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La tenue du salon de l’agriculture continue de susciter un grand engouement et une grande curiosité. Il permet, pour quelques jours, de rapprocher citadins et ruraux à partir de la diversité des productions agricoles et surtout du rôle et de l’utilité des paysans à un moment où ils sont si mal traités, leur métier dévalorisé et l’utilité de la multiplicité de leurs fonctions méconnue. Pourtant, au nom de la sécurité alimentaire, de la santé, de la biodiversité, de l’emploi et de l’équilibre des territoires, l’enjeu agricole et alimentaire devrait être placé en tête des priorités des politiques publiques.
L’humanité y appelle tant il est insupportable que près d’un milliard d’êtres humains n’aient pas accès à l’alimentation, et que bien d’autres encore ne disposent pas de l’eau potable. Pour l’immense majorité d’entre eux, l’agriculture a partie liée avec l’environnement, la biodiversité, mais aussi avec le corps, la santé. La négliger conduira inexorablement à de lourds problèmes dans le demi-siècle à venir. Ce qui est en cause ici, ce n’est pas le travail paysan lui-même, c’est son insertion dans un système où il tend à être réduit en un simple « extracteur » de minerai. Il est conduit à fournir de la matière première au prix le plus bas possible à un immense complexe agro-industriel qui la malaxe en « produit alimentaire », qui est par la suite présenté dans des emballages valant plus cher que la matière de base, puis vendu dans des centres de distribution appartenant à quelques monopoles, dégageant de considérables profits.
Ainsi, le paysan-travailleur est depuis une quarantaine d’années enserré dans le jeu d’un système, combinant l’agro-industrie, la grande distribution de masse, qui grâce à la publicité dicte le goût et les couleurs, et un puissant secteur bancaire, plaçant le travailleur – paysan dans une dépendance, une domination, une soumission aux toutes puissantes lois de l’ultralibéralisme déchaîné. On a connu ces derniers temps, de la vache folle au cheval roumain dans des lasagnes, des scandales alimentaires, symptômes de dérèglements profonds qu’il faut certes combattre. Mais le moment n’est-il pas venu de réfléchir plus profondément aux conséquences du système agro-industriel à l’œuvre partout dans le monde ?
La logique générale du système est d’abaisser sans cesse la part alimentaire dans le coût de reproduction de la force de travail pour contenir l’évolution des salaires, alors que le pouvoir d’achat est mis à mal par le coût en hausse du logement. Pour ce faire, a été poussée l’alimentation de masse à partir d’une production elle aussi de masse, mise en concurrence aux quatre coins de la planète, par-delà la qualité des sols, les climats, les traditions ancestrales, la diversité des variétés végétales et des races animales. Ainsi, la production alimentaire tend à s’uniformiser. Les accords de libre-échange avec le Canada et les Etats-Unis accélèreraient encore de façon considérable ce processus, en faisant davantage encore des produits agricoles des objets de spéculation planétaire, en niant les productions locales, les particularités des qualités gustatives des vins, fromages, viandes, laits, œufs, et autres. La pression à la baisse des prix à la production, décidée à l’Organisation mondiale du commerce et retranscrite dans les modifications successives de la politique agricole, a obligé les producteurs, mis en concurrence sur un marché mondialisé, à tenter de combler les pertes de revenus dues à la baisse des prix par une augmentation de la production. Cette dernière est poussée vers une logique industrielle, comme en atteste le décret autorisant l’agrandissement des porcheries ou la tentative de créer une usine à lait de mille vaches laitières en Picardie, dont l’activité principale ne serait pas le lait, mais… la fabrication de méthane.
Dans toute l’Union européenne, ce schéma industriel est à l’œuvre, avec la culture de légumes sans terre, à partir de serres industrielles, apportant eau et engrais chimiques dans des sols « artificiels ». Le modèle dominant de production laitière ou de porcs, basé sur l’importation de soja ou de maïs transgéniques, au détriment de l’herbe et d’une diversité de plantes fourragères, est aussi promu. A ceci, s’ajoute l’utilisation d’insecticides et de pesticides, de plantes transgéniques, dont on ne connaîtra peut être les effets réels sur le corps humain et la biodiversité que dans un quart de siècle. Ainsi, on peut penser que le lien qui unissait la santé du sol à la santé de nos corps peut se dégrader rapidement si on ne procède pas à une réorientation des choix agricoles et alimentaires. Or, il est urgent de repenser nos modèles agricoles et de revenir à une agriculture paysanne basée sur l’exploitation familiale, prolongée par la coopération authentique valorisant les territoires à partir des progrès scientifiques et technologiques qui permettraient aux paysans de vivre mieux, à partir de prix décents. Ce serait un gage, non seulement de sécurité alimentaire, mais aussi de qualité nutritionnelle.
On ne peut se contenter de compenser la diminution d’un certain nombre de nutriments en ouvrant des pharmacies. De grandes maladies comme les accidents cardio-vasculaires, l’obésité, le cholestérol, le diabète, des cancers ont de plus en plus à voir avec une alimentation industrialisée. C’est dire l’enjeu de santé pour chacune et chacun. Enjeu pour nos sociétés en termes de coût social et humain, il l’est aussi au plus haut point pour l’environnement et la biodiversité. Le gouvernement a raison de faire voter une « nouvelle loi d’avenir » pour promouvoir l’agro-écologie. Seulement, elle serait rendue en partie inopérante si par ailleurs la politique agricole européenne n’était pas refondée, et si le néfaste projet de marché unique transatlantique voyait le jour.
Un travail commun entre paysans-travailleurs, chercheurs, consommateurs, salariés des industries agro-alimentaires, permettrait de défricher un nouvel horizon pour une agriculture paysanne assurant la sécurité alimentaire et préservant la santé des individus et des sols. Une alimentation de qualité est une exigence populaire qui impose des devoirs au complexe de transformation agro-alimentaire et de la distribution. Ceci n’est possible qu’à partir d’une modification profonde du système productif, de transformation et de distribution, fondée sur la primauté de la reconnaissance du travail, de la santé et de l’environnement. En ce sens, la production agricole ne peut pas être traitée comme une marchandise comme les autres puisque la vie des populations et le devenir de la planète en dépendent. C’est un formidable enjeu humain et environnemental. En ce sens, le travail agricole devrait être reconnu comme une mission d’intérêt public et général, et donc respecté et rémunéré comme tel.