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La rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska, suivie des discussions à la Maison-Blanche avec Volodymyr Zelensky auxquelles ont accouru, essoufflés, des dirigeants européens, constituent une accélération de la roue entraînant les actuelles bascules d’un monde violemment secoué par les polycrises du capitalisme mondialisé.
Il est vrai qu’il est difficile de s’y retrouver dans le fatras et dans les fracas d’un monde en ébullition. Rien de plus normal au moment où des repères forgés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale s’affalent sous les tempêtes d’un système qui, par tous les moyens, cherche les sentiers de sa survie, y compris en élargissant ses sphères de domination.
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L’accumulation capitaliste, de plus en plus concentrée entre quelques mains, veut prospérer sur les nouvelles industries et sur les nouveaux services dans le numérique, sur la généralisation de l’utilisation des usages électriques, sur la pharmacie, sur le transport maritime, sur l’effroyable course à des armes de plus en plus sophistiquées. Pour cela, elle génère partout tensions et guerres, convoitises sur des territoires et sur les richesses du sol, du sous-sol, des océans ou de l’espace, et nos données personnelles susceptibles d’alimenter cette nouvelle industrie accaparée par quelques oligopoles mondiaux d’une redoutable puissance. C’est sur ce fond et sur celui de la crise de la domination de l’occidentalisme capitaliste et ses contradictions que se déroule la séquence que nous vivons depuis quelques jours.
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Disons-le d’emblée : les rencontres et les discussions exigeantes entre les dirigeants du monde sont préférables aux politiques de la force, aux guerres avec leurs insupportables cortèges de morts, de blessés et de destructions. Soyons nets : nous préférons nettement qu’enfin le mot « paix » circule dans les bureaux des chancelleries, à la place de la mobilisation des généraux et de leurs stratégies de guerre.
Que la diplomatie et le dialogue reprennent le dessus est positif. Cependant, elle devrait s’animer sous l’égide du droit, et de l’arbitrage, et non du commerce et de la capture de territoires de richesses et de nos façons de vivre et de penser avec le pillage des données capturées sur les réseaux qu’on dit « sociaux ». Elle devrait tout autant concerner le règlement de la guerre en Ukraine, que l’arrêt de l’entreprise génocidaire et de la guerre de conquête à Gaza, que les guerres au Soudan ou au Congo.
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Ajoutons tout de suite, que le président Trump en quête du prix Nobel de la paix ne fait rien gratuitement. Il s’est ainsi vanté d’avoir fait « cesser six ou sept guerres ». Voilà, une présentation partielle et partiale de ses actions qui camoufle la contrepartie de ses arbitrages en or : l’extorsion de matières premières dans chaque cas au profit du grand capital états-unien.
Il y a quelques semaines, il négociait son soutien militaire au gouvernement de Kiev en échange de l’accaparement de la quasi-totalité des ressources minières et énergétiques de l’Ukraine. Gaz, pétrole, terres rares et métaux critiques sont désormais aux mains du fonds financier BlackRock, qui y travaille depuis le début de la guerre en 2022, et de puissants groupes états-uniens comme JP Morgan. « Un deal à mille milliards de dollars », s’est vanté Trump. Fin juin, dans une transaction pour un cessez-le-feu entre l’Inde et le Pakistan, Trump obtient des concessions de ce dernier alors qu’il punit la première parce qu’elle continue d’acheter le pétrole russe. Sa médiation dans le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie se conclut par l’ouverture d’une zone de transit baptisée « Trump Route for International Peace and Prosperity » (TRIPP), qui va permettre aux compagnies minières et pétrolières états-uniennes de disposer d’un droit préférentiel d’accès aux ressources minières et pétrolières de cette région d’Asie centrale qui était pourtant, jusque-là, sous contrôle de la Russie.
Dans les charivaris de la semaine, qui vont de l’Alaska jusqu’au Bureau ovale, c’est la même méthode de prédateur qui est à l’œuvre, sous l’œil des dirigeants de l’Union européenne, soumis, venus s’installer au balcon pour faire croire qu’ils sont acteurs du triste marchandage qui se joue au détriment des travailleuses et des travailleurs de nos pays. On peut même dire que cela se fait au détriment de leur classe capitaliste.
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Ainsi, en quelques journées, Poutine, comme les dirigeants européens, a validé Trump comme maître du monde. Pour sa part, l’hôte du Kremlin, sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, s’est vu restituer une légitimité politique, en marchant côte à côte avec son homologue sur un tapis rouge déroulé sur une base militaire nord-américaine. Il en a besoin, tant son économie et son peuple sont en souffrance pour payer une guerre, qui a produit un million de morts et de blessés russes pour ne gagner, en trois ans, que 5 800 km2 de territoires. Et que de souffrances, de deuil et de blessés pour les familles ukrainiennes ou l’on compte selon les sources au moins un million de morts et de blessés! Pendant cette réunion sur les terres froides de l’Alaska, les foudroyants drones et missiles russes continuaient de tuer sur le sol ukrainien tandis qu’à quelques kilomètres d’Anchorage, l’exercice militaire nord-américain baptisé Arctic Edge 2025, conçu pour tester et démontrer la capacité des États-Unis à défendre le Nord contre toute menace, en particulier russe, battait son plein.
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Après avoir obéi à Trump, en créditant 800 milliards d’euros de dépenses d’armement, lors du dernier sommet de l’Otan, après la funeste collaboration de la présidente de la Commission européenne qui a accepté de faire un don de 600 milliards d’euros aux États-Unis ; après l’engagement d’acheter pour l’équivalent de 750 milliards d’euros d’énergie fossile, les dirigeants européens s’agitaient en tous sens, incapables d’influer sur le cours des choses. En guise de « garantie de sécurité pour L’Ukraine » Zélinski proposa à Trump d’acheter pour une valeur de 100 milliards d’armes américaines après l’avoir tant congratulé et flatté que le locataire de la Maison blanche a fini par être convaincu qu’il était bien le Maitre du monde. Les dirigeants européens en firent de même tout en préparant le chèque qui servirait à acheter ce matériel militaire. Tout le monde semble trouver ceci d’une affligeante banalité à l’heure où l’on demande aux peuples de se serrer la ceinture à double tour. Il s’agit en vérité d’un « racket- chantage pour la protection ». L’inféodation des dirigeants européens à la stratégie trumpienne les rend impuissants.
Ce doit être ici une source de préoccupations pour les travailleurs et les peuples européens, y compris les Ukrainiens et les Russes, réduits en fantassins de « l’économie de guerre », et pour tous les peuples de plus en plus soumis à la barbarie capitaliste des impérialismes et à la violence des guerres intra capitalistes qui s’amplifient.
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La rencontre en Alaska n’avait rien d’anodin. Les discours qui y ont été prononcés non plus.
L’Alaska est à la confluence d’un théâtre stratégique où se mêle enjeux géopolitiques nouveaux, défis climatiques, tensions militaires, convoitises sur les ressources en minerais rares pour les développements numériques et l’électrification de tous les usages.
En détruisant la couverture glacière, le réchauffement climatique ouvre aux prédateurs capitalistes de nouvelles routes maritimes et donne accès à des gisements sous-marins considérables en pétrole, en gaz et en métaux précieux, tandis que la vie recule mais qu’importe ! Ces voies vont diminuer de moitié le temps de transit entre l’Europe et l’Asie. La carte du commerce mondial pour les quelques oligopoles mondiaux du transport maritime va en être considérablement modifiée et leurs profits fabuleusement augmentés.
Pendant ces journées de réunion, Trump n’a, à aucun moment, perdu de vue la stratégie des États-Unis de contrer l’installation durable de la Russie et la percée méthodique de la Chine dans cet espace. Le Commandement du Nord, mis en place par le Kremlin depuis 2014, comprend une cinquantaine de bases et de sites militaires au-dessus du cercle polaire. C’est plus que celles de l’Otan dans la région. La marine russe y déploie des sous-marins nucléaires de nouvelle génération, capables d’activer des drones et des missiles hypersoniques sous-marins. À ceci s’ajoute une flotte d’au moins cinquante navires brise-glaces. Voilà qui donne aux dirigeants du Kremlin un levier logistique et militaire sans équivalent.
De son côté, la Chine, autoproclamée « État proche arctique », considère la région « d’intérêt stratégique ». Elle y possède plusieurs brise-glaces de nouvelle génération et coopère avec Moscou pour développer une « Route de la soie polaire ».
Les États-Unis ne veulent surtout pas d’une consolidation de l’alliance entre Russie et Chine dans le Grand Nord.
Et, aux velléités trumpiennes de conquête du Groenland, Poutine avait répondu lors d’un important discours devant le sixième forum Arctique international, au mois de mars 2025, par le lancement d’un audacieux et minutieux projet d’exploitation de cet espace. « En vue de maximiser la stabilité logistique du Corridor transarctique, je demande instamment au gouvernement d’établir un plan d’augmentation de la capacité des ports maritimes existants dans l’Arctique et de déterminer la localisation souhaitable de nouveaux ports et le rythme auquel ces nouvelles infrastructures devront voir le jour. Je souligne tout particulièrement la nécessité de relier ces ports en eau libre au réseau ferroviaire du pays », a-t-il exposé à cette occasion. Fort, de ce grand projet, il a longuement expliqué devant la presse, à la fin du sommet de l’Alaska, qu’« il est évident que le partenariat économique et les investissements russo-américains ont encore un potentiel énorme. Nos deux pays ont beaucoup à s’offrir mutuellement dans les secteurs du commerce, de l’énergie, du numérique, des hautes technologies et de l’exploration spatiale ».
Poutine confirmait ainsi ses déclarations de fin février 2025, lors d’une conférence où il proposait aux entreprises nord-américaines de s’implanter sur le marché russe des terres rares en soulignant qu’elles étaient bien plus importantes qu’en Ukraine, en raison des réserves présentes dans les environs de Mourmansk, en Kabardino-Balkarie, vers Irkoutsk, ainsi qu’en Yakoutie et en Touva.
Du reste, le grand capital nord-américain le claironne : « Moscou et Pékin ont été contraints de s’allier en raison de la guerre en Ukraine. Mettre fin à cette guerre et rétablir les relations avec le président russe Vladimir Poutine pourrait ralentir la convergence sino-russe, voire faire de Moscou un partenaire dans le confinement de Pékin. Cette aspiration est louable. […] Elle n’a pas fonctionné, car Poutine était moins intéressé par la stabilité que par l’annexion de l’Ukraine. »
Autrement dit, les capitalismes états-uniens et russes se proposent de faire un bout de chemin ensemble, quand les dirigeants européens hébétés continuent de marmonner autour d’« un nouveau train de sanctions ».
Se joue ainsi une inquiétante partition d’impérialismes s’inscrivant dans une coopération conflictuelle contre les droits sociaux et humains, contre la résolution des grands défis de l’humanité, notamment le climat, afin de relancer leurs capitalismes nationaux sur fond de croissance atone et pour contrer la Chine.
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On s’inquiète beaucoup – pour une grande part à juste titre – de « partage de territoires » en Ukraine contre la souveraineté territoriale de ce pays pourtant reconnue par la Russie lors du forum de Budapest. Il serait judicieux de s’alarmer aussi des tentatives de partage du monde en cours, qui ouvrent une période nouvelle d’exploitation renforcée des travailleurs et de la nature.
L’Arctique est à la fois un champ de confrontation et un espace possible de coopération. Les ressources énergétiques, les routes maritimes et les enjeux environnementaux pourraient devenir le terrain d’entente ponctuelle entre Washington et Moscou.
Se dessinent des compromis géopolitiques, plus larges incluant, certes, l’Ukraine mais sans aucune considération pour les peuples, et au-delà dans de larges espaces dans le monde, dont le continent africain; et ce jusqu’à une reconfiguration du Moyen-Orient sans parler des projections d’exploitation de la lune ou de Mars.
Pour la Russie, s’arrimer à un accord avec les États-Unis dans le Nord pourrait relancer son économie et la rendre plus autonome vis-à-vis de la Chine. Washington travaille ainsi à encadrer la projection russe et à limiter l’influence chinoise.
Pour conserver la Crimée et le Donbass dont il faut rappeler qu’il était le cœur industriel de l’Union soviétique, fortes de leurs mines de charbon et aciéries ; riches en minerais stratégiques, pour garder les grandes régions agricoles de riches terres de Kherson et de Zaporijia, Poutine ouvre un espace d’exploitation aux firmes et aux fonds financiers états-uniens, tout en participant à un nouveau partage des espaces et des richesses de l’Arctique.
Plus fondamentalement encore, le maître du Kremlin cherche à recomposer « la Grande Russie » ou l’Empire eurasiatique, son « État-civilisation » entre la Chine et l’Union européenne. Bénéficiera-t-il pour cela de la mansuétude du maître de l’impérium qui, lui aussi, veut annexer de nouveaux territoires, de nouvelles routes maritimes et qui est activement engagé aux côtés d’Israël dans la construction du « Grand Moyen-Orient » ? ce qui vaut, en ce moment même, aux Palestiniens l’annexion, l’expulsion de leurs terres et de leurs maisons, un inqualifiable nettoyage ethnique et un crime de génocide à Gaza, sans qu’aucune initiative diplomatique internationale ne vienne à leur secours.
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Une Union européenne digne de ce nom, c’est-à-dire non alignée sur l’impérium US, a un autre rôle politique à jouer. Elle pourrait se tourner vers les pays dits « du Sud global » pour lancer, en lien avec l’ONU, une conférence mondiale pour la paix et pour la coopération entre les peuples, sur le fondement du droit international. L’UE pourrait délibérer et prendre des décisions, sur « les garanties de sécurité de l’Ukraine », mais, pas en agitant le thème de « L’OTAN sans L’Otan » comme cela se concocte en ce moment même dans les bureaux de quelques généraux et maréchaux. C’est le moyen de poursuivre la guerre qui fait tant de mal. Pire encore, rien ne doit être fait qui pourrait faire muter le conflit en une guerre entre L’Union européenne et La Russie. Une grande initiative devrait être prise en associant La Chine, L’Inde, L’Afrique du sud, Le Brésil, Le Vatican et L’ONU pour faire cesser les combats et ouvrir un processus de construction d’un mécanisme de sécurité commune européenne.
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Au-delà, ce sont de nouveaux mécanismes de prévention des conflits qu’il est urgent d’élaborer, une nouvelle architecture de sécurité collective mondiale qu’il convient d’inventer. Elle est à rebours des orientations actuelles impliquant un nouveau processus de désarmement, particulièrement l’application du traité international contre les armes nucléaires. Les combats doivent se poursuivre pour que les peuples puissent se réapproprier l’ONU, pour la transformer en lien avec les évolutions du monde et des nécessités de coopération face aux défis communs, en vue d’un processus de construction d’un pacte mondial de sécurité humaine et environnementale.
Cela obligerait à redéfinir un projet de développement humain en osmose avec tout le vivant. Celui-ci est incompatible avec le développement du capitalisme de prédation, basé sur des investissements massifs dans un écosystème technologique centré sur le numérique, l’intelligence artificielle, l’industrie militaire opposée aux impératifs climatiques, qui ne font qu’accentuer une dangereuse dynamique dévastatrice pour la planète.
Au vrai, c’est une guerre à la Terre qui est engagée. Elle s’est faufilée sans crier gare dans ces conciliabules de l’Alaska à la Maison-Blanche, déguisée en fée de la paix.
Il est bien urgent de barrer la route à l’ordre cannibale.
Patrick Le Hyaric
20 Aout 2025