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Comme face à un deuil, le pays entier et les millions de visiteurs qui ont foulé du pied le parvis de la cathédrale, ont été lundi soir envahis d’une infinie tristesse. Beaucoup ont réagi comme si un être cher succombait, révélant combien cette belle Dame trônant fièrement au cœur de la capitale était Nôtre, vivant dans l’intimité de millions de consciences, jusqu’aux plus rétives au dogme religieux.
Ce n’est ni la religion ni la foi qui suscite chez nous cette émotion. Sans enlever aux catholiques une peine augmentée de leur foi bien compréhensible, nous pleurons aujourd’hui la destruction de pans entiers de cette manifestation rare du génie humain.
Paris était si peu quand Notre-Dame s’élevait déjà, il y a près de mille ans au cœur de l’ile de la Cité. Ce splendide édifice n’est réductible à aucun homme, aucun architecte, aucun génie si ce n’est celui, collectif, de milliers d’artisans, apprentis et compagnons anonymes, femmes et hommes, ces « oeuvriers » comme on les appelait alors, qui mobilisèrent tous les savoirs des sciences, des arts et des techniques pour ériger vers le ciel et pour les siècles des piliers de calcaire monumentaux colorés de kaléidoscopes de verre qui ornent les rosaces, reliés par une immense charpente de bois qui défie les lois de la physique, solidement flanquée de ces arcs majestueux enracinés entre deux eaux.
Le lieu de culte s’est fondu avec l’histoire séculaire. Sans rien perdre de sa magie et de sa transcendance, il donne à l’athée matière à s’éblouir comme à penser les événements d’un millénaire. L’endroit a mêlé les enjeux de pouvoirs royaux, impériaux et républicains et une persévérante appropriation populaire comme l’a si brillamment montré Victor Hugo, et après lui Apollinaire ou Aragon.
Si, comme le disait Jaurès « l’humanité n’existe point encore ou elle existe à peine », peut-on risquer qu’elle soit parvenue à s’accomplir vraiment dans certaines œuvres de l’art et de l’esprit, dans ces créations où l’Homme a surpassé ses capacités et son imagination pour dire l’ineffable et inventer l’inconcevable, nourrissant la civilisation de culture mise en partage?
Pour notre grand soulagement, les pompiers héroïques de Paris ont réussi à circonscrire le sinistre et à préserver l’essentiel de la structure et des vitraux médiévaux. Le « trésor » et quelques une des merveilles du site ont également été sauvés du feu.
Notre imagination, notre capacité à inventer sans trahir, à prolonger sans renier, comme a su le faire à sa façon et en son temps Viollet le Duc au 19ème siècle, sont sollicitées pour trouver les formes nouvelles et contemporaines qui feront se tenir encore et toujours, fière et debout, cette belle Dame de Paris.