Le pouvoir des peuples

le 3 février 2011

Pour la première fois depuis qu’il existe, les colères et les aspirations des peuples du monde ont hanté les débats du Forum des oligarques réunis à Davos. Quel contraste insupportable ! Quel aveuglement des élites mondiales à l’heure où, partout, les systèmes du capitalisme combinant austérité et militarisation sont de plus en plus contestés, en Europe comme en Egypte, en Tunisie, en Jordanie, au Yémen. En Egypte où la révolte populaire a fait tomber le gouvernement en quelques heures, près de la moitié de la population ne dispose que de deux euros pour vivre chaque jour. Et les droits d’entrée et d’être partenaires à Davos coûtent 193 000 euros, soit l’équivalent de 96 000 journées de chacun des citoyens égyptiens en situation de pauvreté.

Les puissants, qu’ils soient autocrates, monarques, oligarques de tout acabit, rentiers, grands actionnaires capitalistes, récepteurs de stock-options ou de retraites chapeau, responsables politiques à leur service, commencent à se préoccuper des mouvements en cours au Maghreb et ailleurs. Nos confrères du journal « la Croix » ont publié, la semaine dernière, une enquête montrant que plus du tiers de nos concitoyens demande l’abandon du capitalisme. Des majorités en Europe contestent l’actuelle mondialisation capitaliste. Il y a quelques semaines, dans une enquête de « l’Humanité », une large majorité se prononçait pour un salaire maximum. Une telle proposition avait été rejetée dans un avis que j’avais présenté il y a quelques mois au Parlement européen. Le Bureau international du travail a lancé une solennelle alarme sur la montée du chômage qui touche 205 millions de personnes, l’emploi précaire qui en touche un milliard cinquante trois millions et le nombre de travailleurs pauvres, vivant avec moins de deux dollars par jour, qui atteint un milliard deux cent millions de citoyens dans le monde.

En Europe, une multitude de mouvements de travailleurs, de chômeurs, de retraités, d’étudiants, comme au Royaume-Uni, refusent de payer une crise dont ils ne sont en rien responsables. Ils bousculent  des institutions et une Banque centrale au service exclusif du capital. Dans la crise générale, le monde se trouve à une période de pleine métamorphose, accélérée par les mouvements des peuples qui au fond s’opposent aux raisons mêmes qui ont conduit à la création du forum de Davos. Son orientation idéologique avait été ainsi définie dans le journal américain « Times » : « Les hommes et les femmes de Davos partagent au moins une conviction : la globalisation, la libre circulation des flots de capital, de travail et de technologie à travers les frontières, est bienvenue et inévitable. Ils voient le monde comme un marché vaste et interconnecté, dans lequel les firmes multinationales cherchent l’endroit le plus avantageux pour acheter, produire et vendre leurs biens et services ». C’est précisément cela qui produit la crise et qui est mis en cause un peu partout aujourd’hui. L’organisateur de Davos, M. Schwab l’a reconnu avec inquiétude : « Le système politique et les institutions sont débordées par les complexités qu’ils doivent affronter ». L’avant-rapport du forum note à propos de la mondialisation : « Une minorité en a cueilli une part disproportionnée des fruits ». Et le PDG de la grande banque Morgan-Chase a lâché en plein forum, son angoisse : « Dans quelques décennies, on regardera la manière dont nous avons géré l’économie comme on regardera la médecine de l’époque où l’on saignait les gens pour les guérir ». Quels aveux ! Autant d’indices montrant à quel point les mandataires du capitalisme financier mondialisé n’ont pas de solution à leur crise, sauf l’actuelle fuite en avant mortifère.

Des réformes de portée transformatrice, à rebours des dogmes de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, des traités européens doivent être mises en place. Il s’agit de taxer les mouvements de capitaux, d’inventer des mécanismes neufs de protection aux frontières, visant le progrès social et écologique ; de fermer les paradis fiscaux ; de procéder à des appropriations sociales des systèmes bancaires et à une transformation radicale de la Banque centrale européenne. Quant à l’euro, il faut en modifier  la nature  pour qu’il soutienne des services publics de types nouveaux afin de satisfaire les besoins humains. La monnaie européenne pourra dès lors servir  l’instauration de mécanismes européens et mondiaux de stabilisation du prix des matières premières, dont ceux de l’alimentation, qui sont l’objet d’une inadmissible spéculation mondiale de la part des requins de la finance.

Les forces progressistes en France et en Europe ont, en s’appuyant sur les mouvements populaires en cours, un rôle nouveau, décisif à jouer pour desserrer l’étau de la finance et de l’autoritarisme qui écrase les peuples. Il faut faire contrepoids au soutien que les institutions européennes et la France apportent aux régimes qui tombent actuellement. Ces dernières ont toujours considéré une partie de ces pays comme une arrière-cour disposant d’une main d’œuvre à exploiter pour les multinationales servies par les accords dits « d’association ». Aujourd’hui, le retournement de la position traditionnelle de la France à propos de la Palestine et le laisser-faire des dirigeants de l’Union européenne soutenant la direction israélienne enveniment tout. A terme, notre pays et l’Union européenne le paieront très cher.

Les peuples arabes sont en train de briser le mur de la peur. Tous ensemble, nous pouvons dans l’unité briser les chaînes du capitalisme. Ses penseurs et ses mandataires, au premier rang desquels les dirigeants nord-américains, vont tout faire pour récupérer les révolutions en cours, afin de maintenir les systèmes en place, sous d’autres formes. Mais, nourris de différentes expériences, il n’est pas sûr que des peuples, mesurant leur force et leur pouvoir retrouvés, se satisfassent de demi-mesures ou du détournement de leurs aspirations.

Raison de plus pour travailler ardemment à défricher les chemins neufs d’un post-capitalisme et de nouveaux rapports de coopération entre les peuples, à inventer. Le Forum social mondial qui s’ouvre à Dakar devrait placer cette question fondamentale à son ordre du jour.

 

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0 commentaires


Louli 3 février 2011 à 11 h 11 min

Je viens de lire votre article et je suis on ne peut plus d’accord avec vous. Il est clair que la situation est de plus en plus insupportable et qu’il faut réinventer notre économie, les paradis fiscaux doivent être fermés, cela ne peut pas durer éternellement !

Tous ensemble, nous pouvons faire quelque chose, j’en suis persuadée! Je participe dans cette optique à la campagne “Aidons l’argent à quitter les paradis fiscaux” http://www.aidonslargent.org/ . Cela permet d’en savoir plus sur le sujet et d’agir afin que cela ne soit pas une fatalité.

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