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Le véritable diktat imposé aux chypriotes par les nouveaux maîtres de l’Union européenne est très instructif sur la morgue sans limite des dirigeants européens à l’égard des peuples. De l’Irlande à la Grèce, de l’Espagne à l’Italie et au Portugal, une « Troïka », composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne, du Fonds monétaire international, impose partout l’austérité, le chômage, les privatisations des biens publics. Toutes ces institutions sont hors de portée du jugement des peuples car non élues.
Voici que quinze jours après une élection présidentielle où la droite remplace le président Dimitris Christofias, membre du Parti communiste de Chypre, cette « Troïka » a cru possible de franchir une étape supplémentaire dans la soumission et la spoliation des peuples. Elle a ainsi envisagé de prendre l’argent directement sur les comptes bancaires, dés le premier euro. Ce n’était pas dans le programme du nouveau Président.
Il est vrai que les banques chypriotes regorgent d’une quantité d’argent, huit fois supérieure aux richesses réelles produites dans le pays. Est-ce la faute des travailleurs et des retraités si Chypre est un paradis bancaire et fiscal? Evidemment pas ! C’est le résultat d’un choix politique fondamental, porté par tous les promoteurs des traités de Maastricht et de Lisbonne. Celui de la liberté totale de circulation des capitaux et des marchandises qui conduit à construire ces paradis auxquels on se garde bien de s’attaquer. Cette mutation voulue de l’économie ne peut que conduire les détenteurs de capitaux à placer leur argent là où il sera le plus rentabilisé, pour en tirer d’immenses revenus spéculatifs. Pire, ce faisant, l’oligarchie a mis en concurrence au sein du capitalisme, la rentabilité du capital productif et celle du capital financier. C’est ce qui pousse à abaisser sans cesse les salaires et les droits sociaux.
Jusque là les tristes sbires de la « Troïka », imposaient aux pays où ils sévissaient des plans d’austérité drastique, le démantèlement des droits sociaux et économiques et des privatisations. Désormais, ils entendaient y ajouter, au mépris même des engagements européens, l’impôt forcé, prélevé directement sur les comptes en banque. Cette nouvelle mesure de racket était un test dans la perspective de la généraliser partout par la suite. Elle a provoqué sur tout le continent une vague d’indignation et le peuple chypriote a dit fermement non. Nous devons le remercier et lui manifester encore plus de solidarité. Il est sûr que la mise en œuvre d’une telle mesure disciplinaire aurait constitué un exemple pour intimider encore plus les autres peuples européens, leur faire accepter les plans d’austérité, de destructions d’emplois et de droits sociaux partout en cours sur le continent. Que cette fois, la “Troïka” n’y soit pas parvenue signifie clairement que le monde du travail et de la création, à l’échelle européenne, n’est pas disposé à payer pour la folie spéculative des institutions financières, elles-mêmes encouragées par les traités européens.
La cause des difficultés des banques chypriotes provient d’abord de leur engagement dans le rachat des dettes grecques sur lesquelles elles ont spéculé. Il ne peut en être autrement, dés lors que la Banque centrale européenne fournit des prêts aux seules banques et refuse de prêter directement aux Etats au même taux, c’est-à-dire en deça de un pour cent.
Là se situe pour une part le vice de cette construction européenne de plus en plus dominée par les demandes du grand capital allemand. Cette stratégie devient aujourd’hui très dangereuse. Elle pourrait conduire à une panique bancaire, entraînant la fermeture de certaines d’entre elles. N’est-ce pas ce qui vient de se produire pour Chypre. Ceci aurait des répercussions encore plus graves dans des pays plus importants. Le système des interconnexions bancaires européennes pourrait provoquer un effet de contagion. Mais, peut-être considère-t-on dans certains cercles du capitalisme qu’une nouvelle concentration bancaire privée est souhaitable pour la rentabilisation des capitaux à l’échelle mondiale.
On peut toujours par facilité nous trouver excessifs. Quand nous combattions les traités de Maastricht et de Lisbonne par lesquels nous sommes arrivés dans cette dramatique situation, nous étions traités « d’anti-européens » alors que nous agissions déjà pour une autre construction européenne. Aujourd’hui l’Europe des élites et de l’oligarchie est chaque jour un peu plus détestée, au point que c’est l’idée même d’un projet internationaliste de solidarité européenne qui est en passe d’être rejetée.
Nous en appelons à la réflexion, au discernement politique et au débat pour inventer ensemble un autre chemin, pour un nouveau projet européen solidaire, celui de la démocratie et de la participation populaire. Dans le partage des idées progressistes et dans l’action, il est possible de le faire émerger en partant des besoins des populations et de l’intérêt général. On ne peut tomber dans les idées, aussi faciles que dangereuses de l’extrême-droite, qui loin d’être une alternative sociale et progressiste ne constitue qu’un projet d’accélération de la guerre économique, au seul service du capital, particulièrement du capital allemand. On peut, à Chypre comme ailleurs, taxer les dépôts des grands oligarques russes et européens et les mouvements de capitaux. Une Europe qui protège doit garantir les dépôts bancaires des salariés, des retraités et de tous les petits épargnants.
C’est ainsi que l’enjeu d’une transformation profonde de la Banque centrale européenne et du mécanisme européen de stabilité est plus que jamais à l’ordre du jour. Ces objectifs sont-ils atteignables ? Ce qui vient d’advenir autour de Chypre confirme certes la difficulté de la tâche mais aussi qu’elle n’est pas hors de portée de l’intervention populaire. Ne sommes nous pas aujourd’hui arrivés à un point nouveau de maturation qui peut produire une remise en cause massive de cette Europe du capital qui rendra inévitable son dépassement ?
Est-il hors du temps de préconiser que la Banque centrale prête directement aux Etats, avec un crédit incitatif pour des projets de développement de l’emploi, de la formation et d’investissements industriels et agricoles s’inscrivant dans la nécessaire transition écologique des économies ? Est-il démagogique de réclamer la transformation du mécanisme européen de stabilité en un fonds européen de développement humain, social et écologique promouvant les services publics? Le budget européen doit-il être augmenté, comme le demande le parlement européen, pour faire face aux besoins de développement, de formation, de solidarité, de recherche dans toute l’Europe? De grands chantiers d’harmonisation sociale vers le haut, avec un salaire minimum intracommunautaire, l’élévation des droits sociaux, une taxation commune des mouvements de capitaux spéculatifs, un impôt européen sur les sociétés et le capital, dans les pays qui le souhaitent tout de suite, seraient-ils malvenus pour créer une croissance saine qui fait si cruellement défaut?
D’autres propositions ne peuvent-elles être mises en débat, notamment celle d’une Europe qui fasse de l’égalité son projet, avec l’impulsion d’une nouvelle répartition des richesses, produites autrement? A moins de considérer qu’il n’y a pas d’autres chemins que ceux qui conduisent aujourd’hui dans le mur, il serait grand temps d’en défricher de nouveaux dans un processus démocratique capable d’enrichir encore ces propositions. Dès lors que de Nicosie pourrait s’engager et grandir ce mouvement pour une nouvelle Europe des peuples, un espoir se lèverait.
1 commentaire
j’avoue que cet Edito de Patrick, reflète bien la situation de l’économie Européenne ! De plus c’est clair comme exposé et j’ai encore appris beaucoup.