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Obsèques de Claude Cabanes
Hommage de Patrick le Hyaric
Le 02 septembre 2015
Chère Marylène,
Cher Philippe, chers Cécile et Louis,
Monsieur le conseiller du Président de la République,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus,
Chers confrères, chères consœurs,
Cher(e)s ami(e)s, cher(e)s camarades,
Mesdames, Messieurs,
Mercredi dernier, une onde d’émotion et de chagrin nous envahit, avec toute la communauté des lectrices et lecteurs de l’Humanité, des amis de l’Humanité et, au-delà, du monde de la presse, des responsables de l’Etat et du pays, dont le Président de la République, M. François Hollande et la ministre de la culture et de la communication, Mme Fleur Pellerin.
La grande voix reconnaissable entre toutes de Claude Cabanes s’était tue.
Il venait de perdre son stoïque et courageux combat contre la maladie.
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Ce fut pour toutes les équipes de l’Humanité une nouvelle accablante. Difficile de croire que nous perdions tout d’un coup, ce visage si familier qui, durant plus de quarante ans, aura illuminé de son panache, de son style et de sa verve, la rédaction du journal.
Celui, qui selon les mots du directeur de la rédaction de l’Humanité, Patrick Apel-Muller, portait en lui : « une noblesse de plume pour servir l’espérance ».
Mais nous perdions bien plus que cela : un frère, un camarade.
Un homme de la trempe des grands, un militant communiste, un humaniste radical qui vivait dans sa chair les injustices d’où qu’elles viennent comme si elles lui étaient toujours adressées, un esprit aiguisé qui se jouait avec délice de ses nombreux et souvent admiratifs contradicteurs.
Il était, pour nombre de nos lecteurs et de militants, une fierté, une boussole, un repère.
Sa plume incisive dans les éditoriaux de son journal, son verbe tranchant sur les ondes et les écrans, les emplissaient de fierté, voire d’un orgueil bien placé contre les certitudes énoncées péremptoirement et la fatalité d’un monde injuste.
Un mot, une phrase ne s’entendait pas de la même façon dès lors qu’ils étaient prononcés par lui.
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Les mots, il les aimait infiniment.
Ces mots dont on sentait qu’il les avait toujours choisis pour devenir des « mots action ».
« Les mots ont un pouvoir d’action sur le monde. Ils le transforment. Ce sont les mots de la Bible, de la déclaration des droits de l’Homme, du manifeste communiste, qui ont soulevé des montagnes », disait-il.
Claude savait quel était le rôle d’un éditorialiste à l’Humanité, lui qui succéda dans ses fonctions à la plume fine et tranchante de René Andrieu : être le porte-voix des humbles, l’éclaireur d’un monde de labeur et d’espérances.
Lorsque Claude arriva à l’Humanité, il charriait déjà l’histoire d’un siècle bien entamé, lesté du fracas des armes et du tumulte des idées.
Ce siècle, il l’avait dans la peau.
Comment aurait-il pu en être autrement pour un Gascon né au printemps 1936, au moment même où, partout en France, le peuple des champs, des mines et des usines se rassemblait pour réclamer le pain, la paix et la liberté, contre la menace fasciste ?
Comment aurait-il pu en être autrement pour le fils d’un grand résistant, colonel des Franc-tireur et Partisans, pour l’enfant confronté si jeune au souvenir de l’horreur nazie et de la lâcheté vichyste ?
Face à l’absurde des guerres coloniales, et après avoir essuyé quelques jours de prison en Algérie pour avoir désobéi, Claude se décida communiste.
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Un engagement dont il ne se départira jamais, acceptant des responsabilités au sein de son parti jusqu’à devenir membre de son comité central en 1982, alors qu’une page nouvelle de son histoire allait s’ouvrir dans le bruit sourd des portes claquées par les ministres communistes du premier gouvernement de la gauche.
Sans cesse, Claude aura souhaité le meilleur pour son Parti, qu’il évolue, qu’il rencontre toujours plus la société comme le monde des arts et des lettres. Ce monde dans lequel il voguait avec l’aisance de l’intellectuel qu’il était, avec toujours à la boutonnière son identité communiste, comme une distinction dirigée vers ceux qui s’imaginent pouvoir penser sans le peuple ou contre lui.
Il s’accommodait mal de la médiocrité, du statu quo, des certitudes.
Homme de mouvement, il entreprit, sous l’impulsion de Roland Leroy, bien des révolutions dans son journal. Roland Leroy qui s’associe à notre réunion et à notre hommage, me priant de l’excuser. Roland vient de subir lundi une opération, de laquelle il se remet.
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C’est l’époque où ensemble ils transforment l’Humanité qui, d’organe central du Parti communiste français, devint journal communiste.
Il prenait toujours le temps d’expliquer à ses lecteurs dans de longs articles les raisons de ces évolutions, nécessaires à ses yeux pour mieux renouer le fil avec Jaurès, Paul Vaillant-Couturier, Pierre Courtade ou Gabriel Péri.
Déjà en 1985, fraîchement nommé rédacteur en chef il participe de la création d’une nouvelle formule tabloïd du journal qui fit date. En 1997, il écrivit : « On lit et on lira moins l’Humanité par réflexe, par devoir, par fidélité. Ce sera l’intérêt, la radicalité, la curiosité, la nouveauté, l’engagement, le besoin, le plaisir qui l’emporteront dans ces espaces ouverts ». Ainsi se renforcèrent les pages débats et idées qu’avait créées Roland Leroy.
Il gardait ce souci permanent d’ouvrir fenêtres et portes pour qu’entre dans la rédaction l’air frais de la nouveauté et de la jeunesse.
Il souhaitait que son journal soit celui de « l’énergie citoyenne ». « Un journal dans lequel vivent les mouvements qui traversent la société et qui la font bouger ».
Un journal qu’il définissait comme étant du « différé, de la lenteur, du silence, du temps. En lisant le journal le citoyen fait le détour par une culture, par un savoir, par une espérance, par des valeurs, ce qui n’exclut pas le cri ».
Claude fut aussi, sous la direction de Pierre Zarka, une des chevilles ouvrières de la création de la Société des Amis de l’Humanité, toujours en 1997. Michel Vovelle, Edmonde Charles-Roux, Jacques Derrida, Régis Debray, Charles Silvestre, Bernard Thibault, Jean Ferrat et tant d’autres avec lesquels Claude aura noué des relations d’estime et d’amitié, s’engagèrent dans l’aventure pour que l’Humanité puisse continuer à vivre.
Quelle responsabilité, quand on y repense, que d’endosser le rôle de rédacteur en chef de l’Humanité dans cette période de doutes et de bouleversements !
Il en fallait du courage pour affronter la morgue des partisans de la fin de l’Histoire, pour ne rien lâcher de l’idéal puissant qui nous habitait ; pour opposer le panache aux esprits chagrins et maintenir avec flamboyance la flamme de la générosité et de la fraternité.
Mais Claude aura été à bonne école, entouré de René Andrieu, d’André Wurmser, de Madeleine Riffaud, de Roland Leroy, de toutes ces plumes, de cette génération d’érudits rouges qui ont autant appris de la vie dans les livres que dans le réel âpre de la guerre, des usines et du combat politique.
Lorsqu’il entra à l’Humanité en 1971, c’est à la rubrique culture qu’il fit ses armes avant d’en devenir le chef.
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Son talent parla pour lui : on lui proposa vite de devenir rédacteur en chef adjoint de l’Humanité-Dimanche et, enfin, directeur de la rédaction du quotidien, fonction à laquelle lui succédèrent Pierre Laurent puis aujourd’hui Patrick Apel-Muller.
Sa formation intellectuelle, il la fit entre Aragon bien sûr avec lequel il entretenait un rapport de fascination et qu’il disait lire « comme un voleur », Lautréamont, Rimbaud, Roger Vailland et tant d’autres écrivains de la révolte.
Puis ce furent les « classiques » qu’il dévorait, puis citait toujours de manière opportune dans le droit fil de sa plume et de sa pensée.
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Il en avait tiré cet appétit insatiable de l’écriture jusqu’à pouvoir réaliser son rêve de prendre le temps d’écrire lui-même, deux beaux romans, dans ce style mordant et irrévérencieux, augmenté de ce sens particulier de la formule. Il y avait pris grand plaisir, comme il le raconta au Monde des livres. « J’ai navigué sur le fleuve de l’écriture, à la merci des courants et des remous, avec un bonheur que ne m’accorde pas toujours la rédaction d’un éditorial ».
Il pratiquait le débat d’idées comme on pratique la corrida -une de ses nombreuses passions- avec un art consommé de l’esquive, comme des « passes de cape » avant de planter ses banderilles, souvent assassines.
Il avait assez d’humour et d’autodérision pour ne jamais envenimer les débats.
Il avait au contraire cette capacité rare d’en tirer des amitiés solides qui débordaient le cadre de ses idées.
« Elégance » nous dit-on lorsque la mémoire de Claude fut évoquée ces jours derniers. Elégance de style et de plume, élégance de l’homme enfin qui séduit autant par sa voix rauque et son accent ciselé du Gers que par sa fine allure de torero aux traits saillants.
Claude aura été un homme de goût : ce goût des bonnes et belles choses dont il souhaitait qu’elles puissent être partagées par le plus grand nombre.
C’est encore lui, avec Roland Leroy et accompagné de son grand ami, Michel Boué, qui permit en 1989, à Yves Saint-Laurent de partager l’art délicat de la haute couture avec le peuple de la Fête de l’Humanité, sur sa grande scène.
Ce fut pour des milliers de gens, de militants plus qu’une découverte : une fierté !
Il s’amusait à être le contraire de la caricature malveillante, en vogue à l’époque dans certains milieux, du militant communiste à l’esprit de caserne.
Mais il n’avait pas à se forcer.
De nature, Claude était joueur, séducteur, porté sur les plaisirs offerts par l’existence : le contraire d’un dévot, lui qui refusa toujours d’abjurer son engagement communiste.
« Et comme il est facile après coup de conclure
Contre la main brulée en voyant sa brulure
On sourira de nous pour notre dévouement »
Aurait-il pu dire avec Aragon contre les redresseurs de torts qui crient au « stalinien » pour juger définitivement la vie d’un homme.
Le courage, c’est d’assumer ses errements sans rien flétrir de l’idéal.
Et ce courage peu l’eurent. Claude, lui, l’incarnait.
Il incarnait si bien ce communisme français qu’il revint vite des chimères d’un socialisme d’Etat, de cet « imaginaire disparu », en restant solidement accroché à l’idéal.
Fidèle à son parti, à ses militants, il le fut incontestablement : « Le monde tel qu’il va a besoin des idées communistes, de même que la société française » se plaisait-il à dire.
Non qu’il conçut les idées communistes au sens étroit.
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En fin connaisseur de l’histoire et du mouvement des idées, il savait qu’il appartenait à cette vaste et grande tradition, cette histoire si singulière du mouvement ouvrier et progressiste français, aujourd’hui piétinée par le prêt-à-penser, étouffé par les orgues du néolibéralisme.
Il se sentait l’héritier, avec bien d’autres, de cette tradition qui, de Rousseau à la Révolution française, des communards aux maquisards, du Conseil National de la Résistance au théâtre national populaire, de Jaurès aux canuts, de Babeuf au Front populaire, a porté les espérances populaires hors du monde abstrait des idées pour leur donner corps et chair dans la rudesse du combat politique et l‘âpreté du quotidien.
Il parlait, dans une interview donnée à l’Humanité, de cette « haine d’hiver » décrite par Victor Hugo dans « Les Contemplations » : une douce haine « de ce que je peux voir de cette abjection molle qui désormais gouverne notre société » écrivait-il.
Une « haine d’hiver », « d’après décomposition de notre grande espérance révolutionnaire, notre printemps ». Cette « haine d’hiver » que les tueries de Charlie Hebdo et la mort atroce de son ami George Wolinski n’avait pas dissipée, bien au contraire. Mais rajoutait-il, « si la lettre du communisme est morte, l’esprit du communisme continue de hanter le monde ».
Cette belle et puissante tradition révolutionnaire, il souhaitait qu’elle soit plus et mieux mise au service du combat contre l’extrême-droite, contre ses idées brunes qui – est-ce un hasard – resurgissent au moment où s’affaisse l’idéal progressiste ; à ce moment précis où, disait-il : « les cléricatures ont repris la main du nouveau millénaire à l’ombre de la financiature ».
Claude pensait qu’il était du rôle de son journal d’être à l’avant-garde de cette bataille idéologique majeure. Qu’il en allait, non seulement de notre honneur, mais surtout du salut de toute la société française pour laquelle, au fond, il menait l’essentiel de ses combats.
Nous sommes aujourd’hui tous un peu tributaires de Claude, lui qui officia aux moments difficiles.
Il entretint la flamme qu’il nous faudra bien raviver, encore et toujours, celle de l’espérance, celle d’un communisme français nourri de toutes les expériences, enrichi du meilleur de notre peuple, pétri de justice, de République, d’égalité, de liberté, de fraternité et d’internationalisme.
Il faudra poursuivre sa belle œuvre pour que l’Humanité continue d’être le journal selon sa formule « des Hommes qui s’intéressent aux hommes ».
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Un journal exigeant, riche, subversif, refusant la vulgarité dont il avait décelé dans un livre à quel point elle avance masquée, tout en se vautrant sur de nombreux étals médiatiques, doublée de l’inconsistance et du mauvais goût, de la corruption par l’argent. Il refusait tant cette obscénité qu’il avait lancé l’idée de construire un « Front de la dignité française ».
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Chère Marylène, cher Philippe, chers Cécile et Louis,
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En ces terribles circonstances, au nom de toute la communauté de l’Humanité, celles et ceux qui le font, celles et ceux qui le lisent ou en sont des amis sincères, nous vous adressons nos condoléances les plus sincères et vous assurons de toutes notre affection.
Sa pensée et la flamboyance de ses combats, à coup sûr nous manqueront.
Elles manqueront dans dix jours, pendant la Fête de l’Humanité, où nous honoreront sa mémoire en donnant au carrefour principal de la Fête, lieu de dialogue et de débats, le nom de Claude Cabanes.
Claude, dans un des nombreux articles qu’il a consacré à Aragon, terminait par ces mots : « Le dernier jour de ma vie venu, je lirai quelques lignes de Louis Aragon ».
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Permets-nous donc aujourd’hui, Claude, de citer une fois encore le poète :
« Qu’importe si la nuit à la fin se déchire
Et si l’aube en surgit qui la verra blanchir
Au plus noir du malheur j’entends le coq chanter
Je porte la victoire au cœur de mon désastre
Auriez-vous crevé les yeux de tous les astres
Je porte le soleil dans mon obscurité ».
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Je vous remercie de votre attention.
1 commentaire
Elsa Triolet et Louis Aragon car on ne peut pas parler de Louis sans parler d’Elsa au nom de la Lumière vénérée par Jean Jaurès, ont un trophée : La Poésie.
Si les communistes du vingt et unième siècle ne dépassent pas le bas niveau franco-allemand de la politique de la culture voire ne s’inspirent pas de pays de l’Union Européenne plus en avance au regard de l’Associatif Poésie que la France et l’Allemagne, ils ne deviendront pas le premier parti de France, si au contraire ils proposent la politique pour la culture nécessaire et indispensable ; alors ils réussiront.