L’insupportable cauchemar à Gaza 

le 6 décembre 2023

Gaza subit peut-être la pire campagne de bombardements de ce siècle. Ses habitants entassés dans la partie sud vivent jour et nuit, un cauchemar dans le bruit assourdissant des avions et des bombes, dans le froid, les privations, le manque de soin. Il faut se lever pour mettre fin à ce cauchemar. Les briseurs de trêve auront vite mis fin aux légers soulagements d’une population palestinienne exténuée, assoiffée, affamée.

Les noms et les visages de ces femmes et enfants israéliens libérés au compte-gouttes – selon les méthodes du supplice chinois – ont produit partout dans le monde de l’émotion, de l’empathie, de la solidarité. En échange, des adolescents, des femmes, des hommes de Cisjordanie ont été sortis des geôles israéliennes pour retrouver une liberté limitée entre mur et check-points, encerclés de militaires et de colons qui détruisent leur vie, volent leurs terres et leurs maisons. La période de cette trop courte trêve aura mis encore plus en lumière l’étendue de la catastrophe de Gaza dont un tiers de la surface a été détruite, vidée de ses habitants. Quand on aura ajouté à celles et ceux, plus de 20 000 Palestiniens, qui ont été tués avant la trêve, le nombre de celles et ceux qui sont morts sous les décombres depuis la reprise de l’offensive militaire israélienne, il est vraisemblable que les pertes humaines s’élèveront à près de 25 000 morts et largement autant de blessés. Jean-François Corty, vice-président de Médecins du monde, a alerté, samedi 2 décembre sur France Info, sur l’imminence d’un nouveau « carnage » et a parlé d’« enfer ».

Tout en continuant de soutenir les atrocités des colons en Cisjordanie, d’emprisonner des Palestiniens, de faire bourdonner ses drones militaires au-dessus de la tête de populations aux mains nues, M. Netanyahu avait averti – la veille de l’attentat qui a fait trois morts à Jérusalem le 30 novembre ! – qu’il n’existait « aucune situation dans laquelle les soldats israéliens n’iraient pas reprendre les combats jusqu’au bout ». « Jusqu’au bout » semble, de plus en plus, vouloir dire : jusqu’à l’expulsion complète des habitants de Gaza. C’est ce qu’aurait exposé le gouvernement israélien à plusieurs pays arabes et aux États-Unis, en parlant de son projet de « buffer zone », zone tampon, s’agissant de l’avenir de l’enclave palestinienne.

Et, depuis, c’est un tapis de bombes qui s’abat sur tout le territoire de la bande de Gaza au prétexte que des dirigeants du Hamas se trouveraient désormais dans la partie sud. Voilà où mènent les fameux « soutiens inconditionnels » et le « droit d’Israël à se défendre », ânonnés dans toutes les capitales occidentales, en appui au gouvernement d’extrême droite de Tel-Aviv.

Ceux qui laissent ainsi déchiqueter la vie de milliers d’enfants palestiniens – dont les visages sont aussi beaux et tendres que ceux des enfants et jeunes que les factions liées au Hamas ont libérés pendant la trêve, il y a quelques jours – se rendent complices de crimes dont ils devront répondre un jour. Les larmes de rage nous submergent à la vue de tant d’inhumanité !

Comment les dirigeants occidentaux, qui commencent (enfin) à élever la voix, ont pu être ainsi moins critiques vis-à-vis du gouvernement israélien que ne l’est plus de la moitié de la population israélienne elle-même ? Y compris ces derniers jours quand, tout en réclamant le retour de tous les otages, des manifestations continuent de demander le départ du Premier ministre et de ce gouvernement colonisateur. Les manifestants israéliens sont bien placés pour savoir que le Hamas et les factions terroristes ont été enfantés par cette guerre de colonisation qui dure depuis des dizaines d’années. Avoir 17 ans à Gaza, c’est n’avoir connu que le blocus, les harcèlements et humiliations des soldats israéliens, les bombardements israéliens et la dictature du Hamas, voulue par l’actuel Premier ministre israélien. Que deviendront donc les orphelins d’aujourd’hui si, enfin, on ne leur donne pas la possibilité de construire et de vivre dans leur État, dans leur nation ?

Avoir brisé la trêve fait donc entrer la guerre à Gaza dans une dimension aux insondables conséquences, après que Hamas et extrême droite israélienne qui prétendent vouloir se détruire l’un, l’autre ont négocié la libération d’otages et de prisonniers palestiniens durant une semaine. Reste donc, qu’avec la trêve, preuve a été faite qu’on peut se réveiller momentanément de ce cauchemar mortifère.

Mais toute pause ne peut se transformer en paix durable qu’avec le respect des droits et de la souveraineté des Palestiniens. Aucune bombe ne pourra détruire ces aspirations légitimes. Au contraire, chaque missile supplémentaire envoyé sur les Palestiniens, chaque parcelle de terre volée, chaque humiliation, chaque emprisonnement, chaque mort, chaque blessé et chaque amputé élargissent encore les fractures qui, en même temps qu’elles anéantissent la vie de dizaines de familles palestiniennes, réduisent sans cesse la légitimité internationale d’Israël et une certaine idée de ce pays.

Aucun démocrate israélien ne peut y trouver son compte. Aucun travailleur israélien, subissant hier au côté du travailleur palestinien l’exploitation capitaliste dans les mêmes champs, les mêmes centres de production, les mêmes services, n’a intérêt à ce que les espoirs de vivre ensemble en paix soient engloutis dans le tombeau de ces atrocités. Ni l’exploitation du travail ni la violence des guerres ne font de différences entre celui qui prie Mohamed, Yahvé ou Jésus ou celui qui ne croit pas au ciel. Cette guerre n’est pas une guerre de religion, mais une guerre de colonisation, une guerre de territoire dont ne profitera jamais l’ouvrier ou le créateur israélien.

Citoyens israéliens ou palestiniens ont d’autant moins intérêt à s’abandonner à la culture de la haine qu’ils savent que le Hamas est la créature du pouvoir colonial, précisément pour accélérer la colonisation et contre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Citoyens israéliens et palestiniens ont encore plus de raisons de s’unir depuis qu’ils savent, de sources diverses*, que les conditions de l’attaque du 7 octobre sont troubles puisque le pouvoir et des segments importants de l’armée avaient été prévenus de la préparation d’une telle attaque.

Les manipulations, le cynisme et les mensonges de l’extrême droite israélienne sont à leur paroxysme pour faire accepter un prétendu « droit à la vengeance ». Le pire, c’est que pour sauver leurs intérêts, les puissances occidentales l’ont soutenue et lui ont donc permis de poursuivre par tous les moyens son projet « d’annexion-colonisation ». Et il faut que certains de nos grands médias se surpassent de mauvaise foi pour jeter l’opprobre contre toute personne, tout militant y compris humanitaire, toute personnalité qui tente de faire entendre le son de cloche de la paix et du respect du droit international. C’est ce que n’ont pas hésité à faire certains journalistes et médias en manipulant des propos de l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin et mener une ignoble campagne contre lui.

Nous en appelons à la vérité et à la transparence ! Que soient décidées une mission de l’ONU et une mission de la Cour pénale internationale pour instruire le monde sur l’ampleur du désastre et la nature des crimes perpétrés à Gaza.

Nous en appelons à la responsabilité, à la diplomatie tant les risques d’escalade sont grands : jusque quand les populations de Cisjordanie accepteront-elles avec autant de patience le sort qui leur est, chaque jour, imposé ? Quelle peut être la réaction du Hezbollah face à la volonté israélienne d’imposer « une nouvelle Nakba » ? Comment vont réagir les populations arabes dans les jours à venir, face à ce nouveau déluge de feu et de sang ?

Seuls, les marchands de canons peuvent se réjouir des profits qu’ils tirent de la guerre de colonisation que livre le pouvoir israélien.

Que les dirigeants américains et ceux d’autres pays européens cessent de livrer des armes et de soutenir financièrement l’État israélien, et cette guerre cesserait. Qu’on laisse l’Assemblée générale de l’ONU construire une force de protection et de paix à Gaza et en Cisjordanie, et les massacres cesseraient.

Il y a urgence. Urgence de luttes et d’initiatives nouvelles pour un cessez-le-feu visant à contrecarrer l’étape nouvelle de la guerre, mais aussi sa mue, dès lors qu’il apparaît plus clairement encore qu’il s’agit pour le gouvernement israélien de vider Gaza de ses habitants afin de s’accaparer ce territoire disposant d’un espace maritime riche en gaz.

Les actions unitaires pour obtenir un cessez-le-feu doivent pouvoir se combiner avec les actions des familles d’otages et des démocrates israéliens qui demandent un changement de pouvoir à Tel-Aviv.

Ce cessez-le-feu doit être l’occasion de faire libérer tous les otages et les prisonniers palestiniens. La plupart d’entre eux sont des élus municipaux ou nationaux, des animateurs d’associations et de partis politiques, des syndicalistes. Ils constituent donc la base du collectif d’animateurs politiques, sociaux, culturels susceptible de s’engager dans le processus de la construction d’un État palestinien. Le combat pour les libérer avec, à leur tête, Marwan Barghouti dont on parle de plus en plus, y compris dans des négociations, doit s’amplifier. Nous ne sommes pas dupes du niveau d’exigence pour progresser en ce sens, des difficultés et des obstacles, des refus israéliens. Ces batailles politiques doivent se diriger aussi vers nos gouvernants et les institutions européennes qui ont les moyens de faire respecter le droit international. Il en va de l’intérêt de la société israélienne elle-même qui aura à souffrir de l’extrême droite israélienne, du risque de plus en plus grand que son pays soit mis au banc des nations, et d’une insécurité permanente.

La seule voie est bien celle du cessez-le-feu, pont vers une paix juste et durable sur la base du droit international. Tout doit être fait, vite, pour mettre fin à cette nouvelle phase de cette tragédie.

Patrick le Hyaric

6 décembre 2023

Nota :*le 20 novembre 2023, le journal israélien Haaretz a documenté le fait que des soldates israéliennes chargées de surveiller la barrière de protection de Gaza avaient averti de la possibilité d’une telle attaque et que leur rapport était resté sans suites. Le journal américain New York Times a révélé le 30 novembre que de hauts responsables du renseignement israélien disposaient depuis plus d’un an d’un texte de 40 pages, intitulé « Le mur de Jéricho », décrivant par le menu le plan d’une attaque similaire à celle du 7 octobre. Enfin, toujours selon le New York Times, une analyste d’une unité d’élite du renseignement militaire israélien a prévenu en juillet 2023 du déroulement d’exercices militaires du Hamas, notamment la prise de contrôle de kibboutz.


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