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Hommage à Jean le Lagadec
Champigny
Le 25/01/2019
Patrick le Hyaric
Chère Jeannick,
Cher François et vos enfants,
Chère Claudine,
Monsieur le maire,
Monsieur le président du Conseil départemental, cher Christian,
Monsieur le ministre, cher Anicet
Chers amis,
Chers camarades,
Nous n’entendrons plus cette forte voix si originale, cette voix qui portait loin, cette voix baignée dans l’accent du Trégor Breton.
Avec la disparition de Jean, c’est une part considérable d’histoire qui s’en va.
Une histoire singulière : celle d’un homme qui aura traversé le siècle en endossant d’importantes responsabilités politiques et journalistiques à L’Humanité, forgeant dans le débat et le combat politique sa stature de grand homme, en plus de celle que la nature lui a offerte, impressionnante, et qui lui valait cet affectueux nom de Menhir.
Le Menhir de Plufur, l’appelions-nous, du nom de son village si attachant en Bretagne centrale, cette terre républicaine, cette terre de résistance, cette terre du progressisme.
Un bout d’histoire de France ensuite, tant le destin de Jean mêle sa Bretagne natale, sa Bretagne centrale, la nôtre, à l’histoire nationale, à cette France dont il aura défendu avec vigueur une certaine idée, puisée aux sources de la grande Révolution et perpétuée par les grands combats émancipateurs de la classe ouvrière et de la paysannerie pour que vive la République sociale.
Dans cette Bretagne paysanne encore tenue à l’écart des grands bouleversements industriels, Jean profita dans son enfance de ce que la République apporta de meilleur : une scolarité exigeante qui offrait le goût de la citoyenneté et forgeait l’esprit critique.
Jean eu l’incroyable courage de mettre ces enseignements très vite en pratique, bravant d’immenses dangers en offrant ses services à la Résistance intérieure bretonne. Dans l’épreuve de la guerre et au contact des maquisards bretons des Francs-Tireurs et Partisans, Jean se découvrit communiste.
La guerre puis la libération forment un même moment fondateur : celui où sont éprouvés la camaraderie et l’honneur de l’engagement, qui allaient irrémédiablement souder le destin de Jean à celui du pays pour lequel il a combattu et à cette classe ouvrière qui fut alors, comme le soulignait François Mauriac, l’honneur de la France.
Comme bon nombre de jeunes bretons dans l’immédiat après-guerre, Jean pris la route de l’exil vers la capitale, ce formidable lieu d’attraction. Le risque de cet exil fut somme toute mesuré tant la solidarité de classe entre bretons permettait de trouver travail, soutiens, amis, et de se fondre aisément dans la vie parisienne, celle de ses faubourgs et de sa banlieue.
C’est à la Courneuve, dans cette ville ouvrière fière et rebelle, symbole de la lutte contre l’habitat insalubre qui gangrénait alors la région parisienne, que Jean fut accueilli au sein de la famille Rivoalan, famille bretonne au grand cœur qui, telle l’auvergnat de Brassens, ouvrait à ces « exilés de l’intérieur », le couvert, le gite, le pain, les réseaux, les contacts.
Jean vécut alors la vie ouvrière, faisant des ménages, puis travaillant dans une scierie puis dans la métallurgie. La ville de la Courneuve lui proposa un poste de chauffeur municipal. Et c’est toujours comme chauffeur qu’il entra à l’Humanité à l’aube des années 50. Peu à peu, par la force du travail, le gout de la recherche et des idées, Jean intégra la rédaction. L’Humanité qui était encore sous la responsabilité de Marcel Cachin, puis d’Etienne Fajon se faisait un devoir de former ces jeunes paysans et ouvriers au travail intellectuel.
De simple rédacteur, Jean fut appelé à couvrir l’activité parlementaire et devint, grâce à la reconnaissance acquise, vice-président de l’association de la presse parlementaire.
Jean prit la tête de la rubrique politique à une époque où le Parti communiste et l’Humanité étaient particulièrement exposés, en 1976, en pleine dynamique du programme commun de la gauche.
Quelques année plus tard, la victoire de la gauche en printemps 1981 et l’entrée au gouvernement des ministres communistes relevaient du défi et posait le combat politique en des termes nouveaux.
Nous nous souvenons d’un éditorial retentissant sur « le mur de l’argent » publié en 1982 et qui accusait la droite d’adopter une position revancharde en n’acceptant pas le verdict des urnes.
Attentif au sort de la paysannerie, il prit souvent la plume pour défendre les revenus paysans, la souveraineté alimentaire, et mettre en lumière cette « inquiétude des campagnes » pour reprendre les mots d’un éditorial du mois de juillet 1982.
Il s’insurgeait régulièrement contre les tentatives de division entre ouvriers et paysans. Jean savait bien, pour l’avoir vécu de près, que la condition paysanne est à bien des égards semblable à celle de l’ouvrier, si ce n’est plus dure par l’isolement et le pillage des fruits du travail. C’est bien à la solidarité, à l’unité des travailleurs qu’il œuvrait constamment dans les colonnes de l’Humanité.
Nous ne pouvons faire le tour de cette belle et flamboyante personnalité sans évoquer une fois encore son attachement à sa Bretagne natale qu’il perpétuait au sein de l’Union des sociétés bretonnes de l’Île-de-France, qu’il a si longtemps présidée et de son journal Bretagne Île-de-France, à la suite de celui qui fut pour beaucoup d’entre nous un modèle, une référence, Marcel Hamon. Jean était en cela devenu un maillon essentiel de cette belle lignée de bretons viscéralement attachés à la République et à la classe ouvrière française : Marcel Cachin, Tanguy Prigent, Charles Tillon, Eugène Hénaff, Jules Trémel, Félix Leyzour, Anicet le Pors, sans oublier, plus proche de nous, notre ami commun Gérard Lahellec actuellement vice-président efficace du conseil régional de Bretagne.
Les équipes de l’Humanité se souviennent d’un homme truculent à la faconde légendaire, doté d’une voix de Stentor qui captivait ses interlocuteurs comme ses contradicteurs ; nous nous souvenons d’un travailleur obstiné et infatigable qui épluchait de très bonne heure et chaque jour les dépêches d’actualité avec l’attention et la concentration requises en ces temps ou ni les ordinateurs et encore moins l’internet ne venaient en support du travail journalistique.
Avec parmi tant d’autres amis et camarades, René Andrieu, Jacques Coubard et François Lescure, sous l’autorité de Roland Leroy, ils formaient l’ossature d’une équipe solide, fortifiée par les épreuves de l’Histoire.
Il faut mesurer le poids des responsabilités qu’avait alors Jean, lui le fils de paysan breton, en participant à un grand nombre d’émissions de radio ou de télévision pour porter la voix des travailleurs, des humbles, des exploités dans des débats épiques qui l’opposaient à la fine fleur des intellectuels de droite. Nous nous souvenons notamment de ses interventions remarquées et remarquables au club de la presse d’Europe 1.
Il se plaçait ainsi dans le sillage de ces militants qui ont œuvré avec abnégation, avec un sens aigu du courage et du sacrifice, aux postes que l’histoire leur a assigné.
Sans cesse il continuait à penser l’avenir, à penser la France dans le monde. Souvent il faisait part de ses réflexions sur les enjeux de souveraineté nationale et de souveraineté populaire. Souvent, il demandait à ce qui nous soyons plus fermes dans la défense de la laïcité.
Car au-delà de ses importantes responsabilités éditoriales, Jean s’est investi corps et âme dans l’action militante pour son parti, le Parti communiste français, se mettant à trois reprises, en 1973, 1978 et 1981, à disposition des militants et des habitants lors des élections législatives dans la circonscription de Lannion-Paimpol.
La République Française a reconnu son rôle et ses services quand en 1982, le président François Mitterrand lui remis les insignes de la légion d’honneur.
Aujourd’hui, notre tristesse est immense, à hauteur de ce que nous devons à Jean. A hauteur du rôle qu’il tint au service de nos combats communs. Nous voulons être dignes de son œuvre, de son exemple de dévouement et d’efforts pour nous hisser à la hauteur des immenses défis de l’heure.
Je veux une nouvelle fois assurer Jeannick et François, ses petits-enfants, toute sa famille et ses proches de notre affection et leur présenter nos condoléances.
Je vous remercie de votre attention.