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L’éditorial de L’Humanité Dimanche du 03 septembre – par Patrick Le Hyaric.
« La richesse d’un pays, c’est la quantité de travail par individu multipliée par le nombre de gens qui travaillent. Tout le reste c’est de l’idéologie ». Cette assertion martelée comme une évidence par le président du MEDEF, abondamment reprise par les grands médias sans qu’ils aient jugé utile de la commenter, est lourde de sens pour les travailleurs.
Elle est emblématique de la pure idéologie capitaliste. D’abord, elle néglige les millions de privés de travail qui ne demandent qu’à exercer une activité et que le même MEDEF cherche à faire passer pour des oisifs, des inutiles, des improductifs coupables d’être privés d’emploi, quand le chômage est le fruit des choix imposés par le capital. Et même quand le travail existe, comme à Airbus où l’on dénombre 308 commandes d’avions de plus qu’à la fin de l’année 2019, les adhérents du Medef ne se privent pas de licencier. Pire, ils le font avec le robinet ouvert de l’argent public. Remarquons ensuite que la disparition de l’esclavage et les réductions successives du temps de travail journalier comme l’interdiction du travail des enfants, conquises de hautes luttes, n’ont pas diminué les richesses produites. Bien au contraire ! La productivité du travail a été décuplée dans notre pays depuis les années 1960. M. Roux de Bézieux assimile donc le travailleur à un simple moyen de production au même titre que la machine qu’il conduit ou manipule. Dans cette « logique » effarante, l’enseignant, la soignante, ou le petit commerçant sont considérés comme des non-producteurs de richesses. L’argument sert à libérer le terrain pour les passer à la moulinette de la « réduction des dépenses publiques ». Ce raisonnement fait du travailleur, non plus un citoyen ou un être humain, mais une simple « force de travail » à « essorer » au maximum pour valoriser le capital. Car dans le capitalisme, l’augmentation du temps de travail est avant tout la principale manière d’augmenter la quantité de travail gratuit pour les propriétaires des moyens de production.
Mais de quelle richesse parle le président du MEDEF ? De la richesse sociale et socialisable ? Non ! Démonstration en a été faite lors de cette université d’été patronale. Le premier ministre – celui-là même qui refuse la gratuité des masques à l’école – s’y est rendu, les bras chargés de cadeaux dont celui d’une baisse des prélèvements sur le capital – déguisée sous ce nouveau mot sorti des bureaux bruxellois d’ intolérable «impôt de production » – de dix milliards d’euros servant à la vie des régions. Autrement dit pour les lycées, les transports et autres équipements. Dix milliards créés par le travail et qui ne serviront plus au bien public, mais qui tomberont à coup sûr dans l’escarcelle des actionnaires. La richesse créée est ainsi chaque jour un peu plus volée au travailleur et à la collectivité, mais accaparée par ceux qui décident des conditions de la production.
Il s’agit ici d’une vision particulièrement rétrograde du travail et surtout de l’être humain, considéré dans toutes ses dimensions et sur l’ensemble de sa vie. Les facteurs de production, les avancées technologiques comme le développement humain n’existent pour le grand capital que dans l’objectif de lui permettre de « maximiser » ses profits au détriment de la vie des femmes et des hommes, celle des animaux et de la nature.
Cette conception va à rebours de l’histoire. Le développement capitaliste lui-même a pourtant bien eu besoin de travailleurs plus formés, plus cultivés, mieux soignés, mieux logés ou d’équipements comme les routes et les trains, l’électricité et l’eau, payés par la collectivité publique. Non seulement il ne veut plus payer cette part de dépenses pour la collectivité, mais il veut profiter de la pandémie pour les privatiser, et pour abaisser relativement la rémunération du travail, faire travailler les salariés jusqu’à 70 ans, revenir à la semaine de 45h et laisser les jeunes sur le carreau !
Le froid calcul des puissances d’argent n’intègre d’ailleurs jamais la durée de vie de « la force de travail » ni des effets pervers des stratégies patronales sur la terre, la biodiversité ou le climat. Ainsi, un ouvrier verrier vit sept années de moins que la moyenne des autres ouvriers et quatorze années de moins qu’un cadre. Dans ces conditions, quelle est donc la finalité de la richesse qu’il produit ? Le travail de générations de verriers de l’entreprise Verrallia en Charente, a été accaparé par un fonds financier Nord-Américain qui à la mi-juin verse 200 millions € à ses actionnaires, via une filiale basée dans le paradis fiscal du Luxembourg. Deux jours plus tard, le même licencie plus de 200 travailleurs et délocalise une partie de la production. On pourrait multiplier de tels exemples.
La crise sanitaire n’appelle donc pas « une relance capitaliste » mais une « bifurcation-reconstruction » sociale, écologique et démocratique. Retraite à 60 ans, 32h de travail hebdomadaire, impulsion des formations pour toutes et tous préparant la métamorphose de la production industrielle et agricole, socialisation des richesses pour des services publics rénovés de l’école, de la santé, des transports, du logement et pour la sécurité alimentaire, et enfin des pouvoirs d’intervention et de gestion des salariés dans l’entreprise. Au-delà, l’enjeu de la propriété du capital dans plusieurs secteurs décisifs ne doit plus rester tabou. Le MEDEF a ouvert un débat de première importance sur ses intérêts de classe. Il faut l’affronter pour les combattre. La Fête de l’Humanité – dans une semaine – y contribuera.
1 commentaire
C’est juste la continuité modifié du système, et encore juste un recul, alors qu’il faut radicalement changé ce système et son épouvantail économique financier. Juste assez pour semer la bisbille,comme la gauche bobo sait le faire.