Les soldats de l’austérité s’attaquent à la culture ! 

le 31 décembre 2024

Après la quasi-exclusion de la culture des grands débats politiques, voici que s’avance d’un pas feutré une cohorte de responsables politiques glissant vers le pire dans la demeure culturelle. Gouvernement et régions dirigées par la droite, sous l’énergique et zélée baguette de l’Union européenne et des marchés financiers, marchent côte à côte et frappent ensemble la culture. Au moment même où, en haut lieu, on se vante tant d’avoir réparé avec les moyens afférents et en un temps record la cathédrale Notre-Dame de Paris, au moment même où un nouveau ministre de la Justice sarko-macroniste s’en va répétant qu’il demande des crédits supplémentaires pour ouvrir des prisons, ses amis politiques de mille nuances austéritaires mettent la culture à la diète.

Un cataclysme se prépare dans les théâtres, à l’opéra, dans les conservatoires, dans une multitude de festivals ou dans l’édition. Vidé de ses moyens, le ministère de la Culture avait transféré une grande partie de son rôle de financeur de la culture aux collectivités territoriales. Celles-là mêmes que le pouvoir rince aujourd’hui avec l’éponge à déficits qui permettent de grossir les profits privés. Régions et départements font ainsi de la politique culturelle une variable d’ajustement budgétaire. Ainsi des Pays de la Loire à l’Auvergne-Rhône-Alpes, de l’Île-de-France à la Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans la moitié des départements la droite taille les budgets à la tronçonneuse. On peut même sérieusement se demander si elle n’est pas ici tentée d’abandonner toute politique culturelle digne de ce nom. Les fonctions créatrices, critiques et citoyennes des institutions culturelles publiques sont dans le grand collimateur des soldats du combat contre l’émancipation et les humanités.

C’est l’esprit des affaires qui s’empare des affaires de l’esprit

La motivation économique cache en effet une forme de populisme droitier, aussi envahissant que le chiendent, pour faire taire des formes d’art qui irriguent l’émancipation humaine et pour laisser libre cours à un culte frelaté du passé, comme celui du Puy du Fou, que ces droites extrêmes et extrêmes droites ont décidé de réhabiliter contre tout progressisme. Leur projet n’est pas l’esprit de rencontre, la culture en partage, le lien social tissé et augmenté de la transmission d’une émotion artistique, irradiant jusque dans les familles, mais le prétendu « choc des civilisations ». Leur projet se lit aussi dans l’insertion de l’art et de la culture dans les lois du marché capitaliste et sa confusion avec le divertissement. C’est l’esprit des affaires qui s’empare des affaires de l’esprit.

Le groupe Bolloré achète télévisions, radios, maisons d’édition, systèmes de billetterie pour les festivals, librairies, jeux vidéo sans que cela n’émeuve exagérément. Pourtant, cette concentration culturelle et informationnelle lui donne de plus en plus de pouvoir de décision et d’orientation sur la culture. Détenir le groupe Vivendi lui donne un pouvoir considérable sur la création cinématographique. Posséder des maisons d’édition lui permet de trier les écrivains. Détenir des chaînes de télévision permet de faire pression sur les journalistes et le contenu de l’information. S’accaparer des entreprises de billetterie permet de marchandiser des artistes et leurs productions dans les festivals. La compétition des firmes capitalistes revient à faire de la culture une industrie, une source de profits et un outil d’hégémonie culturelle. Fabriquer, diffuser massivement des « produits culturels » standardisés et uniformisés, tel est leur objectif. Les blessures qu’elles portent au travail et la pression sur le travail vivant vont de pair avec la destruction de la pensée, de l’imagination et du rêve. La misère sociale, l’échec scolaire, l’assignation raciste, identitaire et discriminatoire dont sont victime nombre de jeunes issus des classes populaires, marchent en même temps qu’un processus de dépossession culturelle. 

Besoin de déchiffreurs et de défricheurs

Quand l’avenir a besoin de pensées, le capital pense courbes de profits et soumission à son système. La valorisation des métiers artistiques et de la création va de pair avec le travail émancipé et le rehaussement de la pensée. Au lieu de nous soumettre aux chiffreurs de vies, comme on vient de le voir ces derniers jours avec cette abominable campagne autour du « coût d’un enfant », nous avons besoin de puissants défricheurs de rêves.

Notre temps a besoin de créateurs libres, souffleurs de conscience, cultivateurs du pluralisme, pour aider à déchiffrer les nouvelles intrications du monde et la complexité du réel. Sans la liberté et le pluralisme de la presse, il n’y a pas de culture. Celle-ci se revivifie encore au contact de l’autre, du « Tout-Monde » qui s’offre en partage comme un rempart contre les obscurantismes. Un nouveau dialogue fécond doit s’instaurer entre éducation nationale, éducation populaire et actrices et acteurs de la culture. C’est l’un des moyens pour permettre à chacune et chacun d’arpenter les champs des savoirs et des connaissances, de pouvoir scruter le vaste monde comme le monde autour de soi pour y déplisser l’altérité et la sororité, pour favoriser la porosité aux enjeux du travail, de l’écologie, de la paix.

Depuis 1789, il n’y a pas de date signifiant « progrès humain » qui ne signifie pas en même temps « culture ».

Alors que l’offensive populo-capitaliste et libertarienne prennent un redoutable élan, il devient urgent de porter en avant la grande question culturelle comme bien commun. Malgré les vents contraires, une grande initiative associant créatrices et créateurs de toutes discipline, actrices et acteurs de l’éducation populaire, enseignantes et enseignants, représentants ouvriers avec leurs syndicats, associations d’aide aux migrants et organismes chargés de l’intégration, chercheurs en droit du travail, parlementaires et élus pour réaffirmer le caractère de « bien commun » de la culture. Elle doit être de responsabilité publique, afin de valoriser la création, la démocratie culturelle, le pluralisme des médias, l’exception culturelle et la mondialité. Ce travail pourrait déboucher sur une loi-cadre refondant un service public de la culture dans le partage des compétences entre l’État et les collectivités territoriales aux budgets augmentés et aux moyens garantis par l’État pour assumer leurs responsabilités dans tous les territoires du pays.

Partout, défendons l’art, la poésie, le cinéma, les musiques du monde, les danses, la peinture, l’opéra, le livre, le théâtre, les journaux. Ils sont une entrée dans l’humanité.

Patrick Le Hyaric

30 décembre 2024

NB :Le ministère de la Culture investit 4,6 milliards €, les collectivités territoriales investissent près du double, soit 9,4 milliards €.


1 commentaire


Guiheu 31 décembre 2024 à 18 h 21 min

J’adhère totalement à ton analyse !
Les créateurs sont livres au pouvoir financier comme la presse écrite et les médias…
Retirer les moyens à tout ce secteur a pour but de nous asservir à la pensée unique du capitalisme et faire de nous des sujets sans conscience politique, sans esprit critique et sans bonheur de ce dialogue vivant entre humains qui nous empêche d’être une masse soumise…

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