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Entretien réalisé avec Hélène Ceresole
On est en train d’entrer dans une ère nouvelle : certains pensent que désormais le dogme néolibéral sera plus fragilisé, que les forces de la Gauche puissent faire changer la donne en faveur de travailleurs, de l’emploi, de la solidarité sociale etc. D’autres ne partagent pas ce point de vue et considèrent que l’avenir sera plus sombre en raison du manque de réponse organisée contre le dogme austéritaire. Quel est votre avis ?
Patrick Le Hyaric – Les évènements, aussi spectaculaires soient-ils, ne peuvent à eux-seuls déterminer l’avenir. Une puissante lutte se déroule au cœur même de l’épidémie. Des forces veulent profiter de la situation pour pousser les feux d’une mondialisation capitaliste plus avancée, un capitalisme numérique, avec Amazon, Google et d’autres, un capitalisme sanitaire avec de nouvelles concentrations de laboratoires et d’entreprises de médicaments, doublé de la liberté totale pour le capitalisme financier et son double, un capitalisme de surveillance renforcée. Il faut que les peuples s’en mêlent. Surtout le prolétariat urbain qui est actuellement au front pour faire tourner le pays, sans masques, sans test. En montrant que le capitalisme mondialisé, son élite ont failli, il doit réclamer le pouvoir. La question est d’autant plus urgente que le réchauffement climatique est toujours là et que d’autres épidémies adviendront.
Heureusement un phénomène nouveau émerge : La dimension collective qui se déploie parmi les travailleurs et les chercheurs peut être le ferment d’une prise de conscience globale sur la nécessité des services publics, la futilité de l’accumulation marchande, les inégalités, le désastre écologique en cours. Dans ces conditions, la constitution d’un large front progressiste, écologiste et citoyen d’initiative anticapitaliste ou plutôt « post-capitaliste » devrait être favorisé dans chaque pays et à l’échelle de l’Europe. Il ne faut pas attendre.
En ce qui concerne l’UE quelles leçons peut-on tirer de la pandémie, par rapport aux réactions de pays comme l’Allemagne vis-à-vis les outils contre l’expansion du virus ?
Patrick Le Hyaric – Le virus est le révélateur de phénomènes qui lui préexistaient et l’impuissance de l’Union européenne face à la pandémie est patente. Que l’Union européenne soit avant toute chose un espace de concurrence interne pour doper la mondialisation capitaliste est une réalité qui apparaît plus crûment. Le peuple grec, entre autres, avait déjà durement éprouvé cette réalité. L’attitude de pays comme les Pays-Bas, et derrière eux de l’Allemagne, est ahurissante d’un point de vue même de l’idée d’ « union européenne ». Refuser d’aider un membre fondateur comme l’Italie, durement frappé par le virus et maintenant, alors qu’elle a rapidement pris des mesures courageuses mais coûteuses, ne pas la protéger d’une inévitable spéculation sur sa dette publique, est plutôt le signe de puissances rivales qui s’affrontent que de nations unies pour un destin commun. Il faudrait que la Banque centrale européenne au lieu d’inonder de liquidité les marchés financiers et les banques, se mette à disposition des Etats, seuls garants de la souveraineté populaire, en abondant des fonds de développement pour des services publics, une industrie et agriculture s’inscrivant dans un projet de sécurité humaine et environnementale.
Un peu partout, avec quelques exceptions, on constate que les gouvernements gèrent la crise en misant surtout sur le confinement alors qu’ils sont plus réticents pour soutenir le système public de santé. Comment expliquer cette prise de position ?
Patrick Le Hyaric – Le confinement, quand il est la seule mesure retenue, n’est que le moyen de masquer la gestion d’une pénurie. Les personnels soignants, les lits d’hôpitaux, les instruments de réanimation, les médicaments, les tests, les masques, tout manque pour mettre en œuvre une stratégie globale efficace pour affronter l’épidémie. Ce n’est que la conséquence des choix de gouvernements qui ont théorisé comme un bienfait la réduction de la dépense publique au détriment de la vie humaine. Ils ont choisi d’abord le capital contre l’hôpital. C’est cela qu’ils s’efforcent de cacher aujourd’hui en ramenant tout au seul confinement, certes nécessaire mais incapable à lui seul d’éviter l’hécatombe. Voilà ce qui saute aux yeux des populations en ce moment. Tout est remis sur la table. Les populations doivent pousser les débats et les actions pour moderniser nos systèmes de Sécurité sociale, pour progresser vers des mécanismes de sécurité humaine générale : sécurité sanitaire, alimentaire, environnementale jusqu’à la sécurité du travail mariant activités et formations permanentes.
Que signifie cette pandémie pour le pouvoir de Macron ? Pour cet exercice du pouvoir ‘jupitérien’ ?
Patrick Le Hyaric – M. Macron use d’un registre très guerrier pour faire oublier ses choix politiques désastreux, notamment concernant l’hôpital public pour lequel il a poursuivi la politique de suppression de lits et d’hôpitaux. En décrétant que nous étions « en guerre » et en le répétant à foison, il cherche à donner un fondement à une « union nationale » qui viserait à faire silence sur ses responsabilités et au-delà de la responsabilité des dogmes libéraux, ses mensonges. Son exercice du pouvoir est celui d’un monarque qui gouverne en vase clos. N’oublions pas que le mouvement des gilets jaunes a été une critique de ce pouvoir monarchique, coupé de la réalité sociale du pays. En France, cette mémoire est très présente. En s’exposant ainsi, il réveille un fort sentiment républicain, pour l’égalité et la justice, pour une autre utilisation de l’argent qui peut porter loin. Jupiter, c’est le « roi soleil » ; mais en prenant trop la lumière, il risque de s’aveugler…
Au niveau européen, Macron peut-il incarner l’exigence pour une refondation de l’UE ?
Patrick Le Hyaric – Le mot « refondation » avait été avancé lors des élections de 2014, notamment par le Parti communiste français, la Gauche unitaire européenne et le PGE. Il est amusant de constater que, pris de panique, les libéraux l’aient repris à leur compte. Mais M. Macron n’est que le fondé de pouvoir pour appliquer les traités de Maastricht et de Lisbonne et toutes les directives et recommandations européennes qui visent à détruire les conquêtes sociales en Europe. Puisque nous avons une suspension provisoire des règles de ces traités, allons plus loin : changeons ces traités pour écrire un traité européen de partage des richesses, d’une nouvelle manière de les produire en relançant un processus de progrès social et écologique, de participation démocratique et de coopération avec le sud.
En tant que directeur de l’Humanité, comment gérez-vous les conséquences de cette crise, du confinement, etc., sur la presse papier, déjà en difficulté tant en France qu’en Grèce ? Cette pandémie lui donnera – t – elle le coup de grâce ? Quels moyens pour faire survivre les journaux ?
Patrick Le Hyaric- D’abord, je suis attentif depuis le premier jour à protéger tous les salariés et leurs proches. Ensuite, l’épidémie révèle la fragilité structurelle des journaux et de toute la filière notamment des groupes comme l’Humanité, indépendants des puissances d’argent. Là encore, il faut se méfier en cette période de l’accélération de la mainmise des grands groupes financiers ou industriels et numérique avec des conséquences très graves sur la pluralité de l’information. Nous réclamons un fonds national dédié au pluralisme de la presse. Sans cela nous sommes très menacés. J’en profite pour saluer fraternellement vos équipes, et vos lectrices et lecteurs.
1 commentaire
“Dans ces conditions, la constitution d’un large front progressiste, écologiste et citoyen d’initiative anticapitaliste ou plutôt « post-capitaliste »…” Si vous pensez en publiant cela à une force progressiste d’initiative anticapitaliste du vingt et unième siècle et dans ce cas communiste universaliste et universaliste n’est pas un synonyme de démondialisme ou de mondialisme mais la dimension humaine de la politique ; alors vous faites un pas encore vers la politique communiste vraie et juste, politique du vingt et unième siècle. La deuxième vraie gauche ne peut être qu’une telle gauche ; il faut que les Hommes politiques qui se passionnent pour une spécificité républicaine authentique au regard de la vision soit ouverts au dialogue et remarquent chaque jour que chaque autre spécificité républicaine authentique constituent avec elle l’universalisme politique pour tous et que les Spécifiques doivent être animés par l’amitié universelle entre les Hommes et uniquement par elle. Ce n’est plus l’avidité d’argent et de pouvoir qui doit animer l’Homme politique, c’est le bien politique. Je pense qu’il est grand temps pour les communistes de vivre à l’heure du vingt et unième siècle chaque jour. Alors l’agressivité politique disparaît et les Inutiles n’ont plus qu’à faire leurs valises pour se trouver d’autres occupation que l’occupation politique tout simplement.
La vie de la démocratie devenait de plus en plus impossible.