- Views 976
- Likes 0
Hier soir, jeudi 8 septembre, a eu lieu le traditonnel dîner des professionnels de la presse qui se tient le jeudi précédant l’ouverture de la Fête de l’Humanité.
Dîner des professionnels de la presse
Fête de l’Humanité
Jeudi 8 septembre 2016
Patrick Le Hyaric
Madame la ministre de la culture et de la communication, Chère Audrey Azoulay,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Madame la présidente de Presstalis et Madame la présidente, chère Anne Marie Couderc,
Monsieur le préfet, Philippe Galli,
Monsieur le directeur des médias et des industries culturelles, Martin Ajdari,
Mesdames et messieurs les présidents des syndicats professionnels,
Chers confrères, cher(e)s ami(e)s,
C’est toujours un plaisir de se retrouver en ce vingt-deuxième dîner des professionnels de la presse, au sein de la 81ème Fête de l’Humanité.
Un plaisir même si notre repas a lieu à un moment où notre groupe l’Humanité vit depuis des mois une situation extrêmement difficile.
Elle nous préoccupe et nous occupe beaucoup puisque sont en question notre survie et nos capacités de relance.
Le manque d’argent nous mine et nous met en péril.
C’est peu de dire que notre combat est difficile. De dire aussi que votre présence amicale nous apporte du baume au cœur qui nous aide à tenir.
Malgré les crimes de masse de cet été qui ont conduit à annuler certains événements publics et culturels, nous nous sommes battus pour mettre à la disposition du pays, de notre jeunesse cette fête de l’Humanité.
Je dis bien « mettre à disposition » car nous n’organisons pas cette fête pour nous, mais pour créer un espace de rencontres, un creuset de culture, un lieu libre de paroles et de débats pour que vive les beaux idéaux de la République, pour que vive la fraternité humaine et la paix.
Je profite de l’occasion pour remercier monsieur le préfet de Seine-Saint-Denis et toutes ses équipes qui depuis des semaines nous accompagnent sans ménager leur temps et leurs efforts.
Jamais sans doute depuis très longtemps, la démocratie n’aura eu besoin pour vivre et se dépasser de citoyens éduqués, cultivés, informés.
C’est un enjeu pour la République elle-même. Cela confère une grande responsabilité aux médias en général et à notre presse écrite en particulier.
Cette dernière a vocation à dénicher les enjeux, à les éclairer, à les mettre en débat.
Elle se doit d’être une aide à penser par soi-même, à construire ou faire évoluer les pensées et les opinions de chacune et chacun.
Elle fait appel à la réflexion et à l’esprit critique.
Elle donne du temps à la pensée et ralentit le rythme fou de l’information instantanée mondialisée. Elle se fait un devoir de la vérifier, de la travailler, la décrypter, l’éclairer, la commenter selon des options éditoriales plurielles.
Bref, elle est à l’opposé de la somme des « unités de bruit médiatique » qui trop souvent embrouille, amalgame, répète, affadit et uniformise.
A l’opposé donc de ce bruit répandu pour une tenue de plage, une démission de ministre qui mobilise, par le truchement des médias, l’attention de nos concitoyens alors que beaucoup d’entre eux ne savent pas s’ils vont boucler la fin du mois ou trouver enfin un emploi.
Franchement, si la politique dérape, ce qui est incontestable, des médias, très souvent aussi, jusqu’à constituer l’une et l’autre un couple redoutable contre la qualité du débat public. Contre la démocratie.
Nous sommes dans cette situation, où pour reprendre Sophocle : « Tout est bruit pour qui a peur ».
Ce bruit qui est à l’opposé du raisonnement, de la vérification des informations, du débat contradictoire.
C’est pourquoi continuer à réduire le nombre de journalistes dans nos salles de rédaction ou la pagination de nos journaux revient à assécher peu à peu la diversité, la richesse de l’information et de ses angles de traitement, les savoirs. Au bout du compte c’est la gangrène qui peut venir ronger la démocratie.
Vous le savez, faire vivre un journal indépendant comme l’Humanité est une tâche difficile, angoissante, titanesque.
Je vous parle franchement.
Nous ne sommes là, et nous ne pouvons organiser cette fête que grâce à la solidarité de nos lectrices et lecteurs, de celle d’un réseau d’amis de l’Humanité, de quelques confrères parmi vous et de partenaires bienveillants et solidaires dont un certain nombre d’entre vous, conjugués aux efforts considérables des équipes de notre groupe l’Humanité.
Et je veux, Madame la ministre, vous remercier ainsi que certains de vos collègues du gouvernement, remercier les membres de votre cabinet ainsi que M. Martin Ajdari et les équipes de la direction des médias pour leur écoute, leur compréhension, pour nous avoir accompagné et avoir accepté, avec l’accord du Président de la République, de verser par anticipation notre part d’aides aux quotidiens à faibles ressources publicitaires.
Je ne veux pas que ma franchise et ma transparence vous gênent.
Je veux simplement vous remercier sincèrement comme je remercie nos partenaires dont M. Riccobono pour sa patience et sa compréhension que nous mettons à rude épreuve.
Or, quoique que l’on pense de nos actions et de nos options éditoriales, je crois que la République serait un peu amputée sans l’Humanité, comme elle le serait sans la Croix, Libération, le Figaro, les Echos ou le Monde.
Nous vivons une période trouble, incertaine, dangereuse, dans laquelle les repères sont brouillés, avec des fondamentalistes qui dévoient une religion et vont jusqu’à devenir des criminels de masse, au nom d’un dieu qu’ils salissent.
Des égorgeurs de prêtre, des manieurs de kalachnikov devant les terrasses de café ou dans des salles de spectacles, des conducteurs de camion fou… Pour leur faire face, l’éducation, la culture, l’information deviennent des armes tout aussi nécessaires que les indispensables forces de sécurité.
A l’opposé, comme en écho trouble, la montée des simplismes populistes, des extrémismes, des idées nauséabondes dont on dirait qu’elles sont désormais mises en compétition, est une alliée inespérée pour ces forces fondamentalistes qui rêvent de nous voir nous diviser pour nous entre déchirer les uns et les autres.
Ne laissons pas notre République être recouverte, et les consciences avec elle, d’un brouillard qui s’épaissit comme dans les périodes les plus sombres de l’histoire.
Permettons à la presse dans sa diversité d’être l’un des remparts contre la bêtise, la violence aveugle et les obscurantismes.
Déjà, dans un opuscule, « sur la liberté de la presse », écrit quelques mois avant la Révolution française, Mirabeau disait : « Tuer un homme c’est détruire une créature raisonnable, mais étouffer un bon livre, c’est tuer la raison elle-même ».
A la presse en général et à la nôtre en particulier qui traite différemment l’actualité et les événements, qui instille de la connaissance, du savoir, du débat.
Une presse qui se veut un facteur fécond de la laïcité, de la confrontation et de la formation des opinions. Une presse pluraliste comme élément constitutif de la République française. Une presse de service public !
C’est Camille Desmoulins qui qualifia la presse de « sentinelle de la démocratie », alors que Victor Hugo dans un superbe discours à l’Assemblée nationale, le 9 juillet 1850, à propos de la démocratie et de la souveraineté du peuple, s’écria : « Elle se manifeste sous deux formes : d’une main elle écrit, c’est la liberté de la presse ; de l’autre elle vote, c’est le suffrage universel ».
Si les logiques économiques actuelles conduisent à ce que la valeur démocratique de l’information soit supplantée par sa valeur marchande, on peut penser que nous préparons de terribles déboires pour nos sociétés.
La logique marchande a déjà des conséquences sur les contenus de l’information.
La stratégie du « fait divers », de l’émotionnel, du sensationnel, du divertissement, à propos de tout, de ce que l’on appelle la « peopolisation », au détriment de l’analyse, du décryptage, de la discussion, alimente les simplismes, les fantasmes.
Tout cela fabrique du prêt-à-penser, forme la plus insidieuse de la déculturation et de son corollaire, la dépolitisation.
La question du pluralisme de l’information comme enjeu d’intérêt général, comme « bien commun de la société » nous est donc posée avec force.
Et qui d’autre que l’Etat peut en être le garant ? Personne.
S’il ne joue pas ce rôle, dans le nouveau paysage médiatique, les entreprises sous-capitalisées continueront de mourir de leur belle mort.
Encore convient-il qu’il adapte son intervention à la gravité de la situation dans laquelle se trouve la presse écrite.
Des dispositifs positifs nouveaux ont été votés par le Parlement dans le cadre du rapport Françaix et de la loi Bloche. Nous nous en servirons. Nous modifions les statuts de l’Humanité pour en faire une entreprise solidaire de presse.
De même, nous avons compris que la sortie du moratoire Etat/Presse/Poste ne conduirait pas à des augmentations insupportables des prix d’acheminement.
Par contre, il conviendrait de ne pas augmenter les tarifs postaux des « suppléments » qui constituent pour le lecteur une valeur ajoutée appréciable.
Nous ne voudrions pas non plus que le nouveau dispositif des blisters augmente nos coûts.
Nous prenons également acte, Madame la ministre, avec satisfaction des avancées positives sur le mécénat de presse, de la création d’un « Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation » de deux millions d’euros ; de la revalorisation des aides attribuées par le Fonds stratégique pour le développement de la presse à destination des entreprises de presse déjà établies « pour mieux répondre aux exigences de modernisation et de développement ».
Et l’annonce venue, ces derniers jours, de la Commission européenne de la décision imminente de l’alignement des taux de TVA sur la presse en ligne au niveau de la presse papier est une bonne nouvelle.
Il faudra être plus audacieux.
C’est en ce sens que je réitère ma demande d’augmenter sensiblement le niveau de l’aide pour les journaux à faibles ressources publicitaires.
Des aides ou incitations nouvelles pour que le lecteur puisse accéder aux journaux, devraient être inventées.
L’aide au portage en est une.
Une aide fiscale aux abonnés des journaux d’information sociale et politique pourrait en est une autre.
Pourquoi ne pas imaginer des dispositifs nouveaux pour inciter ou faciliter la lecture des journaux par les jeunes ?
En ce sens, pourraient être financés des bouquets de presse dans les lycées et les universités et aider les éditeurs qui font un effort en direction des jeunes.
Donner le goût de la lecture de nos journaux le plus tôt dans la vie représente pour nous tous un investissement d’avenir que la puissance publique ne saurait ignorer.
De ce point de vue, félicitons une nouvelle fois le Clémi pour ses initiatives d’éducation aux médias dont « la semaine des médias et de la presse écrite ».
Evidemment de tels projets d’ampleur auraient un coût.
Mais va-t-on continuer à regarder béatement les grandes multinationales du numérique à base étrangère piller le travail des journalistes, des créateurs sans rien leur demander, même pas leur contributions à la fiscalité ?
Il convient donc de les mettre à contribution avec l’objectif de créer un fond d’aide à la presse et à la culture.
Le travail engagé pour modifier la directive européenne sur la propriété intellectuelle pour créer un droit voisin pour la presse, sur lequel travaille Laurence Franceschini, doit être soutenu.
Nous continuons de soutenir les efforts pour que Presstalis puissent retrouver ses équilibres financiers et qu’on revienne à une seule messagerie coopérative.
La poursuite de la baisse de la vente au numéro a des incidences négatives sur l’ensemble de la filière de distribution dont il faut assurer la pérennité. Ce qui passe par le maintien d’un réseau de diffuseurs efficaces.
Les journaux deviennent inaccessibles si les points de vente, les kiosques, les maisons de la presse sont en proie à des difficultés qui deviennent insurmontables jusqu’à les faire disparaitre.
Des actions doivent être soutenues en lien avec les municipalités pour défendre et faire vivre des lieux nombreux de vente de journaux en considérant cette existence comme des espaces utiles rendant un service public, de lien social et culturel dans les quartiers et les villages.
La même attention doit être portée à la révolution numérique.
Elle impose d’être audacieux et de lancer le chantier d’une grande loi garantissant le droit au savoir des citoyens dans les conditions d’aujourd’hui.
Une telle loi devrait, selon moi, s’appuyer sur deux aspects essentiels : d’une part refonder le droit à la presse pour prendre en compte cette révolution technologique ; d’autre part, offrir aux citoyens les formidables possibilités d’avancée démocratique que permet le numérique.
De ce point de vue, les travaux de la « Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique » à l’Assemblée Nationale, conclus en octobre 2015, me semblent d’une grande utilité.
Y est énoncée l’idée, je cite : « D’un nouveau écosystème démocratique nécessaire afin d’éviter que la révolution numérique ne soit pas soumise à la loi du plus fort et du plus bruyant, du plus sauvage et du plus violent, du plus marchand ou du plus autoritaire. Afin en somme qu’elle favorise une croissance de l’idéal démocratique».
Voilà un beau projet totalement en phase avec la déclaration universelle des droits de l’Homme. Il y a de ce côté de grands enjeux pour faire vivre le pluralisme dans des conditions nouvelles.
Mais développer le numérique coûte très cher, sans grand retour sur investissement pour l’instant. A l’Humanité, nous nous y sommes attelés, bien sûr avec des limites.
Et à l’occasion de cette fête, nous lançons le premier réseau social entièrement dédié aux mobilisations sociales, solidaires, culturelles, citoyennes et de promotion de l’économie sociale et solidaire.
Il s’appelle « Cerises » pour évoquer le Temps des Cerises, celui des espoirs partagés et des jours meilleurs.
Il se veut au service de la démocratie, à partir de nos valeurs de partage, de l’humain, de l’égalité, de la fraternité.
En fin d’année, nous disposerons d’une nouvelle application mobile.
Dans quelques mois, nous lancerons un système nouveau de conquête d’abonnements numériques en lien avec nos contenus.
Vous le voyez, malgré nos difficultés, nous nous battons pour consolider notre économie et pour nous développer.
Nous considérons que c’est notre devoir à l’égard de la démocratie, à l’égard de la République.
Et nous savons que chacun d’entre vous, à la place qu’il occupe et dans les conditions qui sont les siennes, rejoint, par beaucoup d’aspects, nos préoccupations.
Merci de votre attention.
1 commentaire
Bonjour.
En effet.
«« Mais va-t-on continuer à regarder béatement les grandes multinationales du numérique à base étrangère piller le travail des journalistes, des créateurs sans rien leur demander, même pas leur contributions à la fiscalité ?
Il convient donc de les mettre à contribution avec l’objectif de créer un fond d’aide à la presse et à la culture.
Le travail engagé pour modifier la directive européenne sur la propriété intellectuelle pour créer un droit voisin pour la presse, sur lequel travaille Laurence Franceschini, doit être soutenu. »»
«« Nous continuons de soutenir les efforts pour que Presstalis puissent retrouver ses équilibres financiers et qu’on revienne à une seule messagerie coopérative. »»
Oui, en effet.