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Le ton était grave et solennel. Au diapason d’une situation sanitaire inédite qui menace de se transformer en catastrophe. Le président n’a lésiné sur aucun argument pour incarner une unité nationale qu’il aura tant abîmé durant ses trois années de mandat. Celle-ci est pourtant souhaitable, indispensable même pour affronter l’épidémie et la juguler par des actions coordonnées. Mais il ne faudrait pas confondre cette unité avec une « union sacrée » qui servirait à avaliser un bilan dévastateur et la poursuite des orientations en cours.
Les mesures annoncées pour contenir la propagation du virus sont d’une ampleur inédite et, de l’avis de très nombreux médecins et scientifiques, justifiées. La fermeture des établissements scolaires va astreindre plus de 12 millions d’enfants à domicile. Sans compter les enfants accueillis dans des structures collectives dédiés à la petite enfance que les grands parents, que l’on sait plus vulnérables au virus, ne pourront prendre en charge. Et il n’est pas impossible, dans les jours et semaines qui viennent, qu’une situation à l’italienne nous soit imposée, avec confinement maximal et arrêt de l’activité, des transports et des commerces. Un chamboulement immense de la vie quotidienne se profile donc, avec des conséquences en cascade sur la vie économique, familiale, culturelle, sociale.
Le virus est un phénomène global qui n’épargne aucun segment du monde social. Cette situation d’apesanteur va inévitablement redéfinir bon nombre d’idées reçues et de comportements. Les discussions vont déjà bon train à tous les étages de la société pour s’organiser, s’entre-aider, sans qu’une parole présidentielle ne nous y engage. L’astreinte à domicile et la rupture instituée dans la vie quotidienne vont inciter les citoyens à vivre différemment, à discuter et chercher à comprendre les tenants et aboutissants d’un moment extraordinaire, à saisir les ressorts d’une débâcle économique terrifiante pour tant de travailleurs. C’est à l’instinct de survie et d’entraide, qui n’est autre qu’une forme d’intelligence collective (non, l’Homme n’est pas qu’un loup pour l’Homme !), que s’en remettent pour l’heure, lucidement et sereinement, des millions d’êtres humains, en France et dans le monde.
Nous avons pour notre part des atouts considérables pour faire face au phénomène et faire vivre la solidarité. A commencer par une structure sociale assise sur des services publics, un système de Sécurité sociale performant et plus largement, un secteur public que M. Macron s’évertue, avec ses prédécesseurs, à vouloir détruire pour satisfaire aux oukases du Dieu Marché.
Il est cocasse que le Président lance, des trémolos dans la voix, des hommages à notre service public de la santé quand son gouvernement s’est évertué à détruire l’hôpital public et la médecine ambulatoire, transcrivant dans son fonctionnement les pires tares de management néolibéral. Ainsi en va-t-il de cette absurdité proférée par Mme Buzyn comme ligne directrice pour l’hôpital, du « bed managment » : horrible anglicisme digne de la « Start-up Nation » pour désigner un rationnement des lits d’hôpitaux reposant sur le principe absurde du « zéro lit libre » qui consiste à appliquer au secteur public de la santé les flux tendus à l’extrême des marchés de capitaux, de matières premières et de marchandises – le fameux zéro stock qui est lui aussi mis en accusation. Tout cela dans l’objectif d’une réduction de la dépense publique exigée par les institutions du capital et leurs relais politiques. La crainte d’un débordement des structures d’accueil épuisées par les saignées successives dans l’hôpital public a donc poussé le gouvernement à définir une stratégie pour lisser l’épidémie dans le temps. Il semble que celle-ci soit de nature à permettre aux professionnels de santé de faire valoir plus sereinement leur engagement indéfectible au service de malades.
Macron aurait-il soudainement découvert la vertu des services publics ? Ceux dont M. Sarkozy saluait avec la même vigueur le rôle d’amortisseur en 2009, en pleine tempête financière, pour mieux les saigner une fois la foudre passée ?
Nous aurons retenu et prenons à sa juste mesure les paroles prononcées hier soir. « Quoi qu’il en coûte » a insisté le Président à trois reprises dans son allocution pour définir les mesures à prendre, lui qui évoquait il n’y a pas si longtemps l’argent public en terme de « pognon de dingue », insistant sur le fait que la satisfaction des besoins humains ne pouvaient être « open bar ». Comment juger de l’authenticité de ces paroles si ce n’est pas par actes, rapides et forts, de nature à changer le système fou qui nous mène à de telles impasses ?
« Des décisions de rupture »
Le président a clôt son intervention sur des mots forts : « Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture. Je les assumerai ». Il s’agit soit d’un aveu, soit d’un nouveau bluff. En tous cas les forces démocratiques et progressistes doivent le prendre au mot. Santé, production, Europe : la rupture serait donc globale, à l’image de la crise à l’œuvre. Les partis de gauche, notamment le parti communiste, les syndicats n’ont pas manqué de propositions « de rupture » avec un système à la merci du moindre craquement d’allumette. Jusqu’ici dans l’indifférence si ce n’est le mépris du pouvoir, sans compter le bafouement du vote contre le traité austéritaire de Lisbonne en 2005. Seront-ils désormais entendus avec le sérieux et la sagesse que le moment réclame ?
Il faut tout d’abord prendre des mesures drastiques pour assurer la protection des travailleurs face à la tempête économique qui vient. D’autant que les travailleurs, contrairement à 2008, se trouvent dans un état d’insécurité accru du fait des mesures prises par M. Macron lui-même, au poste de Ministre de l’économie lors du précédent quinquennat et à la présidence de la République, de Loi travail aux ordonnances de destruction du code du travail. Rappelons que ces textes législatifs ont été imposés pour lier les salariés aux objectifs du capital mondialisé, réduisant à peau de chagrin les barrières qui les immunisaient des aléas du marché. Il en va de même d’une contre-réforme des retraites qui consiste à lier le niveau des pensions aux performances individuelles sur le marché de l’emploi et aux performances boursières sur les marchés de capitaux. La crise actuelle ne fait que renforcer l’exigence d’un retrait.
Dans l’immédiat le président doit surseoir à la mise à sac de l’assurance chômage, censée entrer en vigueur au 1er avril, dont l‘objectif est de contraindre les privés d’emploi à se plier aux injonctions du marché du travail. Cette insécurité totale institue un risque inconsidéré pour des centaines de milliers de salariés qui plongeront dans une précarité redoublée dès les prochaines semaines. Le gouvernement a su surseoir à la privatisation d’Aéroports de Paris devant la débâcle boursière, prouvant en creux la solidité de la propriété publique. Va-t-il surseoir à la réduction des droits des chômeurs devant l’avalanche économique ? Voilà un exemple qui permettra de juger de l’authenticité des ruptures annoncées.
Il faut ensuite débloquer les sommes nécessaires pour soutenir l’activité des petites et moyennes entreprises frappées de plein fouet par le ralentissement spectaculaire et soudain de l’économie. Les banques qui bénéficient d’une politique généreuse de la Banque centrale européenne doivent faciliter l’accès au crédit dans des conditions tout aussi avantageuses, y compris par des taux de crédit négatif ou du crédit bonifié. Quant au gouvernement, il a toute latitude pour réorienter son crédit d’impôt vers les structures les plus fragiles, à toutes les échelles de la vie économique, et produire des actes de relance budgétaire puissants. Ces mesures d’urgence doivent s’accompagner d’une « rupture » radicale dans l’organisation du crédit. Un secteur bancaire public doit impérativement voir le jour pour cesser ces courses au rendement financier qui motivent aujourd’hui l’action des plus grandes banques pour contrebalancer les effets des taux bas et négatifs peu rémunérateurs. Depuis la crise de 2008, l’économie mondiale chemine sur un fil ténu à la manière du funambule, et menace de tomber à la renverse à échéance régulière et rapprochées. Toutes les mesures soit disant volontaristes n’ont été que poudre aux yeux. Elles n’ont eu pour seul effet que d’accroître la dépendance de l’économie productive et le travail à la finance. Cela doit cesser ! Ce ne sont pas des mesurettes qui le permettront.
Ceci doit être le prélude à une toute autre organisation de la mondialisation qui ne repose plus sur des chaines de valeurs instituées par une division internationale du travail exacerbée sous les feux de la concurrence libre et quelque peu néocoloniale : les bras là-bas, les cerveaux ici… La Chine ne s’y trompe d’ailleurs pas qui, si elle sait profiter à son compte des bêtises proférées et mises en œuvre par nos capitalistes, promeut avec astuce une forme de mondialisation internationaliste reposant sur la coopération. Relocaliser la production, travailler à un redressement industriel et agricole partagé par zone géographique pour resserrer les chaines de valeur, tout en menant des projets de coopération internationaux, voilà qui devrait être une absolue priorité
L’Europe enfin – son épicentre du moins, la zone euro – peut éclater sous les coups de boutoir d’un ralentissement non maîtrisé de l’activité dans des pays comme l’Italie aujourd’hui, les autres demain. Le projet défini par les traités de Maastricht et de Lisbonne s’écroule chaque jour d’avantage devant l’égoïsme des nations institué par une concurrence érigée en dogme. La Banque centrale européenne ne joue plus qu’un rôle d’assureur en dernier ressort d’un système bancaire devenu fou. C’est un tout autre projet, reposant sur la souveraineté populaire et la coopération, qui frappe à la porte. Il est temps que les peuples s’en emparent avant qu’il ne s’écroule et avec lui l’ensemble d’un système économique interdépendant.
Le virus aura surtout mis une lumière crue sur un secteur de la santé en crise permanente, mis sous la coupe des politiques d’austérité. Non seulement il convient d’annuler les 30 milliards de dettes du secteur hospitalier, indûment contractées, mais aussi et surtout d’engager urgemment un plan de relance d’au minimum 4 milliards d’euros comme le réclame le Collectif inter-hôpitaux, juste retour du gel des crédits sur la dernière décennie.
Les témoignages abondent enfin des conséquences catastrophiques des crédits amputés à la recherche fondamentale ces dernières décennies, notamment au CNRS. Celui-ci s’était lancé au début des années 2000, après l’épidémie de SRAS, dans un programme de recherche sur les Coronavirus. Une fois l’épidémie passée, le programme fut arrêté et les équipes dirigées autoritairement vers d’autres sujets de recherches, faute de moyens leur disait-on.
Le pays de Pasteur s’enorgueillirait de mener en coopération avec d’autre pays, des programmes de recherche sur le temps long, financés à hauteur des besoins. On remarquera au passage que les montagnes de milliards engloutis par les GAFA au nom de la recherche, notamment en intelligence artificielle, n’ont pas permis à ces derniers de manifester quelque secours que ce soit dans la séquence. Ainsi n’a-t-on aucune modélisation sérieuse de l’épidémie par ces mastodontes qui se font pourtant un plaisir d‘avaler les données, particulièrement médicales, du monde capitaliste. C’est tout le système de la recherche et son financement qui est à revoir, autour d’un pôle public élargi et sanctifié.
Sans attendre tout doit être fait pour juguler et faire reculer cette crise sanitaire. Mais, au-delà et urgemment, si le président de La République entend réellement prendre des décisions de ruptures, le débat doit s’ouvrir. La parole des travailleurs, des acteurs et actrices de la santé doit être écoutée et non plus celle des ogres de la finance. Cette angoissante crise est le révélateur des impasses du libéralisme. L’heure est venue d’en sortir. Le temps presse. Et l’Histoire nous observe.