triomphent la justice et la paix.
L’effort doit d’abord porter sur la déconstruction de cette abominable thèse explicitée par l’armée israélienne selon laquelle « soit vous soutenez Israël, soit vous soutenez le terrorisme ». C’est cette thèse qui sous-tend systématiquement l’accusation d’antisémitisme adressée à celles et ceux qui défendent les droits des Palestiniens. Elle est au cœur de la diatribe israélienne contre Antonio Guterres. Selon cette thèse, la critique du pouvoir en Israël ne saurait s’expliquer que par antisémitisme. Argument commode pour donner carte blanche à un pouvoir qui opprime un peuple, l’occupe, l’emprisonne et se permet de décréter un blocus enfermant 2,2 millions de personnes dans une petite enclave et qui veut littéralement effacer le peuple palestinien des consciences.
On ne peut laisser
réduire le peuple palestinien au Hamas. De même le peuple israélien ne peut se
réduire aux suprématistes au pouvoir en Israël.
Dit autrement : on peut critiquer avec la dernière énergie la tuerie
organisée du Hamas, le considérer comme une organisation aux modes d’actions
terroristes, tout en défendant les droits des Palestiniens à leur État, et
vouloir la sécurité pour les travailleurs, les créateurs, le peuple israélien
tout entier. C’est ce que, nombreuses, et nombreux en France et dans le monde,
nous faisons. Et nous redisons : c’est précisément la création et la
reconnaissance officielle de l’État palestinien qui seront gages de la sécurité
collective des peuples du Proche-Orient, à commencer par les populations
israéliennes.
Et ce ne sont pas les bombes qui tuent les civils palestiniens qui permettront
d’éradiquer le Hamas, mais l’assèchement du terreau sur lequel il croît :
l’injustice, le désespoir, l’occupation, le vol des terres et de l’eau, les
humiliations quotidiennes des citoyens depuis le plus jeune âge, sans parler de
l’aide d’Israël à l’organisation islamiste elle-même, considérée par Tel-Aviv
comme « la garantie à terme de la mort de la solution à deux États ».
Ne laissons pas non plus dériver le débat sur des enjeux religieux. Il s’agit d’une question politique de justice, de respect du droit international, de la cause d’un peuple privé de son droit à l’autodétermination.
C’est cet enjeu, colonial, qui bouscule aujourd’hui le monde. On ne peut effacer l’existence d’un peuple comme on a voulu le faire hier dans un pesant et coupable silence. La fureur jaillissante de ces silences et de ces douleurs ne peut que se démultiplier. Que la cause palestinienne se manifeste auprès du monde indispose au plus haut point les faucons israéliens qui élèvent leur belliqueuse voix contre le secrétaire général de l’ONU, tout en envoyant leurs bombardiers et leurs chars raser Gaza. Notons qu’au cours des six premiers jours de l’offensive guerrière, l’armée israélienne a largué 6000 bombes sur ce petit territoire soir autant que les États-Unis et leurs alliés ont lâché sur l’Afghanistan en une seule année. Avec le résultat que nous connaissons aujourd’hui !
En s’attaquant à Antonio Guterres, le pouvoir israélien veut avoir les mains totalement libres. Du même mouvement, il fracture encore plus le monde qui ne peut accepter ce qu’il fait aux enfants de Gaza, dont on doit toujours rappeler qu’ils sont d’abord les enfants de celles et ceux qui ont été chassés de leurs terres et de leur maison et sont donc en grande majorité des réfugiés.
Nous en sommes au point où de plus en plus de voix, comme celles du Centre américain pour les droits constitutionnels, de l’organisation américaine anti-apartheid IfNotNow, d’experts de l’ONU et de journalistes reconnus, qualifient l’offensive guerrière du pouvoir israélien de « crime de guerre » et aussi de « crime de génocide ». En effet, selon la convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, des actes commis « dans l’intention de détruire, tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel » sont qualifiables de « génocide ». La privation de nourriture, d’eau, d’électricité, les déplacements massifs de civils, les bombardements sans discernement peuvent relever de cette qualification juridique. Même, les juristes de la cour pénale internationale qui ont pris la peine de se déplacer à la porte de Rafah, ont appelé ces jours derniers au respect des « lois de la guerre ».
Voilà le monde du ministre israélien des Affaires étrangères. Son collègue ministre des Armées avait dit le 9 octobre : « Nous nous battons contre des animaux humains », le président d’Israël Isaac Herzog avait, lui, affirmant le 12 octobre que les Gazaouis portent selon lui la responsabilité des actes du Hamas* et le porte-parole de l’armée Daniel Hagari n’a pas lésiné sur la franchise en expliquant que le but recherché en bombardant Gaza était « les dégâts et non la précision ». Il est vrai que, depuis, la moitié des habitations de Gaza ont été détruites.
Aucun chef d’État et de gouvernement au monde n’aurait dû laisser un ministre israélien insulter le secrétaire général des Nations unies sans réagir ni réclamer de sanctions.
C’est là une partie du drame qui se poursuit : rendre, encore et toujours, l’ONU impuissante ; détruire toutes les règles internationales qui permettent aux nations de coexister pacifiquement, aux peuples de vivre ensemble et de faire monde commun. L’impérium en a ainsi décidé : pour que son règne dure, il faut diviser, alimenter les haines.
Face à une telle entreprise de destruction, cessons de nous plaindre à vide de l’ONU et orientons toutes nos forces vers sa rénovation en faisant entrer les pays du Sud dans son Conseil de sécurité, en donnant plus de poids à son Assemblée générale et en faisant valoir l’idée de « pays protégé » pour la Palestine, conformément à la résolution 377 votée le 3 novembre 1950 qui étend les compétences de l’Assemblée générale pour le maintien de la paix. Cette résolution est aussi baptisée « L’union pour le maintien de la paix ». L’application de ce texte devrait faire cesser immédiatement les bombardements de Gaza et organiser le déploiement d’une force de protection internationale pour les Palestiniens. Il faudrait pour cela que le mouvement populaire mondial pour la justice et la paix gagne de l’ampleur afin que les États-Unis et les institutions européennes, notamment, cessent de mettre l’ONU de côté ou de la placer devant le fait accompli, comme ils l’ont fait en 1977 lors des accords israélo-égyptiens, en 1991 lors des négociations de Madrid, en 2000 après les accords d’Oslo au sommet de Camp David et, récemment, lors de la signature des accords dits « d’Abraham », à l’instigation de Donald Trump, visant à normaliser les relations entre plusieurs capitales arabes et le pouvoir israélien dans l’objectif d’isoler et d’étouffer la cause palestinienne.
Voici que la résolution 377 devient centrale. On ne peut impunément nier et renier le droit international qui prévoit la construction d’un État palestinien viable dans les frontières définies en 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, aux côtés de l’État d’Israël dont la sécurité serait assurée.
Rappelons que 138 pays sur les 193 que compte l’ONU reconnaissent déjà l’existence légale de l’État palestinien. Trois grandes puissances bloquent ce processus de reconnaissance : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France – malgré un vote favorable de son Assemblée nationale.
Produire cet acte politique de haute intensité serait plus efficace et coûterait moins cher que les voyages en avion de M. Macron au Proche-Orient pour balbutier quelques propos aussi vite oubliés que prononcés.
Cette reconnaissance, agirait comme un nouvel horizon dégagé, allumerait les bougies de l’espoir, provoquerait une telle éclaircie mondiale qu’elle modifierait le rapport de force en faveur de la justice et de la paix. Voilà ce que ne veut surtout pas le grossier et belliqueux ministre israélien des Affaires étrangères.
À l’opposé, nous préférons la construction d’une Union des peuples et des nations vivant en paix, peuples fraternels et solidaires entre eux et nations coopérant entre elles, respectant chaque individu, chaque culture et son environnement, avec un secrétaire général des Nations unies à sa tête.
Patrick Le Hyaric
1er novembre 2023