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La Commission européenne, mandataire des intérêts des grandes firmes capitalistes du continent, veut accélérer la résurrection de l’un des plus vastes traités de libéralisation du commerce au monde : le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays constituant le marché commun d’Amérique latine, le Mercosur* (ou Mercosul). Ces pays regroupés sont devenus la seconde zone commerciale au monde.
À la différence d’un accord de coopération, un traité dit de « libre-échange » vise à accélérer la libre circulation du capital et des marchandises.
Une Union des peuples et des nations associées, libre et souveraine aurait travaillé à construire un avenir solidaire avec les peuples des pays du Mercosur en commençant par la reconnaissance et les réparations du colonialisme et de l’exploitation de ces peuples. Or, le débat est interdit sur la dette historique, économique, sociale et culturelle à laquelle s’ajoute désormais la dette écologique et climatique que plusieurs pays européens ont creusée envers ces peuples.
Au contraire, il est envisagé d’aggraver cette prédation sous de nouvelles formes, adaptée aux conditions du 21e siècle, dans le cadre des contradictions de plus en plus destructrices du capitalisme mondialisé et financiarisé.
Voilà, la seule et unique boussole du capital international alors que la situation exige aujourd’hui, à l’inverse d’un traité de libre-échange capitaliste, des accords de coopération et de solidarité entre les peuples, les travailleuses et les travailleurs des deux continents, sur la base des enjeux humains et environnementaux.
D’importantes évolutions ont lieu depuis 1999 lors des premières discussions en vue de ce traité : crise climatique, effondrement de la biodiversité aggravation des inégalités mondiales, développement de la pauvreté et du chômage en Europe et en Amérique Latine, pandémie, éclatement des bulles spéculatives et financières.
Autant de défis pour l’humanité à relever ensemble. Or, depuis vingt ans, les négociations se poursuivent comme si de rien n’était, à l’abri des regards et des délibérations des peuples de part et d’autre de l’Atlantique.
Le mandat de négociations donné à la Commission européenne, avec l’accord des autorités françaises, ignore le défi climatique, les questions sociales et du mieux-vivre des populations. Pourtant l’intérêt général humain aurait voulu que la Commission européenne et les gouvernements appréhendent les nouveautés de la situation, consulte le Parlement européen, les Parlements nationaux, les syndicats, les organisations non-gouvernementales européennes et latino-américaines regroupées en collectif international. Rien de cela. Pour réussir, ils ont besoin d’une totale opacité.
On comprend pourquoi ! Avec ce traité de libre-échange, il ne s’agit pas de répondre aux intérêts populaires et environnementaux. Il s’agit de restaurer les taux de profits par la croissance économique et le commerce au service des multinationales de l’automobile, de la chimie, de l’énergie, de l’agrobusiness.
C’est le sens d’une lettre du chancelier Olaf Scholz à la Commission européenne dans laquelle il se plaint que les entreprises européennes ont perdu 15 % de part de marché dans la région sud-américaine. Aux yeux des gérants des intérêts des puissances industrielles et financières, l’inquiétude s’ajoute à une nouvelle configuration géopolitique dont ils sont partie prenante sous la houlette et la domination des États-Unis.
Les sanctions contre la Russie, les guerres menées par le vassal israélien pour le compte des États-Unis et leurs firmes énergétiques, les pressions continues pour limiter les échanges avec la Chine ajoutés aux politiques d’austérité en Europe, restreignent les débouchés des firmes européennes, poussent l’Union européenne vers « une lente agonie » comme le déplore Mario Draghi dans un récent et copieux rapport pour la Commission européenne.
Dans ce contexte, le grand capital européen cherche les voies d’un sursaut dans la guerre économique intra-capitaliste. Cela le conduit à réclamer de toutes ses forces « l’ouverture » d’un « marché » de 273 millions d’habitants tout en accélérant le pillage de leurs ressources naturelles. Notons que pour ces gens, 273 millions d’habitants ne sont qu’un « froid marché » avec des sujets-consommateurs.
Le capitalisme allemand, enferré dans une inquiétante crise depuis les sanctions contre la Russie, doit se soumettre au capitalisme nord-américain pour son approvisionnement en énergies carbonées -ce qui affaiblit son industrie, fait pression pour la signature du traité. Il aurait l’avantage de lui fournir de nouveaux débouchés notamment pour son industrie automobile, très affaiblie, et les produits de l’agrochimie de la firme Bayer-Monsanto.
Rappelons que le Brésil est le plus grand utilisateur de pesticides au monde, devant les États-Unis, avec 809 000 tonnes en 2019. Ceux-ci sont épandus pour cultiver soja, maïs et canne à sucre génétiquement modifiés, réexportés en Europe.
L’Union européenne compte aussi augmenter ses exportations dans le machinisme, les technologies de l’information et de la communication. L’acharnement à réduire les coopérations avec la Chine conduit le capitalisme européen à amplifier l’exploitation des matières premières critiques de la zone latino-américaine, dont le cuivre, le lithium, l’importation d’hydrogène et d’Éthanol produits par des méga-fermes industrielles implantées sur les décombres de la déforestation. Et l’augmentation des flux commerciaux généré par un tel accord contribuera à augmenter les émissions de gaz à effet de serre (GES) et donc à intensifier les dérèglements climatiques.
L’incitation à accroître les importations en Europe de produits tels que la viande, l’éthanol, le soja donnera de la vitalité aux grands propriétaires terriens, criminels acteurs de la déforestation en Amazonie, dans le Cerrado ou encore des zones tropicales sèches du Chaco, pour développer une monoculture agricole mortifère pour les sols, la biodiversité et la stabilisation du climat mondial. Pendant ce temps, des millions de petits paysans sont « sans terre ».
Avec une plus forte dépendance des économies des pays du Mercosur aux marchés mondiaux, à partir d’exportations majoritairement portées par des entreprises multinationales étrangères, la rémunération du travail salarié sera toujours plus compressée ici et là-bas, les prix agricoles à la production abaissés, les richesses naturelles et du sous-sol toujours plus pillé. Cette stratégie répond aux demandes du Fonds monétaire international et des fonds financiers qui réclament à ces pays notamment l’Argentine et le Brésil de rembourser la totalité de leurs dettes grossis des colossaux intérêts des dettes. Ils ont trouvé un formidable allié avec le président d’extrême droite argentin qui détruit les services publics et les sécurités sociales « à la tronçonneuse ». Notons que les mêmes rhétoriques autour de « la dette » sont utilisées pour les mêmes objectifs en Europe avec l’objectif de privatiser les services publics et la sécurité sociale.
Pour servir la rentabilité du capital, le sort fait à l’agriculture est ubuesque. Ainsi, l’Union européenne, qui doit déjà exporter ses surplus de production de viande de porc, accorde un quota supplémentaire d’importation de porc aux États du Mercosur.
À quoi répond cette logique en apparence illogique ? Tout simplement au dogme de la mise en concurrence des producteurs de porc pour abaisser sans cesse les prix à la production. L’objectif attendu est une baisse des prix à la consommation pour ne pas avoir à augmenter les salaires ouvriers.
De même, alors que les pays du Mercosur représentent déjà près de 80 % des importations de viande de bœuf en Europe – pour un total de près de 270 000 tonnes – les 99 000 tonnes de bœuf supplémentaires, importées avec des droits de douane abaissés, prévus par l’accord ont pour objectif de déstabiliser les marchés européens et ruiner des régions entières comme le Limousin ou le Charolais.
Il en est de même de l’importation de 180 000 tonnes de viande de volaille supplémentaires. Déjà, des firmes européennes s’installent dans les pays du marché commun latino-américain pour exploiter là-bas les travailleuses, travailleurs et les ressources naturelles pour réexporter les productions en Europe à bas prix, détruisant ici la vie de territoires et de centaines de milliers de familles populaires.
Voilà où il faut chercher la raison fondamentale de la décision de la firme laitière Lactalis, basée à Laval, de réduire la collecte du lait des paysans français alors qu’elle s’implante fortement au Brésil.
Notre acte d’accusation contre le libre-échange ne vaut pas profession de foi en faveur d’un quelconque protectionnisme ou d’un droitier souverainisme.
Il appelle le débat et l’amplification d’actions avec les travailleurs des deux côtés de l’Atlantique pour ouvrir la voie à des relations nouvelles non plus fondées sur l’exploitation et la domination, mais sur la solidarité et la coopération.
Pour la création de liens de qualité nouvelle, d’échanges équitables, tournant le dos à la dure loi du capital international et de ses tribunaux privés**, mais sur les droits humains, ceux des travailleurs, des populations autochtones, des paysans ainsi que la protection de la biodiversité du climat et le bien-être animal.
Autant d’objectifs qui appellent à dépasser le système économique fondé sur l’appropriation des fruits du travail, la discrimination envers les femmes et les immigrés. Dans le monde entier, se posent désormais de plus en plus les questions, d’une appropriation sociale et citoyenne des grands moyens de production et d’échanges, celles de la souveraineté des travailleurs sur leurs activités et sur leurs productions comme condition pour garantir des salaires permettant de vivre et de se cultiver, tout en engageant une bifurcation écologique des productions et des activités.
Il est possible de construire des partenariats de type nouveau visant des échanges commerciaux équitables, des investissements communs, des transferts de technologie, des partages des connaissances sans droit de propriété intellectuelle pour les firmes transnationales, des partages de cultures, auxquels il convient d’ajouter la reconnaissance des dettes et les réparations liées à la colonisation et des mesures de décolonisation.
Nous plaidons pour un accord qui serve l’intérêt général humain contribuant à un processus de changement vers des méthodes de productions soutenables, fondées sur des principes de sécurité humaine globale : sécurité alimentaire et droit à l’alimentation pour toutes et tous, sécurité sociale et l’accès aux soins garantis, sécurité environnementale et solidarité dans les urgences face aux modifications climatiques, harmonisation des droits sociaux vers le haut et l’égalité femmes/hommes effective notamment dans le travail ainsi que la reconnaissance des droits des minorités.
Les enjeux pour les travailleurs et les peuples des deux côtés de l’Atlantique sont énormes. Ils concernent la planète entière. Avec leurs organisations syndicales, sociales, les organisations non-gouvernementales, ils doivent amplifier encore leurs rencontres et l’élaboration de projets communs humains. Le traité avec le Mercosur ne doit pas être scellé les 17 et 18 novembre prochains dans les salons feutrés de la réunion du G20.
Visons l’association des travailleurs et des peuples contre la domination des multinationales. De l’Amérique latine au continent européen, mettons le post-capitalisme à l’ordre du jour.
Patrick Le Hyaric
28 octobre 2024
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* Mercosur (ou Mercosul) Marché commun du sud créé en 1991 avec le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay, la Bolivie. Des pays sans en être membre sont associés : le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Guyana, le Suriname. Mercosur est l’abréviation en espagnol de « Mercado commun del sud. »
** Les traités comportent un volet « règlement des différends » avec l’installation de tribunaux arbitraux privés qui en général donne raison aux multinationales contre les États au nom de la liberté de circulation du capital et des marchandises. Voir les explications complètes dans deux de mes livres : « Le grand marché transatlantique : Dracula contre les peuples » et « CETA : le traité avec le Canada mis à nu. »
1 commentaire
«« Il en est de même de l’importation de 180 000 tonnes de viande de volaille supplémentaires. Déjà, des firmes européennes s’installent dans les pays du marché commun latino-américain pour exploiter là-bas les travailleuses, »»
Avec la mondialisation financière le colonialisme a de beaux jours encore. Et l’UE a de ses promesses tordues…….Tien, Macron décide des relations entre le Maroc et l’Algérie, avec des contrats…….
Les BRICS font face à la guerre Ukrainienne arrangé par l’OTAN-CIA dont l’UE est le principal vassal au casse-pipe. L’UE est d’autant moins réformable que le fascisme prend sa place en son sein, puisque les pays, dont la France symbole, ont perdu leur souveraineté monétaire (grandes guerres obligent) grâce au Plan Marchal d’endettement perpétuel (reconduit systématiquement par la Grande Roue du endettement austérité orchestré par les cabinets de notation etc. des marchés financiers (tout un système bien structuré) que les BRICS vont éroder.
Et le Brésil vient de mettre son VÉTO contre l’entré du Vénézuéla.
Pensée critique : Ce que l’Amérique latine a perdu au sommet des BRICS+
28 Octobre 2024, 16:33pm | Publié par Bolivar Infos
Par Rafael Bautista Segales,
«« Mais la présence de l’Amérique latine reste réduite et ses capacités géopolitiques potentielles faibles. Nous l’avons déjà dit : « notre libération définitive ne pourra être unilatérale, mais régionale. » Les BRICS+ pourraient nous apporter l’ensemble de couvertures stratégiques nécessaires pour engager un découplage du dollar. Lula a été fermement favorable à l’incorporation de l’Argentine dans le bloc BRICS+ (car le Gouvernement argentin de Massa ne représentait pas une concurrence pour son autorité et pouvait même lui être utile en tant que gauche light), mais il ne pouvait pas agir de la même manière face au radicalisme que représente la présence du Venezuela. Être bien avec Washington montre également à quel point l’économie brésilienne est liée au dollar, même au détriment de l’Amérique du Sud. »»
Voyons le radicalisme du Vénézuéla, où la question du socialisme se pose,
Questions brûlantes à un chaman vénézuélien
:A lire absolument.
Qu’en est-il de la Fête de l’Humanité ?