La première révolution du XXIeme siècle

le 20 janvier 2011

La première révolution de ce XXIème siècle est en cours. Elle a lieu tout près de chez nous, dans un pays aux multiples liens avec le nôtre. L’acteur en est une jeunesse et un peuple admirables, beaux, sages, cultivés, au pays du jasmin. Saluons encore une fois le courage, la force et la détermination du peuple tunisien uni qui, en vingt-trois jours, a mis fin à vingt-trois ans de dictature d’un autocrate corrompu. Nous présentons nos condoléances aux familles qui malheureusement ont perdu l’un des leurs sous les balles de Ben Ali.

Ce peuple sous surveillance et encagé réclamait « liberté, travail, dignité ». Au manque de liberté s’ajoutaient désormais les ravages de la crise du capitalisme mondialisé dont les travailleurs tunisiens sont devenus des fantassins de premiers rangs sous couvert de la théorie en vogue de la « baisse du coût du travail » et de l’efficacité de la « concurrence ».

Ainsi l’étincelle a été allumée avec l’immolation par le feu d’un jeune homme de 26 ans, humilié comme tous les autres, bardé de diplômes mais jeté dans l’impasse du chômage. Ce mouvement est venu des profondeurs d’une société qui ne supportait plus d’étouffer pendant que la famille de la caste au pouvoir régentait leur vie et s’accaparait les richesses du pays. Le mouvement social est vite devenu un mouvement populaire et politique. La révolution du jasmin est d’une grande portée mondiale.

Les tunisiens viennent de démonter que les puissants assis sur des trônes, même soutenus par ce que l’on appelle « la communauté internationale », peuvent avoir la solidité d’un château de cartes quand, dans l’unité, le peuple prend son destin en mains. Il en est toujours ainsi. Dès lors qu’un peuple prend conscience de sa force, de ses intérêts communs, rien ne peut lui résister. Dès lors que prime le rassemblement dans la diversité, l’unité populaire, il devient plus fort que la minorité qui l’exploite, le spolie et l’humilie

Le mouvement général de l’humanité est de ce côté. Il condamne à plus ou moins brève échéance tous les autocrates, tous les despotes, tous les menteurs, tous les corrupteurs et corrompus, toutes les oligarchies de la terre. Même en utilisant la tactique de la reculade pour tenter de calmer la colère des tunisiens, le dictateur Ben Ali a produit l’effet inverse car trop de mensonges font qu’un jour la parole d’un président ne vaut plus rien. De ses châteaux, il ne croyait pas que la revendication en apparence sociale était avant tout la demande que « Ben Ali dégage ». La demande d’un changement de pouvoir, de politique, de régime. La demande irrépressible de démocratie et de justice. Deux aspirations universelles qui parcourent en ce moment même la planète au cœur de la crise du capitalisme mondialisé. C’est aussi la première révolution mûrie dans une combinaison de la rue et de l’internet, dans le partage d’informations, de sentiments, d’analyses, l’organisation de rassemblements. Ceux qui, comme le gouvernement français et les autorités européennes, ont soutenu Ben Ali jusqu’à la dernière minute, auront une nouvelle fois démontré à quel point ils sont éloignés des réalités, insensibles aux battements de cœur des sociétés et des peuples.

Il y a à peine huit jours, un ministre français déclarait que « le président Ben Ali était souvent mal jugé ». Un autre osait cette analyse affirmant : « dire que la Tunisie est une dictature univoque comme on le fait souvent, me semble tout à fait exagéré ». La ministre des affaires étrangères proposait solennellement, devant l’Assemblée nationale, de fournir des CRS, des militaires et des balles aux policiers et aux fusils de Ben Ali pour tirer sur d’innocentes victimes afin de protéger le tyran au pouvoir. Quelle morgue ! Quelle souillure supplémentaire sur la patrie des droits de l’homme, par des dirigeants complices. Honte à eux !

Il se dit désormais que les autorités françaises, président de la République en tête, étaient mal renseignées sur la situation à Tunis. Qu’on leur offre vite une radio ! A partir de là, il se dit aussi qu’ils n’auraient fait que des erreurs d’appréciation. Des erreurs que très peu  de nos concitoyens ont commises. Non, ce ne sont pas des erreurs ! Il s’agit de leurs choix fondamentaux, de leur politique. Comment ? Au gouvernement français on n’a pas eu accès aux révélations de Wikileaks qui circulaient sur les sites internet jusqu’au tréfonds des campagnes tunisiennes ? Celles-ci reprenaient les télégrammes de l’ambassadeur des Etats-Unis confirmant l’accaparement de tous les biens d’Etat par la famille. Et ils ont été complices jusqu’à la dernière minute. Voilà qui en rajoute encore sur la nature de ce pouvoir sarkozyste se situant à l’opposé des aspirations populaires ici et de par le monde.

L’argument selon lequel Ben Ali était un rempart contre l’islamisme peut être aisément retourné en son contraire. Ce sont les privations de liberté, la pauvreté, la corruption des élites au pouvoir qui, partout, nourrissent  le bouillant terreau sur lequel prospère un islamisme politique fanatisé qui maintient les peuples en état de soumission, de domination. Des dictatures en remplacent d’autres, dès lors qu’on ne permet pas aux citoyens de choisir et de décider par eux-mêmes. En ce sens, nous avons à soutenir ardemment une transition réellement démocratique pour la naissance d’une nouvelle Tunisie. Les autorités transitoires l’ont promis. Mais rien n’est joué d’avance. Le chaos organisé, la terreur semée par des bandes liées à la dictature ont pour objectif de semer l’anarchie et la pagaille afin de discréditer la révolution en cours. De multiples pièges, de multiples manœuvres peuvent être encore à l’œuvre pour détourner, confisquer la révolution du jasmin. Déjà, sous diverses formes, sous couvert de démocratie, de belles âmes, souvent d’ailleurs celles qui ont soutenu Ben Ali ou qui se sont tues, prodiguent moult conseils qui au fond visent à leur demander de copier nos « démocraties »… qui elles aussi sont à bout de souffle. On ne sortira pas de ce régime avec les anciens amis et alliés de Ben Ali. La conservation de l’architecture de la dictature ne permettra pas la démocratie. Que les chancelleries française, nord-américaine, européenne, cessent leur pression pour choisir à la place du peuple des candidats jugés présentables pour une sortie « tranquille de la crise », comme le dit un diplomate américain en poste à Tunis. A mon sens, c’est aux forces démocratiques, politiques, syndicales tunisiennes de dialoguer et de s’entendre en refusant toute pression extérieure. Un processus annoncé visant à mettre en place une assemblée constituante à partir de la représentation de toutes les forces démocratiques, sociales, associatives, culturelles tunisiennes afin d’élaborer une nouvelle constitution, garantissant la liberté d’expression, des associations, de la presse, des élections libres, des institutions nouvelles, serait sans doute le plus efficace.

Les enjeux sont considérables pour les forces du capital international, les puissances nord-américaines et européennes. Une fois de plus le projet Union pour la Méditerranée, voulu par le Président de la République, ne répond à aucune des demandes et des besoins des peuples des deux rives de la Méditerranée. Le mode de relations  instauré par l’Union européenne, celui d’accords de libres-échanges, mettant les jeunesses, les salariés dans une concurrence antihumaniste, antisociale, est partout de plus en plus antidémocratique, là-bas et ici. En filigrane, la révolution tunisienne met en cause ce mode de relations, fait de domination au seul service des transnationales capitalistes à base européenne ou américaine. L’Union européenne doit choisir une véritable coopération avec tous les peuples du Maghreb au lieu de la guerre économique

Le peuple tunisien a peut être déclenché un mouvement plus large parce que la situation qui lui a été faite n’est pas isolée. D’Algérie, de Jordanie, du Maroc, d’Egypte, de Gaza, de la Mauritanie, une lame de fond parcourt la jeunesse et les peuples. La révolution tunisienne ouvre peut être une ère nouvelle pour les peuples du Maghreb et du proche  orient. Mais, ici aussi des étudiants anglais aux ouvriers roumains, des populations grecques, espagnoles, portugaises au récent combat français contre l’abrogation de la retraite à 60 ans et contre l’injustice, des mouvements sociaux et populaires se cherchent. Leur point commun : le refus de payer la crise générée par le capitalisme qui provoque cherté de la vie à cause de la spéculation mondiale effrénée sur les matières premières agricoles et énergétiques, la privatisation des économies pour des castes et les rapaces des marchés financiers, l’avenir bouché aux jeunesses ici comme là-bas. L’utilisation des réseaux internet est la grande nouveauté qui accélère encore les mouvements pour s’informer, se connaître, dialoguer, pour relater l’inacceptable.

L’autre point commun qui peut relier, solidariser tous les peuples et les jeunesses de la planète est le début de conscience que le modèle actuel de développement capitaliste ne peut répondre aux attentes populaires nulle part. Partout, le régime d’austérité pour le monde du travail et de la création appliqué par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale devient insupportable.

Créer cette division internationale du travail en profitant là-bas des salaires bas en concurrence avec les rémunérations meilleures de certains pays d’Europe, dégrade la vie de toutes et tous, où qu’on se trouve dans le monde. La monoproduction dans les pays du Maghreb ou en Asie pour l’exportation tue le travail ici, surexploite le travail là-bas, rend les économies totalement dépendantes du marché capitaliste mondial en place. Les économies là-bas en sous-développement poussent à une sorte de tiers-mondisation de la situation de nos populations.

Ces régions sont dirigées par des régimes autocratiques, autoritaires, directement liés aux centres du capitalisme mondial, aligné en permanence sur la politique nord-américaine, alors que l’Europe, qui vient d’intégrer l’Otan, poussant ainsi à des régimes plus autoritaires, plus militarisés.

Avec des situations différentes, l’irrépressible aspiration à la justice, à la démocratie commence à mettre les peuples en mouvement. C’est l’analyse que fait le gratin mondial des affaires et leurs mandataires politiques, qui se réunit la semaine prochaine à Davos et dont l’ordre du jour est éloquent : « normes communes pour une nouvelle réalité ». En clair, comment défendre ses intérêts dans la crise quand on est riche et puissant. Dans un rapport préparatoire, il préconise l’accélération des privatisations du monde, s’inquiète de la croissance de la demande en produits de première nécessité pour lesquels ils demandent des prix libres, déterminés par le marché capitaliste, c’est-à-dire l’aggravation de la situation actuelle. Ils demandent de le faire progressivement car ils craignent « des effets sociaux négatifs », disent-ils. Les puissants de ce monde se concertent régulièrement, élaborent ensemble des solutions  pour faire perdurer leur pouvoir de domination et d’exploitation. Mais il faudra se rendre à l’évidence, les peuples sont les plus forts. Qu’ils puissent se rassembler et défricher des chemins inédits d’un changement de politique, de pouvoir et de monde. La peur des peuples, des humbles, des pauvres, peut gâcher le festin des puissants.

 

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0 commentaires


dominominus 20 janvier 2011 à 9 h 45 min

Mais les apparentés-dictateurs, assassins en puissance sinon en faits, s’accrochent.

houhou 20 janvier 2011 à 9 h 59 min

j’ai apprécié la bonne synthèse de la situation et je m’en vais envoyé un lien vers mes amis tunisiens qui apprécieront cet écrit. Je tenais tout de même à préciser qu’il ne fallait pas vendre la peau de l’ours parce que rien n’est encore terminé. Le passé nous a montré que bien des révolutions spontanées dans la souffrance certes mais aussi dans la joie d’une vie meilleure ont été détournées parce qu’on s’était contenté de s’intéresser à des boucs émissiares sans prendre en compte la source du mal et les structures de domination. Tout reste à faire et tant que des élections libres et démocratiques n’ont pas été réalisées, le peuple Tunisien se doit d’être vigilent .

claude LAURENT 20 janvier 2011 à 10 h 19 min

Restons vigilants à ce que le peuple tunisien qui a osé se révolter et chasser les mafieux du pouvoir ne se fasse pas voler sa victoire par les islamistes comme en Iran. Et en particulier surveillons les forces réactionnaires françaises qui ont déjà montré de quel côté elles se trouvaient.

Bruno Bergman 20 janvier 2011 à 18 h 23 min

Donc si je suis bien, en Amérique Latine : Nada, R.A.S. ?
On ne peut pas regarder du coté du PGE et du coté de Chavez … c’est antinomique … et ça provoque ce genre “d’oubli” … lamentable …
C’est que Chavez c’est le courage, la détermination et le dévouement pour son Peuple, tandis que le PGE n’est que compromissions et alliances de bas étages avec les socio-libéraux de tous poils, et donc trahison de notre Peuple et de tous les Peuples Européens.
Bravo le PCF !
Encore quelques marches et vous y êtes : Mélenchon récupèrera les murs et partagera l’électorat avec …!

Dominique 20 janvier 2011 à 18 h 24 min

Le 20 / 1

J’ai lu votre appréciation sur les événements de Tunisie avec un très grand intérêt et avec la joie d’y retrouver le grand souffle qui anime l’esprit, le cœur et l’âme des communistes.

J’en suis d’autant plus heureux que les faits rapportés par les médias “occidentaux”, par “l’opinion internationale” — kekcékeça ? — m’ont mille fois, dix mille fois ulcéré.

Et que dire de leurs commentaires, sinon qu’ils sont révélateurs ! Je m’en tiendrai à deux exemples.
Laurent Joffrin d’abord. “La révolte de la liberté des Tunisiens est en vérité une Révolution. Comme la France en 1830, la Tunisie connaît sa Révolution. Elle fait indéniablement penser au fameux tableau d’Eugène Delacroix “La Liberté guidant le peuple” et célébrant “Les Trois Glorieuses” où l’on voit des étudiants et des Gavroches accompagnant la Liberté …” Il parle de la Révolution, mais fait référence à celle de 1830 pardi. Pas à celles de 1789 ou de 1848. 1830 vit la fuite de Charles X “roi de France” et l’avènement de Louis-Philippe “roi des Français” ! Aveuglant exemple de révolution confisquée. Et puis les Trois Glorieuses font un clin d’œil aux Trente glorieuses. Car c’est bien connu. La Tunisie est prospère au point d’être désignée comme un modèle à suivre pour les autres pays d’Afrique par D. Strauss-Kahn — autre clin d’œil . C’est Ben Ali qui est à changer, non le système.
L’autre commentaire nous est donné par Alexandre Adler. Lui, assimile la révolution tunisienne à celle de 1848. Mais c’est aussitôt pour s’inquiéter car “… la Tunisie de 2010 n’a pas la chance de la France de 1848, d’avoir un Napoléon III pour prendre les choses en main.

volodia 20 janvier 2011 à 21 h 34 min

Ben Ali, le rempart contre l’Islam ? Pour lui donner raison aujourd’hui 20 Janvier, j’ai vu la une du Figaro, une photo, une table autour de laquelle des femmes Tunisiennes toutes avec un foulard islamique et des hommes, sous titre “Les Islamiques demandent des postes dans le gouvernement” alors que leur leader est toujours en exil à Londres, et qu’on ne les pas vu dans les manifestations ! La couverture de l’Express, une jeune femme avec fichu, et un gros titre de la révolution Arabe !

Andres Bryant 21 janvier 2011 à 11 h 31 min

Je suis assez surpris (pour ne pas dire TRÈS) que personne n’ait encore fait remarquer que depuis le début de ce XXIè siècle, ailleurs dans le monde il y a DÉJA eu plusieurs révolutions … Pas en Europe, certes. Mais peut-être que pour certains , le monde c’est l’Europe… comme les USA c’est “l’Amérique” … et la Bolivie , l’Equateur, etc , ce ne sont que de petits villages perdus quelque part du côté de l’Amérique, je veux dire des USA…

nicky 24 janvier 2011 à 14 h 06 min

il est bien de parler, de commenter, et de manifester pour ce peuple si attachant. mais je pense qu’il est temps de les aider à retrouver le chemin de l’économie comme il est demandé par ces mêmes jeunes descendus dans la rue dans l’indifférence totale de nous tous . j’ai des ami(e)s qui demandent à leur peuple de reprendre le chemin du travail, de l’éducation, du tourisme, de la finance car une démocratie a besoin de cela pour exister. alors leur demande légitime est à traduire dans nos manifestations . demandons à tous les Tunisiens, de reprendre le chemin de la démocratie . de ne pas avoir peur de s’inscrire dans les ambassades pour pouvoir voter. et j’en dirai encore mais je prendrai pas la parole à mes amis de Sousse, et de Tunis. amitié socialiste

hasni@reveiltunisien.org 24 janvier 2011 à 17 h 23 min

auquel il manque une mise en perspective du devenir de la révolution. Je n’appellerai pas cette révolution la révolution du Jasmin car il y a une connotation “carte postale” dont a déjà bien souffert ce pays tant on a été durablement aveugle et sourd à ce qui pouvait être écrit voir hurlé au dos de la carte postale.
je ne parlerai pas du tourisme de masse qui a assassiné le littoral et vider les nappes phréatiques de nombres d’oasis pour que les touristes puissent prendre une douche dans un établissement où les gens sont payés avec un lance pierre et doivent subir les quolibets et réflexions sans jamais pouvoir relever la tête.
J’évoquerai juste la suite.
Car la révolution est faite ou en passe de l’être totalement. Mais se pose aujourd’hui une seule question. Comment redémarrer sur des bases solides, saines et durables une société tunisienne ? Quel projet pour la Tunisie ? Quelles institutions, quelle constitution ? Et quelle équipe pour la mettre en œuvre ?
Pendant des décennies, car j’inclue la période Bourguiba, les tunisiens ont vécu sous la coupe au mieux paternaliste, au pire dictatoriale d’une personne. Nombre d’entre eux cherchent maintenant la personne qui viendra apporter un consensus. Un homme providentiel, un sauveur. Hors, non seulement cette personne n’existe pas mais en plus cette idée est, j’ose le mot, contre-révolutionnaire. Les tunisiens ont besoin d’un projet de société. Un projet qu’ils doivent élaborer eux même avec le peu de connaissances disponibles. Car cette population est certes dotée d’un très bon niveau scolaire mais les cursus intégraient pas les sciences politiques :). La Tunisie n’a pas besoin d’un compromis pour se réaliser mais de choix avec la part de risques que cela comporte.

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