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Mais quelle spirale a pu, en quelques jours, déployer un tel acharnement contre la ville de Trappes et ses élus ?
Le cas de cette ville est significatif sur la manière dont s’organise le débat en France. Les plateaux de télévision rivalisent de mensonges et d’omissions, sur la réalité de cette ville populaire de lointaine banlieue. On ne saura pas qu’elle fut la ville refuge d’une immigration de travail organisée par l’industrie capitaliste, essentiellement automobile, au début des années 70 dans les provinces les plus reculées du Maghreb. Une immigration voulue temporaire par le pouvoir giscardien tant il est vrai que, pour les capitalistes, le prolétaire immigré doit être réduit à son unique force de travail, sans trop en demander sur sa dignité et ses droits fondamentaux qui risqueraient, une fois acquis, de hausser le « coût » global de production.
Ces immigrés ont eu l’idée « saugrenue » de fonder des familles, clouées à résidence par une République vampirisée par le capital dès 1983, et qui refusait alors de considérer ses nouveaux enfants, nés sur son sol et issus de familles ouvrières et paysannes venues pour ses besoins et à la demande des puissances industrielles capitaliste. La ville multipliait alors sa population par six, atteignant 35 000 habitants ! La municipalité à direction communiste de Trappes érige des logements neufs et confortables, ces grands ensembles qui ont bien mal vieilli mais qui tranchaient à l’époque avec les horribles taudis qui enserraient la région parisienne. Elle avait tout autant investi dans la culture, dotant la ville d’équipements de très haute tenue, au nom du principe « qu’il n’y a rien de trop beau pour la classe ouvrière ».
D’ici nait le paradoxe de Trappes : une ville peuplée d’une immigration de travail pauvre et surexploitée à large dominante maghrébine et musulmane, pour laquelle la municipalité communiste créa des équipements culturels et sportifs « élitaires pour tous », selon les mots d’Antoine Vitez. C’est ainsi que des Omar Sy, Jamel Debbouze, Sofia Aram ou Nicolas Anelka ont pu se hisser malgré leurs conditions modestes au sommet de leurs arts respectifs.
Mais pour autant, les conditions sociales objectives se dégradaient à très grande vitesse : l’industrie licenciait, au premier rang les travailleurs immigrés, et les nouvelles générations – leurs enfants – trouvaient face à elles le mur du chômage, de la précarité, de la relégation urbaine et sociale. Le terreau devenait ainsi propice à l’enfermement identitaire et aux dérives sectaires que quelques illuminés n’ont pas manqué d’entretenir auprès d’une jeunesse déboussolée et méprisée. D’autant que cette période fut celle d’un anticommunisme virulent, alliant souvent la droite et les islamistes, visant à détruire les organisations communistes et à faire battre les maires qui en étaient issus. Rien ne leur aura été épargné.
Trappes est désormais la deuxième ville la plus pauvre des Yvelines, entourée de villes relativement plus aisées. Et pourtant, des choses remarquables s’y déroulent, loin, très loin des caricatures qu’en renvoie le professeur Lemaire. Le préfet des Yvelines lui-même a salué le travail du maire Ali Rabeh dans la lutte contre l’islam radical, tout en critiquant vertement les propos du professeur de philosophie. Des intervenants extérieurs travaillent en toute entente avec les équipes municipales pour ouvrir les horizons de la jeunesse trappiste, comme en a témoigné l’essayiste et romancier Rachid Benzine.
Les propos de Mme Pécresse demandant la révocation du maire de Trappes sont parfaitement scandaleux. Ils suintent l’opportunisme politicien à plein nez dans la perspective de la prochaine élection municipale partielle où elle présente « son » candidat, et des prochaines élections régionales où elle reconduit une liste de droite. Voilà encore l’islam et les musulmans devenus les variables d’ajustement de stratégies politiciennes qui déportent le débat public vers l’extrême droite. Assez !
Quand est-ce qu’un média national se penchera-t-il enfin sur les craintes et les espoirs de la jeunesse de Trappes, des autres villes de banlieue comme des territoires ruraux ou péri-urbains laissés à l’abandon ? Quand nous racontera-t-on l’histoire de cette ville et les conditions de vie de ses habitants ? Quand seront pointées du doigt et combattues les politiques publiques de relégation sociale, le chômage de masse, les contrôles au faciès, les discriminations à l’embauche, toutes ces causes chéries par ceux qui font mine d’en déplorer les effets, avec leurs cuillères en or dans la bouche, depuis les beaux quartiers des ministères ?
(extrait de la lettre du 19/02/2021 : http://r.lettre.patrick-le-hyaric.fr/ae47pmqfzpt7e.html)