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Discours d’hommage à Alfred Gerson
Patrick le Hyaric
Directeur de L’Humanité
Député européen
21 novembre 2018
Chère Michèle (sa femme)
Chers Marielle et Laurent (ses enfants)
Cher Corentin, (son petit-fils)
Chers camarades,
Mesdames, Messieurs,
Nous ne verrons plus cette silhouette avenante et décidée parcourir les couloirs et les bureaux de l’Humanité.
Nous n’aurons plus de bon matin le compte rendu de la dernière réunion du syndicat de la presse ou des coopératives accompagné d’une longue note manuscrite fourmillant de préconisations sur des décisions à prendre dans les instances professionnelles ou pour défendre le pluralisme de la presse. Oui, le nom d’Alfred se confondait avec ces mots : Pluralisme de la presse.
L’annonce de sa disparition, fut un rude choc. Un choc retentissant dans tous les locaux et pour toutes les équipes de l’Humanité.
Un choc, à la mesure de l’affection que nous lui portions et son « gout infini de l’autre » pour la fertilisation des rapports humains, la fraternité.
Nous étions tellement devenus familiers de sa silhouette, de sa voix, de sa gentillesse, qu’il nous semblait inconcevable de souffrir son absence. Seule la maladie a réussi à le rattraper, dans sa 91ème année. Comment aurait-il pu en être autrement, tant ce roc nous paraissait immortel et invincible ?
La vie d’Alfred est faite d’épreuves et de combats qui forgent la stature des grands hommes. Je ne parle pas de la stature de ces hommes dont on construit la légende dans les livres d’Histoire, mais de celle de ces humbles militants dévoués à défendre l’idéal d’humanité, contre vents et marées, dans l’ombre et face l’opprobre des puissants, avec abnégation et sens du sacrifice, au poste que leur engagement leur a assigné, jusqu’à en subir l’empreinte dans leur chair.
Frédo Gerson, comme l’appelaient ses amis et camarades, était né Alfred Sepselevicius. Ce nom – «parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles » disait Aragon de nos frères étrangers – était celui de ses parents, juifs lithuaniens émigrés en France, et dont l’Histoire nous enseigne les terribles épreuves. On imagine sans peine la mémoire transmise des pogroms menés par les armées tsaristes et leurs supplétifs cosaques, les brimades, la pauvreté de toute une communauté sur cette terre lituanienne qui a vu naitre les premiers cercles socialistes juifs, transformés en Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie plus connue sous le nom de Bund.
Cette mémoire a sûrement, elle aussi, prit le chemin de l’exil vers Paris, capitale des brimés et opprimés du monde à l’aube du 20ème siècle. A travers elle s’est forgée l’intolérance à l’injustice, à l’exclusion, à l’inhumanité.
On ne peut s’empêcher, quand l’on songe à Frédo, de penser à toute cette diaspora juive de Paris qui a fourni tant de militants dévoués à la grande cause communiste, et qui se sont hissés à hauteur des défis que l’Histoire leur a tragiquement réservés.
Ouvrier coiffeur dans l’atelier de son père, Frédo échappe avec sa famille aux rafles ordonnées par le gouvernement collaborationniste de Vichy. Dans la terreur antisémite et l’hiver de la guerre se forge ses convictions politiques : à la Libération, Alfred adhère à L’Union des jeunesses républicaines de France puis au Parti communiste et à la CGT.
A cette époque de guerre froide et de promesse d’émancipation, l’engagement était total et se bâtissait dans la discipline militante et intellectuelle.
Avant de se voir proposer des responsabilités dans la section dans ce 18ème arrondissement qu’il ne quittera plus vraiment, Alfred se forma dans les écoles du Parti communiste.
C’est aussi l’époque où l’Etat l’appelle à servir sous les drapeaux. Cette première incursion dans l’armée en connaitra d’autres, comme un destin écrit à l’encre de la guerre.
A cette époque, la France libérée de la barbarie nazie n’a toujours pas renoncé à maintenir sous son talon de fer un empire colonial et des peuples entrés en ébullition pour leur liberté. Le Parti communiste et ses militants s’engagent dans la lutte anticoloniale.
Au début des années 1950, Alfred accède à la direction de l’Union des Jeunesses Républicaines de France dans le 18ème arrondissement et oriente son activité vers les soldats rassemblés dans la caserne de Clignancourt, nourrissant les conscrits d’une propagande communiste, comme l’on disait alors.
Son audace et les éloges dont l’auréolaient ses camarades permirent à Alfred de travailler aux côtés de Raymond Guyot, Jacques Duclos, Louis Baillot, Paul Laurent, ou Jean Ellenstein tant de dirigeants communistes menacés ou condamnés à de lourdes peines de prison pour leur engagement anticolonial.
Il prend alors en charge, aux côtés de François Hilsum, la diffusion dans la région parisienne et les départements alentours du journal clandestin de quatre pages « Soldat de France » édité par le Parti communiste pour les jeunes du contingent. Cette première rencontre avec la presse communiste connaitra d’heureux prolongements et dessinera l’engagement d’une vie. « La seule possibilité dont dispose le PCF pour développer un mouvement de masse dans l’armée est l’activité clandestine, ce qui n’a rien à voir avec une entreprise de subversion.
Elle est dans les conditions de l’époque partie intégrante des luttes menées par le PCF contre les guerres coloniales et étroitement liées à celles du mouvement social », confiait-il récemment à l’Humanité.
Echappant aux griffes de la police, il accepte de se rendre en Algérie, ce cratère du volcan colonial, pour y poursuivre son travail clandestin en direction des jeunes appelés.
Arrivé à Alger en 1955, Alfred Gerson reprend le nom familial comme une doublure et s’engage dans la diffusion de tracts et de la Voix du Soldat, journal clandestin du Parti Communiste algérien qu’il avait pour tâche de diffuser dans les casernes et autres lieux de passage.
Avec Lucien Hanoun et André Moine, dirigeants du Parti Communiste Algérien, Alfred participe à des réunions clandestines triangulaires organisées sur le modèle de la Résistance. Les services de renseignements du tortionnaire Massu cherchent par tous les moyens à stopper la diffusion de la Voix du soldat et à capturer ses rédacteurs et diffuseurs.
Après trois années de clandestinité, Frédo est finalement arrêté et conduit dans la villa Susini de sinistre mémoire, antre de la torture pratiquée à outrance et quartier général du 1er régiment factieux des parachutistes. « La torture, on s’en remet » disait-il avec une humilité désarmante, confessant avoir subi « la gégène et la baignoire ».
Sa couverture et l’usage de son patronyme de naissance lui permirent d’éviter le pire. Incapable de cerner son rôle exact, les autorités le condamnèrent à 18 mois de prison après plus d’un an d’enfermement. Il en fit 19 avant d’être expulsé vers Paris où il accéda à de nouvelles et importantes responsabilités militantes au sein du Comité fédéral de Paris. Frédo ce militant de la justice, ce militant de la libération des peuples est emblématique de cette belle phrase de Pierre Boulez « l’histoire est ce qu’on y fait, l’histoire est une chose qu’on agit et non pas qu’on subit »
Peut-on découper en tranches distinctes des parcours aussi cohérents que celui d’Alfred ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il qu’Alfred entame alors un nouveau moment de son existence, poursuivant sa ferveur à changer les bases de ce monde injuste.
Renouant avec la formation militante, il s’engage dans l’action pour la paix et au sein du secrétariat de la fédération de Paris. Il y coordonne les activités de propagande visant à enraciner et élargir l’activité communiste dans la capitale.
C’est alors que se nouent avec son journal, notre journal, l’Humanité, d’indéfectibles liens de cœur et de raison, passionnels et professionnels.
En juin 1976, Alfred devient administrateur adjoint de l’Humanité, perpétuant en cela le long compagnonnage qu’il entretenait avec l’imprimé et les problématiques liées à la presse.
Aux côtés de Roland Leroy il contribue à insérer nos journaux dans le débat pluraliste national et à faire vivre une voix communiste quotidienne et hebdomadaire.
A la direction des ventes comme dans les instances syndicales nationales de la presse, Alfred apportait son regard avisé, son expérience et sa combativité.
Son professionnalisme reconnu par ses pairs le conduisit à exercer la présidence du Syndicat Professionnel de la Presse Magazine d’Opinion, en 1994. Il en resta jusqu’à 2009, le vice-président.
Il siégea à la Commission paritaire des publications et agences de presse et, parallèlement, à l’observatoire des tarifs postaux de transport de presse. Membre du Conseil supérieur des messageries de presse, gérant de la coopérative des quotidiens de Paris et vice-président de la commission des affaires postales de la Fédération nationale de la presse française, il n’économisa ni son temps, ni son énergie pour porter la voix et les intérêts du pluralisme et de l’Humanité dans toutes les instances représentatives.
En 2001, peu après mon arrivée à la direction du groupe, alors qu’il nous fallait reconfigurer L’Humanité pour le sortir d’une grave crise il présida la « Société Humanité Investissement Pluralisme » afin de reconstituer les capitaux propre du journal. A ce titre il siégeait au conseil de surveillance de L’Humanité tout en continuant à représenter le président du directoire dans de multiples instances professionnelles.
Ces responsabilités, quand elles sont égrainées comme je viens de la faire, sont impressionnantes par leur nombre et leur importance.
Elles donnent à voir la dimension du personnage, d’un homme communiste, et témoignent d’une stature rare d’homme de presse.
Écouté de ses pairs, il savait lui aussi écouter, chercher le compromis favorable à tous, défendant pied à pied l’esprit des ordonnances pour la presse issues du Conseil national de la Résistance dont le statut coopératif de la distribution, le partage des coûts, la solidarité dans la profession. Toujours par-delà des contradictions il était attentif au sort et aux demandes des ouvriers du livre qu’il savait mettre en lien avec les syndicats professionnels quand il le fallait.
Oui, Alfred avait acquis, voire conquis, le respect et l’écoute de nos confrères avec nombre desquels il entretenait des liens d’estime, comme nous pouvions le constater lors des dîners des professionnels de la presse organisés avant chaque fête de l’Humanité.
Ces dernières années, il avait obtenu ses droits biens mérités à la retraite mais au vrai il n’a cessé de perpétuer l’engagement d’une existence aussi trépidante et dévouée, sa belle œuvre humaine au service des autres. Il continuait à être là parmi nous, avec nous dans l’action au Conseil de surveillance de l’Humanité jusqu’au 16 mai de l’année 2018. Et c’est ainsi que nous continuions à le croiser de bon matin, avec sa pile de journaux sous le bras, ne loupant rien de l’actualité et nourrissant encore et toujours son infatigable désir de liberté, de justice et d’égalité. Curieux de tout, toujours au fait de l’actualité politique, il aimait partager ses impressions, ses idées, ses propositions et ses souhaits d’un Parti communiste pleinement ancré dans la société telle qu’elle est, pour aider à la transformer, pour qu’advienne une visée d’émancipation humaine.
Alfred Gerson ; ses fidélités, ses engagements, son comportement resteront pour nous un exemple. Son itinéraire, ses combats nous obligent.
Chère Michelle, Chère Marielle, Cher Laurent, cher Corentin
Vous perdez un mari, un père, un grand-père, nous perdons un ami très cher, un camarade, un compagnon de tous les instants au moment où redouble le difficile combat pour que vive l’Humanité.
Frédo, tu as bien servi ton pays, tes idées, ton journal et le pluralisme. Au fond la démocratie.
Tu resteras dans nos esprits et nos cœurs, nous voulons être dignes de toi.
Je vous remercie de votre attention.
2 commentaires
Pour que hier ne se répète pas demain.
Mais aujourd’hui, les cibles du fascisme de droit sont les humanitaires, ceux qui dénoncent les injustices.
N’oublions pas M. Assange.
Par quels moyens, pour PLUS JAMAIS ?
Avazz, plus de 40 millions
Quelles personnalités initierons une véritable mar…………
Bonjour.
«« défendant pied à pied l’esprit des ordonnances pour la presse issues du Conseil national de la Résistance dont le statut coopératif de la distribution, le partage des coûts, la solidarité dans la profession. Toujours par-delà des contradictions »»
CNR, statut coopératif.
L’Humanité, en tant qu’entreprise symbole de l’information, ne devrait-elle pas faire le pas vers la coopérative autogérée ?
Et la démocratisation (coopérative) de la presse ne devrait-elle pas être un des themes centraux pour les élections a venir.
Ne dit-on pas que la presse, les médiats sont le 4e pouvoir ?
En ce début de siècle, la preuve n’en est-elle pas fourni ?
N’est-ce pas la une réflexion a faire ?