Besoin de pluralisme

le 7 juillet 2011


Ainsi, dans un renversement copernicien, ce qui était absolument vrai il y a six semaines devient absolument faux aujourd’hui. Avec la même foi et la même froideur qu’un rouleau compresseur, le puissant complexe médiatico-politique mondial déroule à l’envers une grosse pelote de grosses ficelles à l’endroit de M. Dominique Strauss-Khan, voué hier aux gémonies de tous les écrans du monde entier, pendant que la présumée victime d’hier est devenue présumée accusée aujourd’hui, cumulant subitement tous les défauts de la terre. Rien de ceci ne donne envie d’adopter le système judiciaire nord-américain. On peut désormais craindre de ne jamais connaître ni la vérité, ni la justice.

Cette pitoyable affaire devrait faire réfléchir sur le système médiatique  lui-même. Déjà, de concert avec la direction des États-Unis, ces grands médias, propriété d’une minorité de grandes familles liées aux milieux d’affaires internationaux, avaient voulu faire croire à l’existence d’armes de destruction massive, pour déclencher la guerre d’Irak. Les mêmes répètent depuis des décennies que le capitalisme est l’horizon indépassable, alors qu’il subit une crise totale et plonge la multitude des peuples dans d’inextricables difficultés. Les mêmes encore, de connivence avec les milieux dirigeants de l’Union européenne, présentent la super-austérité comme un mal nécessaire, refusant tout débat, toute expression sur de possibles alternatives. Une si grave orientation que le « Pacte de l’Euro plus »*, cet accord Sarkozy-Merkel au seul service de la finance, est camouflée aux populations européennes. C’est pourtant en son nom que le pouvoir vient de reculer par décret une nouvelle fois l’âge de départ à la retraite.

Il est urgent d’avoir un débat sur notre rôle de média, et le système médiatique. Il est indéniable que « l’affaire » Dominique Strauss-Khan a encore accentué les doutes de nos concitoyens sur les responsables politiques et sur la politique elle-même. Certes, il s’agit de l’un des principaux personnages de la planète, d’un possible candidat à l’élection présidentielle, mais durant toutes ces longues émissions à son sujet, auxquelles il faut ajouter deux mariages princiers traités en tous sens et autres futilités, combien de morts provoquées par le tremblement de terre au Japon, combien de dégâts causés par la catastrophe nucléaire de Fukushima, combien de tués en Libye sous les bombes de l’OTAN, et quel avenir pour ce peuple, quel massacre en Syrie, au Yémen, au Bahreïn ? Combien de drames, combien de chômeurs, de misère, d’affamés par les plans d’ajustement structurel en Grèce, au Portugal, en Irlande et dans toute l’Europe ? Pourquoi tant de longueurs à la télévision et à la radio, tant de pages de journaux noircies pour une telle affaire, alors que les 18 millions d’européens qui risquent d’être privés d’aide alimentaire d’urgence à cause d’une inique décision des autorités européennes n’ont jamais droit à l’ouverture du journal télévisé ?

A la défiance, à la crise de la politique, le système médiatique ajoute une crise de la temporalité. Tout doit aller vite. Tout est débité en continu sur les autoroutes de l’information. Tout est jetable. D’ailleurs n’a-t-on pas inventé le journal gratuit jetable… Gratuit, mais payé par la communication publicitaire des tenants du système. Certes il est formidable d’être informé en temps réel sur tout ce qui se passe à n’importe quel point de la planète. Mais avec comme effet pervers celui  d’une information sans cesse chassée par une autre, et ainsi de suite. Les citoyens sont placés dans un bouillon de culture où disparait tout repère, tout recul face aux évènements, toute hiérarchie dans l’appréhension de ceux-ci. Cette hégémonie du court-termisme, cette dictature de l’immédiateté, cette substitution de la recherche du sensationnel à l’information, à son décryptage, à l’analyse contradictoire de celle-ci, qu’accentuent encore les sociétés de sondages, va à l’encontre de l’information et surtout de la maîtrise par les citoyens de leur propre vie. Ce bombardement incessant empêche le débat, le temps de la réflexion, et aboutit à présenter comme fatals les évènements du monde,  empêchant les citoyens d’être maîtres de leur avenir et de l’avenir commun. Partout, dans toute la société, il faut prétendument bousculer le temps, contre l’essentiel : la vie humaine.

C’est le règne du flux tendu, de la flexibilité de l’emploi, des cadences accélérées au travail, la recherche de la productivité, la concurrence, la spéculation, seconde après seconde, rythmé par les informations de la bourse qui prennent plus d’importance que le bulletin météo. Tout est ainsi fait pour que ce rythme haletant prive de réflexion nos contemporains sur des débats qui pourtant sont indispensables pour l’avenir de la civilisation elle-même. En vérité, il s’agit de conditionner les individus en leur laissant l’illusion qu’ils sont maîtres de leurs choix.

Tout ceci ne fait que rehausser l’indispensable accès de chacune et de chacun à l’éducation, la formation, la culture et à une information pluraliste. Ceci rend encore plus indispensables les journaux quotidiens d’information générale et politique diversifiés et de qualité. Cela nécessite aussi des débats pluralistes et contradictoires dans les grands médias eux-mêmes. De ce point de vue, on ne peut qu’être étonné, pour ne pas dire outré, que comme journalistes extérieurs invités dans les radios et télévisions dans le cadre de la préparation de la campagne des élections présidentielles, on reprenne  les mêmes et on recommence. C’est comme si dans ce pays il n’y avait pas de journaliste de l’Humanité, de Politis, de Témoignage Chrétien, de La Croix, et d’autres encore.

L’expérience de ces derniers mois ne fait que renforcer la nécessité de la défense du droit à être informé, et du pluralisme de la presse écrite. Celui-ci n’existerait pas sans l’existence et le développement de l’Humanité et de l’Humanité-Dimanche, si indispensables pour qu’on parle de celles et ceux qui ne font pas l’ouverture des journaux de 20h à la télévision. Raison de plus pour les faire découvrir et les faire lire.

Loin du sensationnel, c’est le moyen de réfléchir, de débattre, pour faire société ensemble.

* voir « Le Pacte des rapaces », 6 € aux éditions de l’Humanité

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0 commentaires


Martine Chamsa 7 juillet 2011 à 8 h 27 min

Merci Patrick Le Hyaric pour cet édito. Je le partage sur mon mur FB, afin que ceux qui ne lisent pas l’Huma Hebdo, puissent vous lire.

Martine Chamsa 7 juillet 2011 à 8 h 30 min

Juste une précision, je voulais dire : afin que ceux de mes ami(e)s qui ne lisent pas l’Huma Hebdo, puissent vous lire.

Canelle 7 juillet 2011 à 11 h 50 min

Eh oui, en France nous n’entendons que les médias à la botte du pouvoir en place, il faut donc se diriger et soutenir la presse alternative.

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