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Au-delà d’un indispensable déplacement auprès d’un piquet de grève ou dans un local syndical, les forces politiques de gauche doivent écouter et entendre ensemble les salariés afin d’élaborer avec eux des issues à leurs difficultés. Toutes les luttes en cours et celles qui sont en germination sont en effet d’intérêt général et portent sur le droit de vivre, le sens et l’utilité du travail, la vie de la diversité des territoires et la défense du climat et de la biodiversité.
L’heure est bien à cultiver l’unité populaire pour résister, conquérir des droits nouveaux, faire progresser l’égalité et l’humanité. Le faire jour après jour dans l’unité, c’est se donner les moyens de faire refluer les extrêmes droites. C’est, avec le nouveau front populaire donner de la force aux exigences populaires.
Des villes comme des campagnes, de la multitude d’ouvriers, d’employés, d’agents publics, d’agriculteurs, d’enseignants, de chercheurs, d’élus d’opinions diverses, de retraités, germe la contestation globale de l’austérité quand les milliardaires se pavanent et que le grand capital jubile. Toutes et tous intègrent progressivement l’idée que ce n’est pas en réduisant des crédits publics ici qu’on améliore la situation là.
La fable de la « réindustrialisation »
Sans l’exprimer ainsi et sans en avoir forcément conscience, c’est la prédation du capitalisme qu‘ils mettent en cause dans un monde où on leur demande d’accepter une économie de guerre porteuse de pire et de mort.
Avec la froide avalanche des plans de suppression d’emplois et de fermeture d’usines, sautent aux yeux comme au visage les mensonges présidentiels et ceux des forces de droite, la fable sans cesse répétée d’une « réindustrialisation ». Contée matin, midi et soir, elle ne sert qu’à justifier les dégrèvements fiscaux et sociaux du grand capital internationalisé de la grande industrie. Les noms de Michelin, d’Auchan, de Valeo, de Watts, de l’usine chimique Vencorex, de Team Tex, de General Electric, de Sanofi ou de la société MA France et de tant d’autres sont les symboles des décapitations en cours de nos atouts industriels, alors que des nuages dorés, aux noms aussi curieux que « CICE » ou « crédit d’impôt recherche », déversent leurs pluies de gros chèques d’argent public là où c’est déjà bien irrigué.
Même les gouvernants ont du mal à justifier des plans de suppression d’emplois et d’arrêts d’activités dans des entreprises où les profits sont au zénith, avec des actionnaires qui ne connaissent aucunement la crise. Voilà des mois que la fameuse « main invisible du marché » capitaliste fait pression contre la rémunération du travail et de l’emploi, la variable d’ajustement à l’accumulation du capital et de son taux de profit. Cette lutte de la classe possédante contre la classe des travailleurs de toutes disciplines s’exacerbe.
Et le pouvoir se met au service de cette lutte des classes en attaquant le statut de la fonction publique, en affaiblissant La Poste, en abaissant encore les remboursements de santé, en augmentant les jours de carences pour maladie, ou encore en demandant une seconde journée de travail gratuit, en détruisant des normes qui entravent l’accumulation capitaliste. Bref, en écrasant le travail, en affaiblissant ou en détruisant les services publics, en spoliant les retraités, les mandataires des puissances industrielles, agro-industrielles et financières épuisent les corps et la nature.
Sortir des huis clos parlementaires et entre partis
Ces conditions font mûrir l’exigence d’une unité populaire combative de qualité nouvelle mettant à nu les vrais responsables des souffrances sociales qui s’amplifient et élaborant au cœur des luttes des solutions neuves pour des processus de transformations structurelles progressistes.
Chacun comprendra que la décision de vendre le Doliprane à un fonds nord-américain, que les licenciements à Auchan ou à Michelin, que la privatisation du Fret Sncf, que le traité de libre-échange avec le Mercosur et que la folle stratégie de « l’économie de guerre » ne sont pas dus à l’immigration, mais bien à une volonté du capital de restaurer ses taux de profit dans une dangereuse compétition intercapitaliste.
Partout des comités du Nouveau Front populaire (NFP) peuvent donner des informations, développer de nouvelles solidarités concrètes avec les travailleurs en lutte, organiser des discussions avec toutes celles et ceux qui souffrent et cherchent des issues, élaborer des projets communs et des alternatives progressistes. Évidemment, les organisations politiques de gauche et de l’écologie prennent leur part de responsabilité.
Toutefois, l’expérience tend à montrer qu’il devient impératif de sortir des huis clos parlementaires ou mêmes des huis clos entre partis de gauche. Ce sont les travailleurs, les citoyens dans leur diversité, qui doivent se donner les moyens de prendre leur destin en main avec l’aide des forces constitutives du nouveau rassemblement populaire. Populaire, c’est-à-dire allant bien au-delà des forces politiques et associant en permanence forces syndicales, associatives, organisations non gouvernementales, collectifs militants de l’environnement, de la culture ou de la science, en osmose avec les travailleurs et les citoyens, de l’échelon local à celui du pays, selon les enjeux posés par les luttes.
Si les forces de gauche et de l’écologie présidaient le gouvernement, un tel front d’action réellement populaire serait absolument indispensable. La classe des possédants, les institutions européennes, les droites et extrêmes droites combattraient évidemment avec force toute politique de changement.
Les comités du NFP, des bases de production d’intelligence collective et de luttes
La question première n’est donc pas celle du prochain scrutin, mais bien celle de la construction du rassemblement populaire pour obtenir des conquis progressistes en disputant aux classes dominantes le combat idéologique et culturel. C’est de cette unité populaire, ancrée dans les luttes sociales ou environnementales, que se créera un rapport de force favorable au progrès social, démocratique, écologique, et à la paix.
Tout en étant des espaces de dialogue et d’élaboration, les comités du NFP sont des bases de production d’intelligence collective, culturelle, d’expérimentation démocratique, de « sens commun » contre les divisions qu’imposent les puissants pour poursuivre leur domination.
Malgré les efforts produits au Parlement pour un autre budget par les forces de gauche et de l’écologie politique, l’expérience montre à celles et ceux qui agissent pour défendre tel ou tel service public, leur budget communal ou ceux des services sociaux départementaux, qu’un budget d’austérité sera adopté autoritairement par l’article 49 alinéa 3 de la Constitution de la Ve République. Voilà qui en dit d’ailleurs long sur la démocratie parlementaire. Par contre, des comités du NFP s’emparant dans tout le pays de cet enjeu pourraient bousculer bien des scénarios.
De même, de tels comités informant et élargissant l’action sur les contenus du traité avec le Mercosur permettraient un bond en avant dans l’action contre la liberté de circulation du capital et des marchandises. Car, c’est de cela qu’il s’agit : d’un moyen d’amplification de la mondialisation capitaliste. Ce mauvais traité ne concerne pas que la paysannerie, mais aussi la qualité de notre alimentation, donc la santé, mais surtout la souveraineté populaire, puisqu’avec les traités de libre-échange, ce sont des tribunaux arbitraux privés qui permettent de créer des jurisprudences contre le droit social ou environnemental des États.
Des comités populaires rassemblant paysans-travailleurs, consommateurs, salariés, artisans, élus locaux, chercheurs, associations européennes mobilisées de longue date contre de tels traités pourraient enfin ouvrir la voie au retrait de ce texte et, au-delà, à tous les traités de même type, pour les remplacer par des accords de coopération mutuellement avantageux à tous les peuples, à l’environnement et à la qualité et la sécurité alimentaires.
Une puissante force populaire à cultiver
La force du mouvement populaire est déjà immense. Les mouvements sociaux et environnementaux en cours s’ajoutent à la multiplicité des grandes actions qui ont jalonné ces dernières années : celles pour la défense du Code du travail, celles des Gilets jaunes, celles des jeunes pour le climat et l’environnement, celles massives opposées à la contre-réforme des retraites, en passant par les solidarités durant la pandémie, les mouvements pour l’application du droit international pour défendre la Palestine et pour la paix, les expérimentations nouvelles d’une économie sociale et solidaire, ou pour la préservation de la biodiversité, ou la reprise par les travailleurs de leurs usines sous forme de coopératives, l’engagement de toutes celles et ceux en faveur de la protection des personnes et la solidarité alimentaire avec les associations humanitaires, le mouvement féministe, celles et ceux qui font vivre et défendent la vie associative menacée. Il s’agit d’une puissante force collective à valoriser, à cultiver, à alimenter d’idées neuves à mettre en partage.
Ces mobilisations sont un formidable creuset d’expériences, d’élaborations culturelles enrichissant la politique. Loin des enlaidissements de la politique, de ses dénaturations endossant les costumes d’une monarchie républicaine, des inutiles provocations et polémiques ou encore du découpage des électorats en tranche, cette intelligence politique, créative, populaire, démocratique doit être cultivée, valorisée, afin de faire émerger ensemble les travailleurs et le peuple sur le devant de la scène.
Unir dominés et exploités
Il n’existe pas une « France des bourgs » d’un côté, et une « France des tours », de l’autre. Par contre, le travail à réaliser pour unir les dominés et les exploités des villes et des campagnes est énorme. Qu’il habite dans une commune rurale ou au cœur de la ville de Vannes, l’ouvrier travaillant à l’usine Michelin est pareillement méprisé et menacé par le propriétaire de son usine qui n’a cessé d’extorquer la plus-value de son travail réalisant 2 milliards d’euros de profits après impôt.
Unir les dominés et les exploités, valoriser une unité populaire qui fait prendre conscience de la force collective, cultiver à chaque instant la démocratie réelle est le processus par lequel la résistance face au capital ouvre la voie à de nouvelles conquêtes démocratiques et progressistes et à la construction de l’indispensable barrage contre les basculements en cours produisant ces affreuses et purulentes vagues brunes. Ce sont des raisons pour lesquelles le Front qui s’est construit au début de l’été doit devenir vraiment populaire. Immenses sont les attentes.
Patrick Le Hyaric
19 novembre 2021.